Love letters (7)

Nathalie Bleger

Mélanie trouve des lettres dans le grenier de la maison de sa grand-mère. A qui sont-elles adressées, par qui ont-elles été écrites ? Parfois la curiosité est un vilain défaut...

 

SÉBASTIEN

Chapitre 7

J'me gênerai pas pour dire que je t'aime encore…

(W Sheller)

Bonne lecture !

Un taxi s'arrête devant la maison, nous venons tout juste de mettre des draps propres dans les lits des chambres –une chambre pour sa mère et Mel, une chambre pour son père et son frère, moi je retournerai dormir chez moi, ce soir. J'espère me faire un allié d'Emmanuel, que je connais très peu. Il est plus jeune qu'elle, étudiant en médecine je crois, il veut être dentiste, comme son père. Il sort du taxi en premier, cille en regardant la maison, je reconnais son air timide, un peu effarouché, l'allure de Mélanie, par moments. Mais ses cheveux blonds et ses yeux vert foncé tranchent avec les cheveux noirs de Mel, la ressemblance s'arrête là.

Elle me rejoint à la fenêtre, je sens sa présence dans mon dos, elle observe sa mère qui paie le taxi puis fixe la maison d'un air peu amène, nous faisant bondir en arrière.

« Bon, on y va ? » dis-je d'un ton faussement enjoué, elle opine, nous descendons l'escalier à peine sec, je cherche une prière rapide, je n'en trouve pas. Mélanie ouvre grand la porte en souriant, je note la crispation de ses épaules et de ses mains :

- Vous avez fait bon voyage ?

- Pfff… il y avait un monde fou dans le TGV, et en plus on était derrière une bonne femme avec un bébé, l'horreur, répond sa mère en lui tendant la joue de loin, sans me regarder.

Je la trouve plus jeune que la dernière fois que je l'ai vue, deux ans auparavant, dans sa robe beige chic. Elle me tend une main froide malgré la chaleur, on ne fait pas mine de vouloir s'embrasser, ses yeux ne sourient pas. Emmanuel me fait un vague signe de tête, les yeux au sol. Bonjour l'ambiance, ça promet.

« Ça me fait bizarre de revenir ici » murmure la mère et soudain je la trouve fragile, différente.

- Je vais porter vos bagages en haut, dis-je pour les laisser un peu seuls et je me saisis de la lourde valise à roulettes et du sac de sport d'Emmanuel, qui ne réagit pas.

Lorsque je redescends ils sont toujours dans l'entrée, l'air gênés, immobiles.

- Vous voulez boire quelque chose ? On a du jus de fruits, du coca ou du Perrier, si vous préférez. Vous devez mourir de chaud…

Ils me regardent presque avec stupéfaction, comme s'ils m'avaient déjà oubliés ou alors c'est parce qu'ils me trouvent grossier, d'offrir des boissons dans une maison qui n'est pas la mienne. La mère hausse les épaules, Emmanuel nous emboîte le pas dans la cuisine qui a changé d'allure, depuis la veille. Tout est propre et sent bon, j'ai cueilli des fleurs dont j'ai fait un beau bouquet, sur la table, fier de moi.

- Je vous sers un Perrier, madame Arbogast ?

« Appelez-moi Marie, s'il vous plaît » répond-elle avec un brin de coquetterie, et je m'aperçois que c'est sa nouvelle couleur de cheveux qui la rajeunit, ce brun vif avec des mèches plus claires, et le rouge à lèvres discret.

« Le jardin est dans un état horrible » ajoute-elle en faisant la grimace, je ne peux m'empêcher de rétorquer un peu sèchement :

- On a eu le temps de nettoyer la maison mais pas de s'occuper du jardin, désolé.

Emmanuel me lance un regard amusé, je suis surpris par la clarté de ses yeux et son air mutin, soudain. Est-il là pour compter les points ou compte-t-il participer à la pièce ? Il attrape son portable dans sa poche et commence à tapoter, indifférent à notre présence.

Marie fait le tour de la cuisine comme si elle cherchait quelque chose, puis demande :

- Il n'y avait pas un crucifix, là ?

- Si, mais il était plein de poussière, on l'a jeté, répond Mélanie d'un ton morne.

- Tu as jeté le crucifix à la poubelle ?

- Enfin maman, je croyais que tu étais athée !

« Quand même » souffle la mère, et j'ai l'impression qu'elle va pleurer.

