Love letters 15

Nathalie Bleger

Mélanie trouve des lettres dans le grenier de la maison de sa grand-mère. A qui sont-elles adressées, par qui ont-elles été écrites ? Parfois la curiosité est un vilain défaut...

 

Chapitre 15

EMMANUEL

I can't tell you why


"I can't tell you why" est une chanson des Eagles

Le lendemain je retrouve Sébastien à la plage en fin d'après-midi, surveillant d'un œil distrait Manon et ses copains. Le ciel est voilé mais il fait lourd, je traîne un vieux mal de tête, sans doute dû à une mauvaise nuit. J'ai annoncé à ma mère tout à l'heure que je partirai bientôt, elle a opiné mollement, peu intéressée. J'ai cru comprendre qu'elle ne quitterait pas les lieux tant que Mélanie ne sera pas rentrée, ça me paraît absurde même si je comprends son désarroi, sa douleur de mère.

- Salut Seb, je peux m'installer à côté de toi ?

- Bien sûr, fait-il en soupirant. Du nouveau du côté de Mélanie ?

- Depuis hier soir ? Non. J'ai pas essayé de la rappeler, comme je n'ai rien appris.

- Ca, c'est le moins qu'on puisse dire. T'espérais quoi ? Que mon père te crache tout, comme ça, sans problème ? C'est un dur à cuire tu sais, même nous on n'arrive pas à le faire parler.

- Je sais, j'ai été idiot. Même quand il m'a demandé de ses nouvelles je n'ai rien osé lui dire, alors que c'était l'occasion idéale, fais-je en soupirant.

Sébastien, qui laissait courir du sable entre ses doigts, s'interrompt brutalement :

- Il t'a demandé des nouvelles de Mel ?

- Ben oui, pourquoi ?

- Il n'en parle jamais d'habitude. Du moins avec moi. Je croyais qu'il s'en foutait, de ma femme. Tu sais, ça me fait bizarre de l'appeler « ma femme ». A peine épousée, aussitôt disparue… comme si on lui avait jeté un sort, ou un truc comme ça. On a passé des mois ensemble, sans jamais se séparer ou presque –surtout à cause de l'attitude de nos parents- et juste quand on se marie, quand on est légitiment ensemble, pouf, elle se barre. C'est un truc de fous, non ? J'arrête pas d'y penser, tout le temps. Ca me rend dingue. Tu comprends ?

- Oui, je comprends.

- Mais pourquoi elle ne m'a rien dit, à moi ? Tu sais ça ?

- Non, vraiment pas. Elle m'a juste dit qu'elle avait honte, ou un truc comme ça.

Il me fixe gravement :

- C'est ça que je ne comprends pas. On a honte de ce qu'on fait, pas de ce que les autres ont fait, surtout 20 ans avant. Ou alors il y a autre chose…

Je hausse les épaules, impuissant. Tout cela est loin d'être clair, dans nos familles chacun joue au poker menteur, ça n'arrange rien.

- Et alors, qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? me demande-t-il plein d'espoir.

- Je sais pas. Je sais vraiment pas.

J'ai envie de lui dire « Je vais me barrer et vous laisser résoudre vos embrouilles tout seuls » mais il a l'ait tellement paumé que je n'en trouve pas le courage. Il est sympa au fond, c'est un pauvre type pris dans un ouragan, et ma sœur est certainement cinglée. Il finit par ajouter, à voix basse :

- S'il y avait quelqu'un d'autre, tu me le dirais, hein ?

- Quelqu'un d'autre ? Non, je ne crois pas, non. C'est pas le genre de ma sœur. Et puis… si vous vous êtes mariés, c'est que vous vous aimiez, non ?

- Bien sûr, raille-t-il. Bien sûr. Même si c'était une simple formalité administrative pour pouvoir vivre ensemble. J'ai pas l'impression qu'elle voyait quelqu'un d'autre, ni qu'elle me faisait des cachotteries, même si elle a toujours été un peu… secrète. Et puis je n'ai jamais surpris de coups de fil, ou trouvé de lettre compromettante, ni rien.

