Louise

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Une histoire d'amitié

Ce que permet le monde d'aujourd'hui, peu de nos aïeuls l'aurait imaginé.

Je n'avais jamais rencontré Louise quand j'en suis tombée follement amoureuse.

Je partais en voyage de Noces avec mon mari tout neuf quelques semaines plus tard et une collègue m'avait gentiment transmis l'adresse mail de Louise qui connaissait très bien Lisbonne pour y avoir vécu et ne se lassait jamais de parler de cette ville aux mille charmes.

Je profitais d'une soirée solitaire pour lui écrire un bref message :

« Bonjour Louise, Julie m'a communiqué ton adresse. Je pars dans quelques semaines pour Lisbonne et il paraît que ton répertoire regorge de bonnes adresses. Si tu en as le temps, pourrais tu me conseiller quelques visites et restaurants? Nous restons une semaine seulement. Merci beaucoup pour ton aide. Anna  »

Un message sans importance. De ceux qu'on envoie sans les relire et sans plus y penser sitôt le bouton « envoyer » effleuré. Un message qui fit pourtant basculer ma vie.

Quelques minutes seulement séparèrent mon email de sa réponse:

« Bonjour Anna!

Quelle bonne idée a eue Julie! J'adore parler de Lisbonne !! Elle a du te le dire non?

Vous n'aurez pas besoin de moi pour aller visiter le Castelo de Sao Jorge, le Mosteiro dos Jerónimos ou les musées de la ville.

Mais je me dois de vous empêcher de rater la vraie beauté de cet endroit.

C'est un lieu qui se vit. Même si vous ne restez qu'une semaine, prenez le temps.

Promenez vous Principe Réal, perdez vous dans les ruelles de l'Alfama, faîtes la fête Rua Nova do Carvalho. Oubliez le shopping et les photos! Parlez aux habitants, mangez, buvez et remplissez vos têtes de souvenirs pour les vingt prochaines années.

Le mieux serait que l'on puisse s'appeler pour que je te donne quelques adresses en fonction de ce que vous aimez et avez envie de découvrir.

Je te laisse mon numéro (06.06.06.06.06).

Appelle moi quand tu veux!

Bon voyage.

Louise »

Je me suis couchée le sourire aux lèvres. L'enthousiasme de cette Louise était contagieux et j'avais de plus en plus envie de découvrir cette ville dont elle ne m'apprenait pourtant rien dans son message.

Peut être s'attendait elle réellement à ce que je l'appelle?

Ou peut être était elle une de ces filles aussi superficielles que populaires qui distribuent leur numéro et leur sourire sans plus se rappeler de vous quand vous les contactez quelques jours plus tard après avoir passé des journées entières à ne penser qu'à elles.

Et, avouons le, je suis timide. Empruntée même. Une sorte d'handicapée sociale.

Alors que tout est si fluide à l'écrit, je perds pied dès que ma chair entre en jeu.

Je me sens moche et stupide. Toujours moins intéressante que mon interlocuteur. Vide.

La rencontre physique permet malgré tout de se raccrocher à un aléa extérieur quand la situation m'échappe. Il y a toujours un passant qui attire l'attention quand la conversation patine, un objet qui attire le regard quand la gêne s'installe.

Mais le téléphone, ça ne pardonne pas. Comment supporter le poids des blancs qui s'installent,  d'une voix qui tremble, des phrases qui ne font plus sens tant elles sont hésitantes sans pouvoir compter sur une diversion commune ?

C'est un pas que je ne franchirai pas.

Le ton de son mail a suffi à me convaincre que nous avions fait le bon choix en optant pour le Portugal plutôt que pour une destination plus exotique d'où nous n'aurions ramené que des souvenirs de cocktails dilués et de plages à la beauté artificielle, uniquement destinés à détourner le regard des touristes des conditions de vie des habitants.

Je me contentais donc de lui répondre un rapide mais poli :

« Merci Louise pour ta réponse si rapide et si enthousiaste! Je compte les jours avant notre départ.

Je ne manquerai pas de t'appeler si j'ai besoin de plus de renseignements.

Merci beaucoup!

Bonne nuit.

Anna »

et j'allais dormir.

Notre voyage fut merveilleux.

Nous fûmes tous deux conquis par la beauté et la chaleur de cette ville et de ses habitants.