Je regarde Mélanie qui verse les boissons d'une main tremblante, personne n'a-t-il remarqué qu'elle est resplendissante dans sa robe d'été, les joues rosies par l'émotion ? J'ai envie de l'embrasser pour la rassurer, lui dire : « on s'en fout, on s'aime, c'est tout », mais je ne suis pas sûr que ça suffise.

- Vous n'étiez pas revenus depuis quand ? je demande alors que Marie s'assoit à table, l'air éreinté.

- Depuis mon divorce, murmure-t-elle en suivant du doigt les courbes des roses de la nappe, geste machinal.

Je devine à son attitude que le retour est difficile, sans doute en raison des mauvais souvenirs d'alors et de la mort récente de sa mère, et je comprends mieux la réticence de Mélanie de se marier ici.

- La ville a dû changer, non ?

- Oui, énormément, mais ici, non… ajoute-elle d'un ton rêveur. On dormira dans quelle chambre ?

- La tienne, maman.

Marie acquiesce en finissant son verre, la conversation roule mollement sur le beau temps, Emmanuel est là sans être présent, dissimulant son portable sous la nappe. Mélanie me fait un peu mal au cœur, essayant de faire sourire sa mère, de positiver à tout prix, pour un peu je leur lancerais : « Cachez votre joie de venir à notre mariage, surtout », parce que le sujet est soigneusement évité, entre eux, comme une chausse-trappe. Les secondes me paraissent interminables autour de cette table, j'aimerais déjà être à demain, à la mairie, voie même plus tard, dans l'avion pour Venise. Finalement l'idée d'inviter seulement les copains n'était pas si mauvaise, j'aurais dû écouter Mélanie, elle savait, elle.

« Il arrive quand ? » demande Marie d'un coup, et Mélanie se rembrunit :

- Il a dit qu'il viendrait ce soir.

- Seul ?

A la tête qu'ils font je devine qu'ils parlent du père de Mélanie, Julien, que je ne connais pas et dont elle rechigne à parler. Je sais que le divorce a été brutal et qu'ils se voient très peu, même s'il lui envoie souvent des cadeaux ou de l'argent. Mais de toute façon le sujet des parents un peu tabou entre nous, toujours lourd.

« Oui, je crois » répond Mel à voix basse, comme une gamine prise en faute, et l'ombre de ce père plane sur nous, impalpable.

oOo oOo oOO

Il est presque vingt heures quand une voiture de sport freine bruyamment devant la maison, nous faisant sursauter. Nous étions sur la terrasse, sirotant mollement des cocktails au soleil couchant, alanguis par le temps long, je commençais à peine à réaliser que le lendemain à la même heure je serais marié quand il est arrivé, un énorme bouquet de fleurs à la main et un sourire éclatant –normal pour un dentiste. Son costume gris clair était froissé mais je lui ai trouvé une allure incroyable, un air juvénile et des traits harmonieux sous un bronzage impeccable. Un séducteur de la pire espèce, tout ce que Mélanie déteste, à moins qu'il ne soit plus profond qu'il en a l'air.

Il me claque deux bises sur les joues et je comprends que j'ai un allié, sans doute encombrant. Bien sûr sa voiture regorge de cadeaux pour chacun, ça va avec le personnage, une vraie caricature. Son ex-femme se raidit quand il se penche sur elle pour l'embrasser, les plis de ses lèvres sont amers, je détourne les yeux. Mélanie a pâli même si nous jouons au couple idéal et qu'il simule le rôle de beau-père idéal, compréhensif voire copain, alors que nous ne nous connaissons pas :

- Je vous confie ma perle mon vieux, faudra en prendre soi, hein ?

- Bien sûr ! Comptez sur moi…

- A la bonne heure ! Je meurs de soif, il n'y a rien d'autre à boire que vos sirops ?

- Des sirops ? C'est déjà bien assez alcoolisé, grimace Marie.

- Si on ne boit pas de champagne à un mariage, quand va-t-on en boire ?

- Je pensais le garder pour demain, souffle Mélanie en me regardant.

- Rassurez-vous, j'ai en deux caisses dans le coffre –et du meilleur ! Il faut bien des bulles pour fêter ça, non ?

Avant qu'on ait eu le temps de réagir il revient avec une bouteille prise au frigo et des coupes sous le bras, tout le monde est gêné mais lui ne s'en rend pas compte, je me demande comment un homme aussi sûr de lui peut avoir des enfants aussi timides.