Sébastien s'interrompt, sourcils froncés. Je me garderai bien de lui rappeler la lettre trouvée sous la valise, émanant de son père. Son père qui voulait justement avoir des nouvelles, hier soir. Non, non ce n'est pas possible. Mélanie n'est pas capable de ça. Epouser le fils alors qu'on est amoureuse du père, ça ne lui ressemble pas. Jamais de la vie.

Je regarde les gamins s'éclabousser en poussant de hauts cris, la plage est moins bondée que d'habitude, en raison de l'absence de soleil. Sébastien semble préoccupé, il se tait et joue machinalement avec un petit coquillage. Je sens mon portable vibrer avec insistance dans ma poche, je finis par le sortir, agacé. 5 messages en absence. Rien que ça.

- Bon, Seb, je vais devoir te laisser. A la prochaine ? Et puis ne te torture pas trop, ça ne sert à rien. C'est juste un malentendu, ça s'arrangera.

Il acquiesce sans conviction, je repars, pas très fier de moi. J'éteins mon portable, après tout je suis en vacances, non ? Marre de rendre des comptes, qu'on me foute la paix, merde ! Je flâne sans but le long de la plage puis des rues, la circulation est plus dense que d'habitude, je ne suis pas pressé de rentrer.

Arrivé devant la maison j'entends des éclats de voix. Mon père serait-il là ? J'hésite à entrer, une énième dispute va encore me scier les nerfs, c'est déjà assez pénible comme ça. Je jette un coup d'œil dans la rue, il n'y a pas sa voiture, c'est étrange.

Je m'assois sur les marches, hésitant. Je tends l'oreille, je ne reconnais pas la voix de mon père, celle-ci est plus grave, plus sourde. Ma mère commence à partir dans les aigus, signe d'énervement grandissant, je reconnais son pas qui claque sur le carrelage.

- C'est de ta faute ! Tout ça c'est de ta faute !

- Non, pas du tout. Je n'y peux rien si elle a trouvé des lettres qui traînaient ici…

- Elles ne traînaient pas ! C'est elle qui a fouillé, ça ne la regardait pas. Je savais bien qu'elle n'aurait pas dû venir ici, j'aurais dû lui interdire de mettre les pieds ici, vendre la maison !

- Avec des « si » on refait le monde. C'est trop tard maintenant, fait une voix cassante, familière.

J'entends des bruits de pas, j'imagine ma mère en train de faire les cent pas dans la cuisine, je me demande ce qu'ils font là, tous les deux. J'ai à la fois envie de fuir et d'écouter, pour savoir, enfin. Mon cœur accélère, avec un peu de chance j'aurai les réponses que j'attends mais certains bruits de raclement de chaises m'empêchent de comprendre tout ce qu'ils se disent.

- Mais tout ça c'est de ta faute ! Comment t'as pu faire ça ? T'es un vrai salaud !

- Ah, parce que toi t'es un ange ? Moi je veux bien raconter, mais il faudra tout dire, alors…

- Non ! Non Philippe, je t'en prie.

- De toute façon, ils sauront un jour. Tout se saura, Marie…

- Non ! Tu crois qu'il n'y a pas déjà eu assez de dégâts comme ça ?

Le silence qui suit est un peu inquiétant, je me rapproche de la porte, anxieux. Les voix reprennent plus sourdement, trop basses pour que je les perçoive distinctement.

Soudain la porte s'ouvre, je me trouve nez à nez avec le père de Sébastien, Philippe, qui me foudroie du regard.

- Décidément, c'est dans la famille, l'espionnage, siffle-t-il. Laissez-moi passer !

Je fais un pas de côté pour qu'il sorte et je le regarde s'éloigner, cœur battant. Il remonte la rue et rentre chez lui en claquant le portail, je reste abasourdi.

oOo oOo oOo

Bien sûr l'entrevue avec ma mère -après la « sortie » fracassante de M. Delmas- a été réduite à sa plus simple expression, elle avait déjà les yeux rouges et l'air à bout de nerfs. Elle est montée dans sa chambre en brutalisant la porte, charmant. Et dire qu'il ne se passe rien, que tout cela est censé n'avoir aucun impact sur nous ! Quand je pense que ma mère ne prêche que par la vérité et le respect des autres, je tombe des nues. Qui se cache derrière la femme mûre toujours bien mise, souriante, bien coiffée ?