J'en eus pendant longtemps des souvenirs au goût de miel et baignés de lumière.

Le retour à Paris et à sa réalité quotidienne fut difficile. Nous étions rentrés depuis trois semaines lorsque je reçus un nouveau message de Louise:

« Alors ce voyage? Lisbonne vous a séduits?

Raconte moi!

Louise »

J'étais tout à la fois surprise de la familiarité de Louise, flattée qu'elle ait une pensée pour moi qui n'étais rien pour elle et ravie de pouvoir m'évader quelques minutes de l'ambiance glacée de mon bureau en racontant mes vacances à cette inconnue.

Je cliquai alors immédiatement sur le bouton « répondre » de ma messagerie et entrepris de lui raconter par le menu nos plus belles visites, nos meilleurs dîners et nos rencontres les plus chaleureuses.

Près d'une heure plus tard, elle savait tout de notre périple, beaucoup de mes goûts et même un peu de mes regrets.

Le temps passa et les mails de Louise devinrent une plaisante routine dans ma vie. Chaque journée passée au bureau était égayée par un de ces messages auquel je ne manquais jamais de répondre.

Nous partageâmes notre goût pour les voyages. Elle me raconta ses souvenirs d'enfance en Tunisie encore emprunts de l'odeur du jasmin, la Grèce et l'Espagne.

Je tâchai de la convaincre de visiter l'Islande en hiver et l'Argentine à pieds.

Les voyages du corps furent supplantés par ceux de l'esprit. Nous avions en commun l'amour de la lecture et passions de nombreux échanges à comparer les émotions que nous avions ressenties à la lecture de tel ou tel roman, notre attirance pour tel ou tel personnage, notre défiance à l'égard d'un autre. Nous nous recommandions des oeuvres parfois.

Lorsque Louise me faisait part d'un roman qui lui avait plu, je me précipitais chez le libraire le soir même pour immédiatement le dévorer en espérant y trouver le même plaisir qu'elle avait éprouvé.

Chaque fois que nos goûts divergeaient, j'en ressentais une véritable déception. Comme une éraflure à la perfection de cette amitié naissante.

Rapidement, nos échanges devinrent plus intimes. Les histoires de bureau, le patron libidineux, le collègue incompétent, les comparaisons de nos maris respectifs, les lendemains de disputes conjugales, la fatigue, les joies, les petits et grands bonheurs, tout devait être partagé.

Tout sauf le principal peut être. Tout sauf la peine au fond du coeur qui transparaissait au détour d'une phrase et la solitude parfois.

Une relation virtuelle s'était installée. Elle prenait plus de place dans ma vie qu'aucune de mes relations de chair et de sang. Et pourtant, les personnes qui se parlaient n'étaient pas réelles. Elles n'avaient pas de failles, pas de doutes, pas d'échecs à leur actif.

Elles semblaient parfaites bien qu'elles s'en défendissent.

Il fallait y remédier.

« Louise, raconte moi qui tu es vraiment. De quoi as tu peur? Pourquoi pleures tu? Raconte moi tes amies de la vie que tu mènes en vrai. Parle moi comme si j'étais juste une autre partie de ton âme. Oublie les filtres et les apparences. Parle moi vraiment!

Anna »

« Toi d'abord.

Louise »

Nous étions vendredi. Dehors, un froid sale enveloppait Paris. Je n'avais pas envie de travailler, de reprendre ce dossier pour la cinquième fois en sachant que ce ne serait pas la dernière. Le week-end était à ma porte et tout le reste pourrait attendre lundi.

J'avais envie de lui répondre. Vraiment.

Alors, je lui ai tout dit. Je lui ai raconté mon enfance, le manque et la solitude déjà. L'amie qui la combla et qu'il fallut quitter un jour parce que la vie est ainsi. Le fossé qui se creusa entre elle et moi. Sa perte à jamais inconsolée. Cette sensation d'être nulle part à sa place, de toujours usurper les qualités dont on me paraît parfois. La peur d'être découverte et le besoin d'être aimée.

Et le bonheur un peu retrouvé grâce à elle, grâce à ses mots, grâce à son attention. L'impression de compter depuis ces quelques mois.

Je lui ai tout dit et j'ai envoyé mon message, comme une bouteille à la mer.