- C'est toujours aussi petit et vieillot ici, hein ? lance-t-il en s'installant entre Mélanie et moi, détendu. Ca fait un bail, pas vrai ?

Marie détourne les yeux, Emmanuel se lève pour aller téléphoner et Mélanie tente de sourire – un bien pauvre sourire. Visiblement son père n'attend pas de réponse, le bouchon saute et bientôt nous trinquons à la santé des mariés, l'instant est surréaliste.

- Comme elle est belle, ma fille, ce soir ! Je suis sûr qu'elle sera magnifique, demain, dans sa robe blanche…

- Je ne porterai pas de robe blanche, papa, c'est juste une célébration à la mairie…

- Et ça t'empêche d'être en blanc ?

- Non, mais… On ne voulait pas un mariage trop conventionnel.

- Ah ! Les conventions…

Mélanie rougit et baisse les yeux, Marie se noie dans son verre de champagne, Emmanuel n'a pas réapparu. Puis mon futur beau père se tourne vers moi et me regarde avec attention, malgré l'obscurité qui tombe :

- Donc vous êtes le fils de Philippe Delmas…

- Oui, dis-je avec hésitation.

Il ne sourit plus et me dévisage longuement, je n'ose presque pas respirer sous son regard brillant. De l'autre côté de la table son ex-femme lui lance un regard venimeux, je me crispe autour de mon verre, mal à l'aise.

« C'est incroyable le hasard » ajoute-t-il à voix basse et Marie marmonne « Julien, s'il te plait » sans le regarder, je sens une onde glaciale passer sur nous. J'ouvre la bouche pour demander ce que ça a de si incroyable quand Mélanie lance :

- Il commence à faire froid, vous ne trouvez pas ? On va manger le buffet à l'intérieur, il fait meilleur. Maman a préparé de bonnes salades…

- Voilà une spécialité maison, en effet, reprend son père en se levant, narquois.

Emmanuel vient enfin nous rejoindre, je me dis qu'il a loupé quelque chose, sans savoir exactement quoi. Je coince Mélanie dans le couloir, une grosse terrine à la main :

- C'est quoi ces sous entendus entre tes parents ? Qu'est ce que notre mariage a d'incroyable ? Qu'est-ce qui se passe exactement ? je souffle en sentant le champagne me rougir le front.

- Je t'expliquerai, chéri, promis. Pas maintenant.

- Tu me caches quelque chose ?

- Non, rien. Mais tu sais ce que c'est que les règlements de compte entre divorcés, non ?

Je suis sur le point de lui répondre : « Non, je n'ai pas cette chance » quand Julien nous rejoints, il me prend par l'épaule :

- Vous faites quoi exactement dans la vie, mon petit ? C'est que ma fille est une princesse, elle a l'habitude d'être gâtée, vous savez…

- Gâtée par qui ? grince Marie qui sert le plateau de salades.

- Gâtée par moi, bien sûr !

- On ne te voit jamais. C'est ce que tu appelles gâter tes enfants ?

- Je leur ai toujours tout donné. Et quand tu verras mon cadeau de mariage…

"C'est de la frime. L'argent ne remplace pas tout" souffle Emmanuel dans mon dos, mine de rien.

- Arrête, Julien, reprend Marie d'un ton las. Tu crois tromper qui, ici ?

Ils échangent un coup d'œil rageur et je me dis que j'ai de la chance d'être à moitié orphelin, finalement. Chacun s'installe à table, le vin rouge coule dans les verres et nous nous décidons à jouer nos rôles, la famille idéale la veille d'un mariage, sauf que Marie et Julien ne s'adressent plus la parole. Je me demande comment on en arrive là, après s'être aimé…

oOo oOo oOo

A minuit je suis sur le perron de la maison à glycines, ma valise à la main, je n'arrive pas à partir et laisser Mélanie pour cette dernière nuit de célibat. Elle m'embrasse délicatement, son souffle sent le chocolat, elle est belle, je l'aime à en crever, je crois :

- Tu ne vas pas t'enfuir dans la nuit, hein ?

- Mais tu es fou, Seb, pourquoi je ferais ça ?

- Pour échapper au mariage et à nos parents, par exemple.

- C'était pas marrant, hein ? Je suis désolée, ils sont toujours comme chien et chat quand ils se croisent, c'est pour ça qu'on ne voyait presque jamais mon père.

- Pourtant il a l'air sympa… et c'est le seul à m'accepter, dans ta famille.

- Oui, il est sympa, dit-elle d'un air gêné sans sourire.