Je reste à errer dans le salon surchauffé, me demandant si toute mon existence n'a été qu'un joli mensonge, jusque là. Tant de mystères et de semi révélations me sidèrent, à croire que c'est un complot, ou au moins de belles embrouilles. J'ai beau tourner les phrases saisies au vol dans tous les sens, elles restent obscures. Sauf que visiblement tous les deux ont quelque chose à se reprocher, eux qui paraissent si sages, si parfaits. Toujours impeccables, toujours sentencieux. C'était mon père qui passait pour un méchant garçon jusque-là, les rôles sont inversés, je commence à comprendre le trouble de Mélanie. Avoir construit sa vie sur du sable n'aide pas à s'épanouir, surtout quand l'omerta est si épaisse.

Après un coup de fil apaisant à mes potes je croque dans un brugnon, le jus dégouline sur mon menton, c'est régressif et plutôt jouissif. J'aimerais m'étendre sur la terrasse entre deux chaises et dormir, oublier tout ça. J'ai laissé se décharger ma Nintendo, il n'y a rien à la télé. Et pas d'ordi non plus. Mais comment faisaient-ils pour communiquer quand ils étaient jeunes ? Si j'avais su j'aurais amené le mien, mais je n'étais supposé rester que trois jours. De toute façon la conversation surprise entre eux tourne en boucle dans ma tête, impossible de penser à autre chose. Et si j'étais concerné moi aussi, peu ou prou ? Je me sens bien devenir un dommage collatéral, tiens, comme c'est parti. Moi qui croyais qu'ils ne se connaissaient pas, avant ! Qu'est ce que Mel a été foutre dans cette famille, c'est quoi ces salades ?

Pour un peu j'appellerais mon père mais c'est un pro de la mystification, lui aussi, et je n'en saurai pas plus. Le brugnon m'a ouvert l'appétit, je farfouille dans un placard pour trouver quelque chose à me mettre sous la dent, n'importe quoi. Pas la peine de compter sur ma mère, je l'entends tourner en rond dans sa chambre, elle ne descendra pas. Pas pour moi. Tiens, une boîte de ravioli dont la date n'est dépassée que d'un mois, elle doit être mangeable. De toute façon si je crève je saurai pourquoi, et en plus je connais un médecin vachement sympa juste à côté, ah ah.

Pour plus de régression je mange à même la boîte à peine réchauffée, c'est immonde mais j'ai besoin de ça je crois. Je mets la radio au maximum pour me donner l'illusion que je ne suis pas seul, c'est pathétique, je m'en fiche. Bientôt je serai avec mes potes, bientôt tout cela n'aura plus d'importance. Tant pis pour Mélanie, tant pis pour notre belle famille. Tant pis pour moi. C'est vrai que parfois ma grand-mère faisait des allusions bizarres, quand j'étais petit, je ne les comprenais pas. En fait je ne cherchais pas à comprendre, c'était des histoires de grands, je m'en foutais. Je détestais quand on parlait du divorce de mes parents, de ses prétendues aventures, du passé.

Sauf que parfois le passé vous rattrape, même l'été, en bord de mer.

Après mon repas vite expédié je sors sur la terrasse, il fait si lourd que l'orage va éclater, c'est sûr. Je rêve d'un bain de minuit mais seul c'est moins amusant, et je ne pense pas que Seb soit partant pour ce type d'expédition. Dommage, ça aurait pu faire un bon copain, ou un beauf frère sympa.

Mes pas me mènent presque malgré moi vers la mer, le large. Peut être qu'il y a un souffle d'air en plus, là bas. Peut être. Les senteurs nocturnes sont lourdes, le vent commence à se lever, la nuit bruisse autour de moi. Au moment où je passe devant le « château » j'aperçois Manon qui saute à la corde, je la salue, elle trottine jusqu'à moi.

- Tu connais la marelle ?

- Heu… j'ai su y jouer, oui. Il y a longtemps.

