Love letters 12

Nathalie Bleger

Mélanie trouve des lettres dans le grenier de la maison de sa grand-mère. A qui sont-elles adressées, par qui ont-elles été écrites ? Parfois la curiosité est un vilain défaut...

 

MELANIE

Chapitre 12

Brother Sparrow

 « Brother Sparrow » est un titre d'Agnès Obel.

Les trilles des oiseaux m'éveillent, je mets quelques secondes à réaliser où je suis, accablée. Je voudrais fermer les yeux et tout oublier, mais il va falloir se lever, se laver, affronter les autres, alors je soupire et j'ouvre les volets discrètement. Un rai de soleil passe à travers les persiennes, il fait beau, si beau ce matin. L'air est frais et pur, un parfum de fleurs monte jusqu'à moi, la pelouse impeccable est d'un vert obsédant, des rosiers blancs l'entourent, tout est parfait. Des bruits de voix montent jusqu'à moi, des voix masculines, une porte de voiture claque puis j'entends un bruit de moteur.

Je me résous à me laver alors que mes vêtements sont sales, je les réenfile avec dégoût, mal à l'aise. Il va falloir descendre déjeuner mais je ne ressemble à rien avec des habits poussiéreux et mes yeux gonflés. J'envisage une seconde de disparaître en laissant un billet de 100 euros sur le lit, mine de rien. Pourtant je suis à peine en train d'essayer de démêler mes cheveux mouillés qu'on frappe doucement à la porte, c'est Louis :

- J'ai vu que les volets étaient ouverts, alors je suis monté. Ça va ? dit-il en voyant mes yeux rouges.

- Oui, oui, ça va. Je me suis mis du shampooing dans les yeux, c'est rien.

- D'accord. Ecoutez, ma sœur Océane a laissé quelques vêtements ici, vous voulez les mettre, en attendant de retrouver votre valise ?

- Je ne veux surtout pas vous déranger…

- Oh, ça ne nous dérange pas, vous savez, ça nous arrive souvent de dépanner des gens qui se sont tachés en goûtant les vins, ou qui ont déchiré leurs vêtements dans les vignes. Aucun problème ! Ce sera peut-être un peu grand pour vous, mais ça ira pour aujourd'hui. Tenez, tout est là, dit-il en me tendant un sac plastique.

- C'est vraiment trop gentil.

- Mais non. Allez, à tout de suite pour le café, il est déjà 10 heures passées… Je vous attends, Cendrillon, ajoute-t-il avec un petit clin d'œil.

Sur le coup je me sens un peu mal, comme une gamine en faute, prise la main dans le sac. Que s'imagine-t-il ? Que je vais lui céder pour un oui ou un non ? Je ne suis pas comme ça, oh non. Et puis je suis mariée, non ?

Cette idée me coupe les jambes et je m'assois à nouveau au bord du lit, anxieuse. Je n'ai pas envoyé de SMS hier soir, j'ai pleuré comme un gros bébé, je suis une idiote. Je fouille dans le sachet, les vêtements sont propres mais d'un style particulier, pas le mien. Je ne porte jamais ce genre de bleu, ni de jean taille haute. Bah, tant pis. Je jette un œil dehors, le couple d'Anglais enfourche une bicyclette et s'éloigne. Je parie que mes hôtes m'attendent de pied ferme en bas, flûte.

A mon arrivée mon hôtesse se précipite pour savoir comment j'ai dormi, je comprends qu'elle attend des compliments sur sa chambre, je me manque pas de la satisfaire pour avoir la paix. Sur une jolie table du salon m'attendent des tasses et des cannelés faits maison, un délice. Le jus d'orange fraichement pressé m'adoucit la gorge, je reprends une tasse de café chaud, enfin seule. Je décide de ne pas lire les journaux, même s'il y a peu de chance qu'on y parle de moi. Le chien vient tourner autour, je comprends qu'il attend une gâterie et je lui glisse un cannelé et un croissant, en douce.

- Vous avez bien déjeuné, ça fait plaisir, lance Marie en revenant débarrasser la table. Vous serez encore avec nous à midi ? En principe on ne fait table d'hôte que le soir, mais on peut faire des exceptions.

- Comment ? Non. Non, non, je vais repartir, je ne veux pas vous déranger davantage.

- Mais il n'y a pas de dérangement, ma petite dame. Votre époux va passer vous prendre ?

- Je… en fait je vais le rejoindre en bus, à Bordeaux. La voiture est toujours immobilisée à Bordeaux, en fait.

- Mince, pas de chance. Mais vous n'allez pas repartir en bus, c'est bête. Je peux vous accompagner, je vais à Bordeaux tout à l'heure, fait Louis en entrant dans la pièce à son tour. Je vous prends à 11h, ça vous va ?

