Love letters (1)

Nathalie Bleger

Mélanie trouve des lettres dans le grenier de sa grand-mère. A qui sont-elles adressées, par qui ont-elles été écrites ? Parfois la curiosité est un vilain défaut... En vente chez The book edition.

MELANIE

Lost song

Prologue

Je regardais la vieille balançoire s'agiter sous la brise légère, un petit vent frais entrait par la fenêtre en sous pente, au-dessus des arbres et des toits. Curieux comme le paysage change quand on change d'étage, curieux de redécouvrir le monde de plus haut, il change, ment, donne le tournis. Il est si loin cet arbre, et c'est déjà la mer, là bas ? J'apercevais aussi le « château », une grande demeure non loin de là, baptisée de la sorte par les villageois, tellement elle était imposante et détonnait dans le paysage. Rien à voir avec notre maison, cette petite baraque que je reconnaissais à peine, à l'époque je la connaissais à hauteur de nombril, quatre ans et toutes mes dents, l'été avant le divorce de mes parents.

Tout était désormais plus petit et plus vieux, la balançoire en bois avait craquelé, il n'y avait plus que des framboisiers desséchés dans le jardin, tout petit jardin. Je me sentais mal à l'aise, voleuse dans la grande chambre à ouvrir les armoires, sentir les bouffées de lavande séchées et regarder les draps brodés, les draps de ma grand-mère. C'était sa maison, héritage tout récent, j'y revenais pour la première fois depuis mes 4 ans –et sa mort. Je n'avais jamais bien compris pourquoi nous n'étions jamais revenus là, ma grand-mère était adorable, elle venait souvent nous voir à Paris, mais ma mère refusait obstinément de revenir dans le village de son enfance.

Étrange de se promener dans les vieilles pièces et reconnaître les papiers peints vieillis, de chercher les traces de ma vie d'enfant. Évidemment c'était idiot d'espérer quoi que soit, comme de retrouver le passé, mais la curiosité me titillait. C'est ce qui m'avait amenée, après avoir fureté dans le salon et la chambre, à me glisser dans le grenier, le cœur battant.

A la fois je savais que c'était chez moi, ma grand-mère m'ayant formellement légué cette maison par son testament, à la fois je me sentais curieuse, voleuse. Les lattes de bois craquaient sous mes pas, la chaleur bruissait sous la charpente et l'odeur du vieux bois et de la poussière me donnait un peu le tournis. Ma mère avait beaucoup insisté pour que je la vende sans même y retourner, tellement que ça m'avait convaincu d'y retourner, pour voir.

- Ne t'encombre pas de cette vieillerie, avec l'argent tu pourras t'acheter un studio, me disait- elle de sa voix douce, en souriant.

- J'aimerais bien y retourner, une fois, pour voir, m'entêtais-je à répondre.

- Voir quoi ? Il n'y a rien. De vieux murs, des meubles poussiéreux. Rien pour toi.

- On verra bien…

Et j'étais là, le cœur en chamade. Dès la fin de mes examens de mai, j'avais pris le TGV direction le vieux village, avec une grande valise – à peu près tous mes vêtements. J'avais oublié tout le lierre dévorant les pierres centenaires, à moins qu'il n'ait poussé depuis. J'avais oublié les araignées aussi, de belles toiles partout autour de la porte, une horreur. De quoi envisager de repartir tout de suite, sans même franchir le seuil. Mais j'avais un peu plus de fierté que ça, je ne voulais pas qu'il soit dit que j'avais renoncé à cause de quelques toiles.

Bien sûr tout paraissait plus petit, étriqué, mais il y avait l'odeur de la mer, le soleil au dessus des nuages laiteux, les bougainvillées en fleur, et j'avais frissonné. L'été à Paris ne me disait rien, ma copine Muriel révisait pour le rattrapage –version officielle. En fait elle passait ses après midi avec Michael et il m'agaçait, sans raison. Il partageait déjà ses nuits, il aurait pu la lâcher un peu en journée, non ? Non. Du coup la veille maison au bord de la mer devenait un pèlerinage, presque une aventure.