Elle paraît fragile dans sa petite robe en soie qui volète dans le vent tiède, je n'arrive pas à partir. Ce mariage fait pour des raisons administratives devient soudain un mariage follement romantique, je pense en nous voyant à Roméo et Juliette, au moment où je dois la quitter, sur ce balcon.

- Qu'est-ce que tu voulais me dire, tout à l'heure ? Ces sous-entendus entre eux, c'était quoi ?

- Oh rien. Je ne sais plus…

- Tu mens, Mel. Tu en sais plus que tu ne veux en dire, dis-je sur une inspiration soudaine. Pourquoi nos parents se détestent ?

- Je… écoute, j'ai une petite idée à ce sujet, mais je n'ai pas envie de t'en parler à la sauvette, comme ça. Demain, quand on sera seuls, promis, souffle-t-elle en se mettant sur la pointe des pieds et en m'embrassant à nouveau.

- Tu promets ?

- Promis ! Croix de bois, croix de fer, si je mens on va en enfer…

Je la serre fort contre moi, une peur soudaine m'étreint, inexplicable. Une silhouette nous observe en ombre chinoise derrière la fenêtre du haut, dans la chambre des hommes.

- Dors bien, mon chéri. A demain matin.

- Toi aussi… Rendez-vous à 11h, hein ?

- Oui, bien sûr.

Je n'arrive pas à la lâcher, le cœur étreint par une main glaciale. Je sais que je suis idiot mais ses doigts sont froids et elle tremble légèrement.

- Tout se passera bien, hein ? dit-elle en me fixant dans l'obscurité totale de cette nuit sans lune.

- Oui, j'en suis sûr. J'ai hâte d'être à demain.

- C'est déjà aujourd'hui tu sais…

- Pourquoi on ne peut pas passer la nuit ensemble, Mel ?

- Parce que c'est la tradition, tu sais bien. Et puis…

- Et puis ?

- Et puis il n'y plus de place chez moi, et ton père… Ça ne se fait pas, tu sais, reprend-elle plus fermement en se dégageant doucement.

- C'est quoi le secret ?

- Il n'y a pas de secret Sébastien, rien d'important en tout cas. Nous en rirons demain, j'en suis sûre. Bon, il faut que je rentre, je ne veux pas réveiller ma mère en me couchant trop tard. Je suis sûre qu'elle m'attend, me dit-elle en jetant un coup d'œil inquiet par-dessus son épaule.

- A demain ?

- A tout à l'heure, mon chéri…

Elle disparaît par la porte et je prends lentement la direction de chez moi, le cœur lourd. La clé tourne facilement dans la porte, c'est étrange de retourner chez moi trois ans après, pourtant j'ai l'impression d'être parti hier. C'est la même odeur, le même escalier qui craque, les mêmes ombres dans le noir mais tout est différent.

Je passe en silence devant la chambre de Manon et celle de Louise, j'hésite presque à entrer dans la mienne, je reste sur le pas de la porte, la main sur la clenche.

- Je me demandais si tu reviendrais, souffle mon père dans mon dos.

Je me retourne d'un bond, le cœur au maximum, il n'est qu'une silhouette dans l'embrasure de sa chambre, une silhouette inquiétante.

- Hé bien tu vois, je suis là.

Nous restons immobiles dans le rai de lumière du couloir, cherchant des mots de retrouvailles ou de réconciliation, mais rien ne vient. Enfin sa voix parvient jusqu'à moi, plus rauque qu'avant me semble-t-il :

- Tu es bien décidé ?

- Oui, papa.

Il secoue la tête, désolé, je sais que je le déçois, un étau m'étreint la poitrine.

- Pourquoi est-ce que tu n'es pas content pour moi, papa ?

- Pardon ?

- Les parents sont heureux du bonheur de leurs enfants, pourquoi pas toi ?

Pas de réponse, pas même un frémissement. Il referme sa porte lentement, je repense aux mots de Mélanie « Si je mens on va en enfer », et je rentre dans ma chambre d'adolescent en frissonnant.

A suivre…

Merci à ceux qui lisent et reviewent ^^

BISOUS A TOUS

 

  • On va bientôt savoir ...avant ou après le mariage ...? Mystère !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci d'être toujours aussi rapide à lire et commenter :)

      · Il y a presque 8 ans ·
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      Nathalie Bleger

    • C'est que ça m'intéresse ! J'aime beaucoup ton histoire et ton écriture bien menée.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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