- Oui, oui, très bien. Mais ça me gêne…

- Mais non. On sait ce que c'est, les pannes, vous savez. Ca nous arrivait tout le temps, avant la BM.

Marie opine avec satisfaction, je me console en me disant que je vais partir bientôt. Je ramasse mes maigres affaires en quelques minutes, les yeux fixés sur mon portable éteint. Il faut que je trouve une excuse, une explication. Il faut qu'ils me laissent encore un peu de temps. Juste encore un peu de temps.

Je descends, pressée, la cour est déserte mais j'aperçois le jeune homme aux cheveux roux à travers la fenêtre de la réception. Merde, il va falloir que je paie auprès de lui, j'espère qu'il ne va pas faire d'histoires. Je me plante en face de lui, mes billets à la main, il marmonne un vague « bonjour » puis m'annonce une somme rondelette sans même me regarder. L'hospitalité se paie cher ici, je me demande si on m'a facturé les vêtements de la sœur aînée au prix fort, quand mon hôtesse fait irruption à l'accueil :

- Mais enfin Pierre, ça c'est les tarifs haute saison pour deux personnes, tu veux faire fuir les clients ou quoi ? Allez, pousse-toi de là. Ça fera 100 euros, mademoiselle. Madame, pardon.

- Vous êtes sûre ? Je peux payer vous savez.

Le rouquin se lève en marmonnant et disparaît, je ne lui laisserai pas un souvenir inoubliable.

- Non, non, pas de souci. Vous serez toujours la bienvenue ici, avec votre époux bien sûr. Nous serons très heureux de vous accueillir. Nous faisons des tarifs « lune de miel » vous savez.

- Merci, dis-je en rangeant rapidement l'enveloppe. Je vous renverrai les vêtements.

- Bah, elle ne les met plus, de toute façon. Surtout dans son état…

- Merci beaucoup, madame. Au revoir.

- Au revoir !

Je lui lance un petit sourire, son fils m'attend dehors, au volant de sa voiture, un 4x4 noir rutilant. Son frère le rejoint, une caisse de bouteilles de vin dans les bras :

- Tu te fais pas chier ! C'est pas ta caisse…

- La mienne est en révision. Et puis je livre pour le domaine, pas vrai ? Allez, mets ça dans le coffre et casse-toi.

L'autre s'exécute en râlant, un trait de caractère constant chez lui, a priori. Je monte sur le haut siège, une odeur de cuir vient me chatouiller les narines.

- Vous n'avez rien oublié ? Bon, on y va !

Il démarre et nous traversons la propriété, il y a des vignes à perte de vue, d'un vert éclatant. Le chien nous suit en aboyant puis s'arrête, la maison disparait dans le rétroviseur. Les champs succèdent aux villages, parfois je reconnais le nom d'un cru ou d'un cépage, la radio déverse de la pop anglaise, nous restons silencieux. Je me concentre sur le paysage, priant pour qu'il ne me pose pas trop de questions.

Petit à petit la circulation de fait plus dense, les camions se suivent et se dépassent difficilement sur la nationale étroite.

- Vous avez rendez-vous où ?

- Pardon ? dis-je en sursautant.

- A Bordeaux. Votre mari vous attend où ?

- Ah ? Euh… je ne sais plus. Arrêtez-moi là où vous allez, ce sera très bien.

- Mais c'est grand Bordeaux vous savez, et vous risquez de vous perdre. Appelez-le, on définira un rendez-vous.

Une vague d'angoisse déferle sur moi, je me mords les lèvres :

- Je n'ai plus de batterie. Dans mon portable.

- Prenez le mien, fait-il en me le tendant.

- Je…

Je regarde le portable dernier cri, un peu désespérée. Le numéro de Seb ne me revient plus, je suis tétanisée. Il se tourne vers moi et me sourit :

- Vous vous êtes fâchés, n'est-ce pas ?

- Comment ?

- Il ne vous attend pas, pas vrai ? Vous vous êtes engueulée avec lui et vous avez fui, non ? Allez, dites la vérité, ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

- …

- C'est pas si grave, vous savez. Ça arrive souvent, au début du mariage. On s'attend à vivre un conte de fées et c'est pas ça, alors on fuit. Il sait où vous êtes ?

Je secoue la tête, les larmes aux yeux, cherchant vainement un mouchoir dans mon sac.

- Vous voulez que je vous ramène chez vous ?

- Non, merci, dis-je plus fermement.

- Vous n'irez pas bien loin comme ça, vous savez. Pas de vêtements, pas même une brosse à dents. Et vous avez l'air complètement paumée.