- Tu veux jouer avec moi ? Toutes mes copines sont parties, dit-elle en mettant ses poings sur ses hanches, l'air assuré.

- Mais il fait nuit, on y verra rien !

- On n'a qu'à allumer la lampe devant, tant pis pour les moustiques.

- Oui mais ça ne me dit rien, finalement. C'est un jeu de petite fille, tu sais.

- Pff, t'es pas marrant. T'es comme Sébastien, il veut jamais jouer avec moi.

- Il est là, au fait ?

- Oui, dans le jardin, avec Papinou. Tu veux entrer ?

- Ben… ils ne m'ont pas invité.

- Oh, tu t'en fiches, de toute façon ils ont l'air de s'ennuyer, tu vas pas les déranger. Allez, viens.

Sur ce elle ouvre le portail, me fait entrer et m'accompagne jusque dans le jardin où se trouvent deux ombres immobiles face à la mer, le père et le fils.

- Vous avez de la visite ! lance-t-elle joyeusement en sautillant.

- Je passais par là… dis-je un peu gêné.

- Oh, t'as bien fait de venir, viens assieds-toi, Emmanuel. Alors, quoi de neuf ? demande Seb qui a l'air heureux de me voir.

Son père ne bronche pas, je suppose qu'il est encore sous le coup de la colère, il ne me regarde même pas.

- Rien, rien. A la fin de la semaine je pars faire du camping avec des potes en Auvergne, j'ai hâte. Ca me pèse un peu d'être ici…

- C'est sûr, soupire Seb. Tu as de la chance de pouvoir partir, toi. T'éloigner de tout ça. Tu prends un verre avec nous ? Manon, tu vas chercher un verre, s'il te plait ?

- Alors je prends une grenadine pour moi ! dit-elle en s'éloignant rapidement.

- On avait prévu d'aller au cinéma, avec Louise, reprend Seb. Tu veux nous accompagner ?

- C'est sympa mais non, merci. Mais je ne veux pas vous retenir non plus.

- De toute façon elle n'est pas encore prête, on va rater le début de la séance, comme d'hab. Elle est toujours en retard, c'est pénible, je te jure. Pas comme ta soeur, elle, elle était toujours à l'heure, dit-il d'une voix éraillée. Je ne sais pas pourquoi j'en parle au passé, c'est idiot.

On échange un petit coup d'œil, j'essaie de lui sourire avec chaleur mais il fait presque nuit déjà. Il trempe ses lèvres dans son verre pourpre et demande :

- Si elle t'appelle, quand tu seras en camping, tu me le diras, hein ?

- Bien sûr. Ne t'inquiète pas.

Nous discutons tranquillement des dernières sorties ciné, son père ne bouge pas, ne semble même pas nous entendre. Le vent semble s'apaiser, je bois à petites gorgées le breuvage qui m'est proposé, ce n'est pas agréable mais je commence à m'y habituer. Une chaleur se répand dans ma gorge et ma poitrine, imperceptiblement je me détends, je m'adosse au fauteuil en rotin et je ferme les yeux.

- Bon on y va ? fait une voix revêche depuis la maison, celle de Louise.

- Oui, j'arrive ! On n'a qu'une demi-heure de retard sur le timing, souffle Seb entre ses dents. Prends ton temps, Emmanuel, tu peux encore rester. A demain ?

- OK, merci. A demain !

Je partirais bien tout de suite mais je ne veux pas paraître grossier, alors je bois plus rapidement, sans avoir soif. Manon est rentrée, appelée par son arrière-grand-mère, tout est calme désormais.

Au moment où je vais me lever une voix me parvient, sans que mon voisin ne se tourne vers moi :

- Vous avez entendu ce qu'on a dit, tout à l'heure ?

- Non. A part une phrase ou deux, que je n'ai pas comprises.

Il ne répond pas, sans doute satisfait. Je n'aperçois que son profil altier, dans la semi pénombre, il ne quitte toujours pas l'océan des yeux. Un ressentiment sourd monte en moi, s'il me parlait ça pourrait tout arranger, je saurais enfin la vérité, mais il ne le fera pas. Je serre mes poings, son attitude est méprisable, vraiment pas digne d'un honnête homme. Il faut que je trouve le courage de le lui dire, à tout prix.

