Louisiana
maddie-perkins
Je n'arrive plus à réfléchir, à aligner ces foutus mots, incapable de mettre de l'ordre dans mes idées, ou de mettre mes idées en ordre, si dans tout ça, tu vois une quelconque différence.
Voilà quelles sont les pensées de Maverick Kordwell devant ces deux lignes de poudre alignées sur la cuvette.
Putain, mec, sniffe moi ça et remet-toi au boulot, remet-toi en place, recolle les morceaux, vite fait. Le patron, il aime pas ça, les morceaux.
Si tu continues, c'est toi qui va finir aux chiottes.
Le murmure de Maverick est étouffé par le grincement de la porte, lorsque deux hommes entrent à leur tour dans les toilettes. Il reconnait les voix des officiers Jenkins et Geddes.
— T'sais comment les gens l'appellent dans not'service ?
— Kordwell..? Non, comment ?
— Dalton...
— Pourquoi ?
Sans bruit dans son box, l'inspecteur écoute le bruit répugnant de l'urine trouer la surface de l'eau. Plus que ça, il écoute le discours des deux hommes près de lui.
— Parce qu'il est incapable de voir la différence entre nous et les négros ! (il éclate de rire.) T'as pigé ? Il voit pas la différence de couleur !
Le rire se poursuit tandis que le jet d'urine cesse.
La narine de Maverick Kordwell va trouver la cuvette avant d'accueillir les deux lignes de poudre dans sa muqueuse. Il penche la tête en arrière, ses pupilles dilatées fixant le faux-plafond du commissariat.
— On est obligé de les supporter dans les locaux, mais personne nous demande de travailler avec ! (Un silence.) Tiens, passe-moi une serviette, y'a plus rien dans c'machin là.
— C'est vrai ce qu'on dit sur lui ?
Tandis qu'il les écoutent déblatérer sur l'existence d'un autre, la sienne, Maverick Kordwell s'assoit sur la cuvette, préparant ses poings et imaginant : une main pour une tête, agrippée aux cheveux courts, jusqu'au miroir. BAM. Suivrait un autre coup, le front contre le lavabo. CRAC. Et les dents, des échardes, sur ta putain d'langue, enfoiré.
— C'gars là est un cinglé si tu veux mon avis.
Maverick ouvre la porte et sort du box.
Devant lui, face aux lavabo, les officiers se figent comme ils découvrent son reflet dans le miroir sale.
— Cinglé ? répète Maverick. J'ai entendu dire qu'il était pire que ça...
Il retrousse les manches de sa chemise.
— Mon- mon- monsieur... ânonne Jenkins.
— C'est Inspecteur.
La porte des toilettes s'ouvre sur la silhouette d'un troisième homme.
Celui-ci remarque la raideur de Kordwell ainsi que ses deux poings serrés.
— Inspecteur, dit-il, le véhicule est prêt.
Un silence.
Les deux hommes observent le reflet de Kordwell comme celui d'un fantôme.
— J'arrive.
Un semblant de mouvement l'anime jusqu'à ce qu'il s'éloigne tout à fait de ses collègues.
— Un problème..? demande l'officier dans le couloir.
— Aucun.
Le premier observe son supérieur le dépasser tandis qu'il se dirige vers la sortie.
— Et Dixon, reprend Kordwell, appelez-moi Maverick, c'est un putain d'ordre.
2
Les deux hommes passent les portes en verre du commissariat.
Le vent souffle sur le parking, brûlant et désagréable jusqu'à ce qu'ils montent dans la voiture banalisée. Les portières claquent. L'inspecteur démarre.
— La fillette a disparue du Caffe Verde il y a moins de vingt-quatre heures, relate Claude Dixon. A première vue, la gamine jouait avec d'autres gosses à l'arrière de la boutique pendant que les parents discutaient devant, une espèce de terrasse d'après les photos.
Les yeux rivés sur la route, Maverick Kordwell imagine la scène, ou plutôt les scènes, dans l'ordre des probabilités.
— Qui dirige cet endroit ?
— Papa Clarice, une femme. C'est un café réservé aux personnes de couleur, ils ont même érigé une pancarte au dessus de la porte : "interdit aux blancs".
— Traitons le rejet par le rejet, c'est ça ?
L'officier Dixon acquiesce mollement comme il regarde le paysage marécageux défiler derrière la vitre.
— C'est plus complexe.
Maverick Kordwell observe son coéquipier puis retourne au bitume.
— Comment ça ?
Claude Dixon médite un instant avant de répondre :
— Imaginez deux secondes, vous êtes blanc...
— Je le suis, l'interrompt Maverick.
— Vous êtes blanc, sourit Dixon, vous vous perdez dans le bayou, marchez durant des heures, il fait chaud, au moins autant qu'aujourd'hui, et vous avez soif au point d'être prêt à buter votre mère... (Maverick rit doucement.) Maintenant vous découvrez un bar dans ce désert, un café. Vous approchez, et là, vous voyez cette fichue pancarte s'agiter au bout de ses vieilles chaines : "interdit aux blancs". Que ressentez-vous ?
L'inspecteur Kordwell demeure un instant silencieux avant de déclarer :
— Probablement de la haine.
— Ouais, mais pourquoi ?
— Parce que ces gens possèdent ce que je veux mais que je n'obtiendrai pas.
— Ce qui signifie..?
Kordwell réfléchit.
— Que le noir me domine, et qu'advient cette société renversée que je crains tant, la fameuse domination nègre.
— Oui monsieur ! (Dixon applaudit pour la galerie.) La terreur d'un renversement de l'ordre racial.
Maverick reste dubitatif.
— Nous en revenons au rejet, insiste-t-il, et cela ne fera que renforcer la haine raciale.
— Les blancs ont commencé cette bataille...
L'inspecteur lève la tête.
— Qu'est-ce que c'est Claude ? Un un contre un dans ma voiture ?
L'autre éclate de rire.
— Je suis un peu théâtral.
— Sans déconner, murmure Maverick.
Devant eux apparait alors la baraque sur pilotis, dissimulée à l'arrière des fougères du marais et de sa surface uniforme verte.
— Que va t-on trouver ici..? poursuit Maverick Kordwell en se penchant vers le pare-brise.
— De l'aide, répond Dixon, j'espère.