- Merci. Mais je ne veux pas rentrer chez moi. Pas pour l'instant.

- Pas même chez vos parents ?

- Ils sont à Paris, ils ne savent rien. C'est entre… lui et moi. Ça ne regarde personne.

- C'est si grave que ça ? souffle-t-il doucement.

- Pour moi, oui. J'ai besoin de réfléchir.

- D'accord, je comprends. Vous êtes la mieux placée pour savoir ce que vous devez faire. Mais dites-moi la vérité : vous avez quelque part où aller ?

-Oui… dis-je en reniflant comme une imbécile en tordant mon mouchoir.

- Ah oui ? Où ça ?

- Près de la gare.

- Vous allez rentrer chez vous à Paris ?

- Oui…

- Mais vous m'avez dit le contraire il y a deux minutes...

Pour un peu je sauterais en marche, j'envisage de descendre au prochain feu rouge, je me sens faite comme un rat. Il me fixe avec sollicitude, il doit me prendre pour une tarée. Ce que je suis, à n'en pas douter.

- Laissez-moi, je vous en prie. Arrêtez-moi au prochain feu, je me débrouillerai.

- Ca m'étonnerait. Vous avez l'air d'un chaton perdu, et les félins rôdent dans le quartier de la gare, croyez-moi. Vous ne ferez pas long feu ici. Ecoutez-moi, vous voulez réfléchir, OK. Restez un peu chez nous, tranquillement, et après vous aviserez.

- Non, je ne veux pas abuser.

- Vous n'abusez pas, vous paierez, rassurez-vous. Je ne serais pas tranquille de vous laisser là, vous êtes trop mal. Vous savez ce qu'on va faire ? Pendant que je livre ma caisse de vin vous allez vous acheter quelques vêtements, et je reviens vous chercher. C'est pas difficile de trouver des petits boulots, ici. On vous fera un prix pour la pension.

- Mais…

- Juste pour trois ou quatre jours. Je suis sûr que quand vous vous sentirez mieux vous verrez les choses autrement, et vous vous réconcilierez avec votre mari. Je promets même de ne plus vous poser de questions, et de demander à ma mère de ne pas vous en poser.

Je fixe la route, la voiture devant nous, l'esprit vide. Une chape de plomb pèse sur mes épaules, la fatigue d'hier et d'avant-hier, tous ces évènements. Je n'ai pas envie de retourner chez eux, mais la solitude m'effraie, je ne sais plus quoi faire.

- Vous savez Amélie, j'ai une sœur moi aussi et j'aimerais qu'on s'occupe d'elle si elle fuyait un jour. Surtout avec l'énergumène qu'elle a épousé. Bref. Vous ne risquez rien avec nous. Dites-moi oui…

- Je ne sais pas.

- Bon, je vous dépose devant le centre commercial, rendez-vous dans une heure ici même. Si vous n'y êtes pas, je comprendrai. Mais réfléchissez…

J'opine et descends de la voiture, j'ai la tête qui tourne, je suis incapable de réfléchir, choisir. Il repart dans un vrombissement, autour de moi je vois des mères de famille avec leurs caddies, c'est un lundi comme les autres.

Sauf que je ne sais absolument pas quoi faire, ni où aller. Je suis le flot à l'intérieur, un peu sonnée…

oOo oOo oOo

J'erre longuement entre les rayons, rien ne me plaît, rien ne convient. J'ai presque l'impression de ne plus savoir qui je suis, quelle femme en moi je veux habiller. La jeune fille en fuite, la jeune mariée, la future prof ? Je ne suis ni l'une ni l'autre, j'évite même mon reflet dans les miroirs. Je ne ressemble à rien, à part à une fuyarde, au regard flou. Les robes ne me tentent pas, surtout pas les courtes ou décolletées, les pantalons à peine. Je ne sais pas quoi faire ni où aller, comment se choisir une garde-robe ?

Le temps tourne, il faut que je me décide, je vois que les vendeuses me lancent des coups d'œil soupçonneux, j'attrape au hasard des T-shirts blancs et un jean, avec un peu de chance j'aurai même un peu de temps pour acheter des affaires de toilette.

Quand je ressors du centre commercial, chargée de paquets et délestée d'une bonne somme je cherche la voiture des yeux, presque malgré moi. Je pourrais partir, disparaître, changer de vie ou reprendre ma vieille identité, je n'en ai pas envie. Pas l'énergie. Tout est encore trop confus, aléatoire, donc je me dirige naturellement vers Louis qui m'attend en souriant, en double file.

- Alors, vous avez réfléchi ?

- Non, même pas. Pas vraiment.