- Vous savez, c'est à cause de vous qu'elle est partie. A cause des lettres.

- Je suis désolé. Je ne voulais pas ça. Dites-lui que je suis désolé.

- Et c'est tout ?

- J'apprécie beaucoup votre sœur, c'est quelqu'un de bien. J'espère qu'elle va aller mieux, que tout va s'arranger. Dites lui de revenir, surtout. Dites lui que Sébastien l'aime, qu'il est fou de chagrin. Demandez-lui pardon…

- Mais de quoi ?

Sur le moment il ne bronche pas mais il me semble que sa respiration s'accélère. Est-ce que rien ne peut l'émouvoir, jamais ?

J'attends une réponse, une réaction. Rien.

Ecœuré je me lève et je fais un pas vers le portail.

- Vous croyez que c'est facile ? Vous croyez qu'on n'a pas tout fait pour essayer d'éviter ça ? dit-il enfin, sourdement.

- Ca ? Quoi « ça » ? dis-je en me retournant d'un bloc.

- Le mariage. Le départ de votre sœur. Je suis désolé, vraiment désolé vous savez.

- Vous mentez ! Vous vous en fichez, de Mélanie. Tout ce qui compte pour vous –et pour ma mère- c'est d'étouffer la vérité, coûte que coûte. C'est lamentable. Vous devriez honte, je rajoute dans ma lancée, rageur.

- Qu'est-ce que vous savez de la honte, jeune homme ? Vous croyez que je ne la connais pas, qu'elle ne partage pas ma vie depuis des années ? Je vis avec elle quotidiennement, depuis 20 ans, depuis la mort de ma femme et c'est une compagne encombrante, murmure-t-il sans me regarder. Vous croyez que le simple fait de parler guérit tout ça ? La vérité ne vous sauvera pas, elle ne sauvera personne, croyez-moi.

- Arrêtez de parler par énigmes, s'il vous plaît, dis-je en me rasseyant. Vous avez peut-être gâché votre vie par vos conneries- et ma mère aussi- mais ne gâchez pas celle de ma sœur. Et de votre fils. S'il vous plaît.

Il secoue la tête dans l'obscurité, je le bafferais volontiers. J'ai envie de le secouer, casser cette belle image froide, immaculée. Insupportable. Le vent se lève à nouveau, ses cheveux volent au vent, je frissonne.

- Il va pleuvoir. Vous feriez mieux de rentrer, jeune homme. C'est un bel orage qui se prépare.

- Je m'en fous, je ne partirai pas. Je veux savoir la vérité. Maintenant. Arrêtez votre petit jeu, je n'en peux plus.

Sa tête se tourne vers moi, visiblement il est surpris par mon insolence, fâché peut être. Il me semble pourtant voir une expression amusée sur son visage, mais je me trompe sûrement.

- Je ne peux rien dire, j'ai promis, lâche–t-il enfin.

- Ben voyons. C'est tellement facile. Promis à qui ?

- A votre mère. Je suis assez d'accord avec vous, tout cela dure depuis trop longtemps, il est temps de tout dire. Mais elle ne veut pas.

Je me crispe, je sens mes ongles me rentrer dans la paume, pour un peu je crierais. Je sens une goutte tiède s'étaler sur mon front, je m'essuie d'un revers de main.

- Mais pourquoi, bordel ? Pourquoi ?

- Je ne peux pas en dire plus. Demandez-lui directement, fait-il en secouant la tête. Je pense qu'elle veut protéger quelqu'un, c'est pour ça qu'elle se bat si farouchement.

- Mais qui ? Ma sœur est déjà partie, alors elle veut protéger qui ?

- Il pleut. Je vais rentrer, faites-en autant, dit-il en se levant.

Je l'attrape par le bras, je serre trop fort mais tant pis. Je suis à bout de nerfs, grisé par l'alcool et la colère, je n'ai plus peur.

- Aïe… c'est fou comme vous lui ressemblez, quand vous êtes en colère, fait-il en grimaçant.