Et j'ai attendu sa réponse.

J'aurais accepté qu'elle me demande d'oublier son adresse, qu'elle m'explique que je m'étais méprise, que je ne comptais pas comme ça pour elle mais qu'elle me souhaitait le meilleur pour la vie à venir.

J'aurais été comblée si elle s'était offerte à moi comme je m'étais donnée à elle.

J'ai attendu.

Le week-end a passé.

La moitié de la semaine aussi.

Puis, son nom sur mon écran:

« Désolée Anna! Je n'ai pas le temps de te répondre! Beaucoup de boulot, les dîners s'enchaînent. Je suis épuisée. Je te fais un mail dès que j'ai cinq minutes à moi.

Je t'embrasse,

Louise »

J'étais déçue. Déçue mais j'ai compris. Louise avait une vie bien plus riche que la mienne. Elle courait sans cesse d'expo en dîner, de concert en apéro improvisés. Son anniversaire était tout proche. Je n'avais évidemment pas choisi la bonne période pour lui parler comme ça.

Alors j'ai attendu encore un peu.

Elle n'avait pas menti.

Elle m'a répondu. Elle m'a raconté ses problèmes au bureau qui lui avaient pris tout son temps la semaine passée, un livre fraîchement terminé qu'elle allait m'envoyer et les prochaines vacances en Italie tout juste réservées.

Pas un mot sur elle.

C'est peu dire que mon coeur s'est gonflé de sanglots, que ma gorge s'est nouée jusqu'à ne plus pouvoir laisser passer ne serait ce qu'un filet de voix.

De toutes les possibilités qui lui étaient offertes, elle a choisi de me nier. Elle a balayé ma souffrance et ma déclaration d'un bonheur retrouvé d'un mail de lundi matin.

Comment pouvait elle croire que je pourrais faire comme si de rien n'était?

Jamais je n'avais parlé si honnêtement à quelqu'un. Je n'avais jamais confié ma fragilité à personne.

Je ne pouvais plus jouer à ce jeu maintenant qu'elle savait que le miroir dans lequel elle me regardait depuis tous ces mois était à ce point déformant.

Je n'ai jamais répondu à Louise.

Je n'avais plus assez d'esprit pour ça.

Au lieu de ça, j'ai pleuré pendant des jours et des nuits sans aucun répit, causant l'inquiétude et le désarroi de mon mari.

Quelque chose s'était brisé en moi. Quelque chose que je ne savais pas réparer.

Plus je pleurais et plus je perdais le sens de la mesure.

Cette femme qui n'était qu'une série de mails dans ma vie en devenait le pilier, la raison et le but.

Je perdis pied.

Je pris ma voiture, sans prévenir personne et les joues toujours ruisselantes de larmes, je parcourus les huit heures qui me séparaient de Montpellier pour la retrouver.

J'allais lui déclarer ma flamme de vive voix. Nous tomberions dans les bras l'une de l'autre. Je déménagerais sans doute pour me rapprocher d'elle et la vie s'écoulerait, heureuse et paisible, délicatement rythmée par nos rires et nos soirées partagés.

Tout irait mieux. Je pouvais sécher mes larmes. Je pouvais me détendre. Enfin.

A quelques kilomètres de Montpellier, j'étais parfaitement apaisée. Mes nuits sans sommeil ne pesaient plus sur ma conduite.

J'ai cligné des yeux.

Mes paupières en ont profité pour se sceller.

Le sommeil est toujours le plus fort.

Dans une descente dangereuse, j'ai perdu le contrôle de ma voiture.

Je n'ai pas eu peur. Je n'ai rien senti.

Je suis passé du sommeil au néant.

Louise fut la première personne que mon mari appela quand les pompiers l'ont prévenu.

Elle ne répondit pas.






  • J'ai dévoré votre texte ! Comme Anna, j'ai attendu la réponse de Louise, comme Anna j'ai été déçue que Louise ne réponde que brièvement, indifféremment, beaucoup plus tard. Et quelle fin ! je ne m'y attendais certainement pas, comme je ne m'attendais pas à la cruelle indifférence de Louise qui ne répondit pas à l'annonce de sa mort ! Bravo !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci beaucoup beaucoup pour ce si gentil commentaire! Merci!

      · Il y a presque 9 ans ·
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      lili0000

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