- Vous voulez qu'on aille boire un café, pour faire le point avant de rentrer ?

- Vous n'êtes pas pressé ? Vos parents ne vous attendent pas ?

- Non, répond-il en riant. C'est pas à ce point-là quand même. Je vais me garer, il y a une terrasse sympa pas très loin.

Il démarre sans que je réponde, bientôt nous sommes à la terrasse fleurie d'un grand restaurant, parmi les couples et les familles. Les voitures passent non loin, le niveau sonore est élevé mais la douceur du soleil invite à la détente, au milieu des arbustes. Je suis un peu gênée d'être attablée ainsi avec lui, pour un peu on pourrait nous prendre pour des amoureux, j'évite le regard des gens. Le serveur nous dépose des cocas, Louis me fixe avec un petit sourire, derrière sa paille.

- Pourquoi vous me regardez comme ça ? je demande, un peu agacée.

- Vous avez l'air tellement mal à l'aise que je me demande si vous n'êtes pas en fuite, ou si vous n'avez pas braqué une banque, mademoiselle.

- Rien que ça ! J'ai l'air d'un gangster ?

- D'un gangster non, mais d'une personne en fuite, oui. Vous voulez me raconter ?

Une onde de panique me traverse, que dire ? Jusqu'où avouer ? Je crois que j'aimerais me confier mais c'est trop dangereux, je cherche un scénario plausible à toute vitesse en sirotant mon verre.

- Je… pas pour l'instant, non. C'est un peu trop tôt.

Il acquiesce d'un air entendu, je me demande ce qu'il imagine. Dans quel film est-il parti, quel genre d'héroïne suis-je pour lui ?

- Rassurez-moi, vous n'avez tué personne ?

- Non, quelle idée !

- Pas de harcèlement, de vol, d'espionnage ?

- Vous trouvez vraiment que j'ai la tête d'une espionne ?

- Hum… non. Ou alors vous êtes très forte. Mais avec les jolies femmes, il faut se méfier.

Je souris malgré moi, il fait une petite moue sceptique. Autour de nous les conversations vont bon train, je me rapproche un peu de lui :

- Je vous promets que c'est juste une histoire de couple, enfin une histoire de famille un peu compliquée, je n'ai fait de mal à personne. Mais pourquoi je me justifie, au fait ?

- Parce que je ne veux pas être condamné pour recel ou dissimulation de preuves, ou pire. Nous sommes une maison sérieuse, mademoiselle.

- Madame. J'ai vu ça, oui. Mais votre mère va trouver ça bizarre si je reviens, non ?

- Bah, on va inventer une histoire, ça va aller… Et pourquoi ne pas dire la vérité, que vous vous êtes fâchée avec votre mari ?

- Oui… On pourrait dire ça. Rien de très grave mais j'ai besoin de réfléchir, sans lui. En revanche je crains de ne pas avoir suffisamment d'argent pour vivre longtemps chez vous.

- Vous ne travaillez pas ?

- Non, je suis étudiante.

- Et vos parents savent où vous êtes ?

- Non, pas pour le moment.

- Excusez-moi d'être aussi direct mais j'ai vu que nous vous promeniez avec une enveloppe de billets. Vous n'avez pas un compte en banque, une carte de crédit ?

Je me tais, gênée, il hoche la tête :

- Vous êtes interdit bancaire, c'est ça ?

- Mais je veux bien travailler pour gagner de l'argent, sans problème. Je ne demande pas l'aumône.

Je me dis que je ferais mieux de partir, tout laisser en plan au lieu de me retrouver dans ce genre de situation absurde mais la fuite ne me mènera nulle part, et je suis déjà bien fatiguée. Où aller ? Quoi faire ? Je n'ai pas l'âme d'une aventurière, rentrer serait m'exposer à tout raconter et je ne me vois pas parler des lettres à ma famille, pas encore. Il me fixe attentivement, essayant de me sonder l'âme, puis murmure :

- J'ai peut-être une idée. Il faut juste que je vérifie à la maison. Ça peut marcher, si vous êtes vraiment prête à travailler.

- Je suis vraiment prête à travailler, dis-je après un instant de réflexion, en relevant la tête.

- OK. Allons-y alors, il est déjà tard.

A suivre…

 

  • Quel suspense ! Là voilà qui repart chez Louis ...je ne sais pas pourquoi mais à sa place je n'aurais pas voulu. Je pense qu'en fait, me mettant à sa place, ses trop fréquentes questions m'auraient fait fuir ...
    Vivement la suite...enfin non, prends ton temps quand même !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci de ton incroyable fidélité... merci, mille fois merci !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      47864 100556540008068 2367900 n

      Nathalie Bleger

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