L'orthographe à l'oreille

Thierry Kagan

Cher vainqueur,


tu as eu le courage de montrer ton âme à des gens qui n'ont, de toi finalement, qu'une idée assez vague de pré-senior de toujours 20 ans, dans la tête autant que dans le poignet droit (tu es gaucher, je crois, hein ?), oui, c'est bien le droit.


Enfin... moi, c'est comme ça que je fais.


Et le courage, ça se récompense.


Un peu comme quand tu avoues à ta femme que tu en as rencontré une autre, bien plus belle, plus jeune et moins chère et, qu'en fait, c'était un mec, que tu n'as rien fait avec et que tu attends un « Bravo ! Bravo mon chéri ! », bien mérité de la part de ta moitié qui reconnaîtrait donc ta courageuse transparence.

Plus difficile pour elle d'apprécier cette autre forme de courage quand tu t'enfermes aux toilettes en tirant de l'intérieur bien fort sur la poignée, pour ajouter que le mec, tu le revois le soir-même, « mais c'est juste pour discuter, j't'assure, ma chérie, je n'aime que toi, la preuve, j'te dis tout ».


Donc, le courage, une vertu certaine.


Mais aussi, tu es pieux.

L'adjectif, pas le nom.

Tu crois.

D'abord en toi, puisque tu as osé nous imposer ta vue.

Mais aussi, en notre sauveur.


La preuve, encore une fois : tu as lu ton texte comme si les fautes d'orthographe innombrables ne pouvaient s'entendre, alors qu'à chaque participe passé foireux, à toutes les doubles consonnes manquées, à tes subjonctifs très imparfaits que tu assassinassas comme je le fais présentement, je t'ai vu vriller de la paupière, signe d'une communication avec le Tout Puissant pour lui demander « Pardon », ce qu'il t'a accordé car, illico, ton autre paupière a frétillé à son tour, pour te dire, « Message reçu le 29 juin à 22h13, aie confiance, mon fils, c'est tous des ânes, ils ne bitent rien à ton sketch, au point de se dire que ça doit être très intelligent, c'est donc pas vraiment l'orthographe qui les dérange ».


Tu l'as donc compris : l'important, dans l'écrit comme dans la vie, c'est de faire illusion.

Et si l'un des spectateurs creuse un peu et veut se moquer de tes imperfections, vaudra clouage de bec sur le champ la fameuse saillie : « Cher ami, y a des fautes, c'est un fait... je suis sûr que vous aurez corrigé de vous-même ».


Aussi, pour symboliquement évoquer toutes ces entorses - pour ne pas dire entourloupes - à l'orthographe, que tu espères, par l'oral, indétectables - mais l'on n'est pas dupe, mon ami - je t'offre ce soir ce qui, par ces temps de guerre où jouer au costaud qu'a peur de rien avance toujours plus avant la petite aiguille des innombrables bombes à retardement qui attendent, impatientes, de nous sauter au pif, je t'offre donc ce FFF, Faisant Fonction de Fusil (branche épaisse de lierre en forme de fusil à canon scié, toute recouverte de radicelles) qui, dans la pénombre, sur le terrain de combat, peut faire sa blague juste le temps de faire ta prière, avant de quitter ce monde bêtement par la torgnole magistrale que t'inscrira l'adversaire en travers du museau, pour s'être foutu du sien, adversaire beaucoup moins indulgent que les spectateurs de ce soir.


Je te souhaite, bien sûr, de n'avoir jamais à t'en servir.


Pour terminer, soyons positif et bienveillant, comme à l'école de la République, première en tout à tous les classements internationaux, comme vous le savez bien : encore bravo, mon enfant (de la République) pour toutes les autres fautes que tu n'as pas commises.


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