- Je m'en fous. Je ne vous laisserai pas partir. J'ai fait une promesse moi aussi, mais à Mélanie, et je la tiendrai. Elle pense qu'elle est votre fille, est-ce que c'est vrai ?

Sur le coup il vacille, je me demande si c'est dû à une rafale ou à l'alcool, je ne relâche pas ma prise sur son bras.

- Vous me faites mal, jeune homme, grimace-t-il.

Il est si grand que je dois lever les yeux vers lui- pourtant je ne suis pas petit. Il est sûrement beaucoup plus baraqué que moi mais ne tente même pas de se dégager. J'ai l'impression de le sentir trembler sous mes doigts, il finit par marmonner :

- Si ce n'est que ça, alors dites-lui qu'elle soit rassurée. Elle n'est pas ma fille. Sébastien n'est pas son frère.

- Vous dites ça pour vous débarrasser de moi ou je peux vous croire ? je demande en me rapprochant de lui.

- Vous croyez que je plaisanterais avec ça ? Vous croyez que j'aurais laissé Sébastien l'épouser dans ce cas ? Vous savez les dégâts que font les mariages consanguins ?

On se dévisage, aucun de nous deux ne baisse les yeux, ça ressemble à un combat de coq. J'ai mal aux doigts de le serrer comme ça, nous tremblons tous les deux de rage, la pluie commence à s'étaler sur nous lourdement.

- C'est quoi alors, le secret ? Ce que ma mère vous a fait promettre de ne pas dévoiler ?

- Je ne peux rien dire.

- Vous mentez ! Vous savez, et vous ne voulez rien dire !

- Écoutez, le secret qu'elle cache ne concerne pas Mélanie. Pas directement. Je sais que c'est dur à croire, mais c'est la vérité. Rassurez-la, elle peut revenir. Il n'y a pas eu d'inceste.

- Et les lettres ?

- Lâchez-moi, je vous en prie. Emmanuel…

Nous tremblons de plus en plus fort sous la pluie battante mais je n'ai pas froid, je ne sens même rien, que la colère. J'aimerais lui casser la figure, défigurer ce beau visage, je suis fou de rage et de frustration, j'aimerais en finir. Le pulvériser sous mon pied.

D'un coup d'épaule il se dégage finalement, me souffle :

- Tu vas prendre froid. Rentre chez toi, Emmanuel.

Alors je me mets à courir sous les trombes, mes pas s'écrasent lourdement sur le gazon détrempé, plusieurs fois je glisse et manque de m'étaler, un éclair transperce le ciel, juste avant le coup de tonnerre. Je ne sais pas pourquoi je cours, ce que je fuis mais le tutoiement m'a gêné, comme une menace qui se rapprocherait.

En arrivant chez moi je retrouve ma mère blottie sur le canapé, terrifiée. Elle a fermé tous les volets et éteint la lumière, elle déteste l'orage.

- Te voilà enfin ! J'avais peur que tu aies disparu toi aussi. T'étais où ?

- Chez nos chers voisins, voir ton gendre. Et son père.

Soudain elle pâlit, elle s'interrompt dans son geste d'aller chercher une serviette pour m'essuyer les cheveux, en bonne mère.

- Tu as vu Philippe ? Il t'a dit quoi ?

- Tout.

- Quoi ?

Je sens comme une mauvaise joie au fond de moi à la vue de sa peur, sa terreur même. Prêcher le faux pour savoir le vrai, voilà une bonne stratégie.

- Mais j'aimerais l'entendre de ta bouche, maman.

- Il t'a parlé de Dominique ?

- Dominique ? C'est qui ?

Devant ma stupéfaction elle se redresse, me dévisage attentivement : « Il ne t'a rien dit. Tu bluffes ».

Un énorme coup de tonnerre éclate derrière moi, tout s'éteint.

A suivre…


 

  • On en sait un peu plus ! Mais la vérité a du mal à poindre !
    J'ai avalé le texte, je voulais savoir ! Comme vous savez entretenir le suspense, bravo !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Bonne journée ! Martine.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci, ça me fait super plaisir :) Bonne journée !

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      Nathalie Bleger

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