L'osier de la malle poussiéreuse a craqué sous mes pieds, j'ai quitté des yeux le paysage marin pour redescendre à terre, la prochaine fois je monterai avec un escabeau, ce sera plus sûr. J'allais redescendre dans la chambre, à l'étage du dessous quand je me suis décidée à soulever le couvercle de la malle, après avoir difficilement défait les liens en cuir, et m'être cruellement pincé les doigts. Bêtement j'ai pensé à ces vieux contes de fées où il ne faut pas tenter le sort, pas chercher à percer les mystères sous peine de le payer de sa vie. J'ai haussé les épaules, j'étais plus rationnelle que ça, quand même. Une abeille entrée subrepticement par l'interstice m'a tourné autour, j'avais presque du mal à la voir dans les rais de soleil poussiéreux, des grains énormes.

J'ai souri en pensant à mon père allergique aux acariens, et je me suis penchée sur la malle, à genoux. Deux éternuements plus tard j'avais retrouvé des vêtements vintage aux couleurs bariolées, un voile de mariée, des gants blancs en satin et des jouets d'enfant. Pas les miens, ceux de ma mère, ou de mon oncle Paul, sans doute. Toute leur enfance, dont ils parlaient peu, sujet mineur. Rien en comparaison de leur vie à Paris, les sorties, les amis, les voyages.

J'ai un peu fouillé, histoire de ne pas m'avouer vaincue, et j'ai trouvé dans une boîte de gâteaux en métal rouillé un paquet de lettres entourées d'un cordon rouge, comme dans les films. Juste les lettres, bien pliées en quatre, pas d'enveloppes. Une aubaine pour ma curiosité, un bon passe-temps en attendant la soirée. Un trésor à découvrir, avec les photos dénichées un peu tôt au fond du tiroir de la bergère –au fait, c'est quoi une bergère ? Des photos d'enfants et d'adolescents un peu gauches, en mini jupe et mini shorts, frange improbable et moue boudeuse sur les genoux des grands parents ou sur la plage, à côté des planches à voile.

J'ai serré les lettres sur mon cœur, enfin enjouée, avant de redescendre sur la terrasse, face au jardin.

Mon amour,

Oserais-je t'appeler mon amour, autrement que par jeu ou par défi ? Oserais-je seulement envisager quoi que ce soit entre nous, vu la situation ?

On va dire que c'est pour rire, comme quand on était petits et qu'on faisait semblant. J'aimerais revenir à cette époque bénie des émois sans conséquences, ma vie actuelle est trop compliquée, trop lourde désormais. Comment rebrousser chemin quand on se rend compte au milieu du gué qu'on a fait fausse route ? Y a-t-il une marche arrière, un chemin de retour ? J'entends encore résonner les cloches de ton mariage, je revois le tulle et les demoiselles d'honneur, tout est allé trop vite, trop loin.

Je ne sais pas si je t'enverrai cette lettre, fait-on des déclarations définitives sur des regards appuyés, un baiser volé ? Passé 15 ans, non, et nous n'avons plus 15 ans.

J'essaie de démêler ce qui est ivresse passagère de ce qui est amour, et encore, l'amour, je n'y ai jamais cru, avant. J'ai frôlé ta bouche hier, après la soirée, nous étions ivres, tu as peut être même déjà oublié. Moi je n'oublie pas, même si je me dis que c'était juste un élan, une connerie. Bien cachés sous le saule nous avons enlacés nos mains au milieu des branches, un abri bienvenu mais bien imparfait, j'ai encore le goût de ta bouche sur mes lèvres, tu sais.

J'ai peur de te revoir, peur que tu ne t'en souviennes pas, ou pire, peur que tu t'en souviennes et que tu m'en veuilles. Je ne sais pas si j'irai me baigner avec vous, tout à l'heure, j'ai peur. Peur et envie.

Je ne sais plus où j'en suis, je crois.

A suivre...

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