Louis Promise

evinrud

Louise Promise aime bien la poésie, mais la noie trop souvent dans l'eau de son bain. Alors, elle s'est liée d'amitié avec les radiateurs. Qui lui sauvent la vie. L'appareil électrique réchauffe l'encre, gondole les petits vers et donne du volume aux livres sacrés.

Voilà comme je l'ai connue. Louise Promise. C'est son vrai nom. Elle me l'a jurée. Croix de bois, croix de fer. Je la crois. Sinon elle me tuerait. Je le sais. Il est préférable de l'écouter, Louise Promise, car elle a bien des secrets. Elle connait presque tout. Presque, parce que sinon, elle ne me parlerait pas. Elle sait que je peux lui apprendre des choses. Par exemple, comment choisir son radiateur pour réchauffer la poésie. Il n'y en a pas beaucoup qui pourrait la conseiller sur le sujet chez Lefour-Ménager. On peut dire que je lui ai sauvé la vie. En tout cas, c'est ce qu'elle dit. Et je la crois.

Elle est arrivée dans le magasin au moment ou tout les gens arrivent. Nombre de personnes cherchent le plus beau luminaire, la boite d'ampoule en promotion, la cuvette de toilette dans son emballage de fête ou la friteuse qui brille dans la nuit. J'ai la chance de travailler dans la robotique colorée. La machine qui sert, qui fait joli, qui fait plaisir, je connais. Le sèche-cheveux qui ressuscite les bottes de foin surplombant le crâne des bourgeoises fripées, le frigidaire qui ferme à clef, le réveil de chevet qui rebondit pendant des heures pour la joie des chômeurs espiègles. Oui, tout ça, c'est à moi. Tout ça, je connais.C'est mon boulot, je vends des objets pour des humains qui veulent des caniches, dieux grecs, pataugeoire de caviar mais qui préfère dépenser dans l'électroménager, c'est chic, c'est gai. Et pour Noël, la belle société fait la queue chez Lefour-Ménager, c'est sûr, c'est branché.

Louise Promise voulait juste un radiateur. Comme les trois autres personnes devant elle. Seulement, cela semblait plus urgent pour elle. J'étais occupée avec Madame Gornberg, lorsque la furie s'est dirigée vers moi pour m'arracher mon badge Lefour-Ménager de ma chemise. Je me souviens, Madame Gornberg a hurlé. Alors Louise qui pour moi ne s'appelait pas encore Louise mais « cas-de-clientèle-hystérique-a-ignorer- » a tapé du pied et m'a traité du pire vendeur de radiateur de l'univers, tout ça parce que j'aurai livré le sien à la mauvaise adresse. Heureusement, personne n'est venu intercepter notre rixe. Je ne m'inquietais pas. Je me doutais de sa comédie. Une fois que clientes numéro 1,2,3 sont parties au rayon grille pain pour faire cuire leur chagrin, Louise m'a appris quelque chose, elle m'a juste dit:

-Bonjour, je m'appelle Louise.

Je n'avais plus mon badge sur la poitrine, je n'avais plus d'identité, alors je n'ai rien dit. De toute façon, je n'aurai rien trouvé de mieux à dire pour renchérir sur sa parole. Alors, comme un manchot muet à moitié endormi, j'ai souri et hoché la tête, comme ça elle pourra m'appeler l'Abruti.

-Je cherche un radiateur. C'est très important. Donnez m'en un pas cher, petit, avec une prise électrique.

J'ai dit d'accord, et je suis parti. J'ai couru, j'ignore pourquoi. Je ne cours jamais. J'ai évité les poussettes, les bébés qui marchent, les bambins qui veulent rentrer dans la machine à laver, les mamans toutes rouges, les papas sur les fauteuils qui massent, les acnéiques qui tremblent des mains, les handicapés, les collègues, les four à micro-ondes dangereux, les batteur-mixeur-serial-killer. Et voilà. Voilà comment je me suis retrouvé au rayon luminaire, j'inaugurerais bien mon nouveau nom: l'Abruti, perdu dans les lumières. Mais je ne me suis pas laissé faire, j'ai ôté ma casquette pour essuyer mon front en sueur, et je me suis dirigé vers le rayon radiateur, mon but ultime, mon chemin de croix, mon pèlerinage salutaire. J'en ai trouvé un qui semblait à sa convenance, elle l'emportât sans plus de cérémonie, me serra la main difficilement, car elle portait son trésor. Elle me remercia des yeux, et précisa qu'elle reviendra me donner des nouvelles. J'avais le coeur qui frappait fort, il aurait pu s'échapper à travers les trous de ma chemise. Oui, j'ai deux trous maintenant car elle m'a arraché mon...Mon badge !

Je ne panique pas, seul le rayon luminaire me traitera d'Abruti...Je vais demander un nouveau badge avec mon vrai prénom. Je suffoque un peu, mais je suis heureux, car aujourd'hui, j'ai vendu un radiateur à Louise Promise qui avait besoin d'un radiateur. Vraiment besoin.

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