L'OVNI, Lili, papi et moi
Giorgio Buitoni
S'il vous plait, contentez vous de suivre.
J'entends des pas et des rires dans le couloir derrière la porte de ma chambre d'hôpital. Probable qu'ils vont encore venir photographier ma cervelle et ma pince de crabe. Depuis mon arrivée ici, les toubibs plus gradés, ils défilent comme si j'étais une pièce de musée, façon Mona Lisa ou quoi. Il se pointent la gueule enfarinée près de mon lit, un sourire plein de dents derrière leur visière en plexiglas, style concessionnaire Renault, et ils prétendent qu'il faut cartographier les changements. Et moi, j'essaye juste de vous retranscrire les notes de mon carnet d'une main et à la va-vite pour ne rien oublier qui pourrait vous être utile. Alors, désolé si je vais un peu vite ou si je m'embrouille un peu dans la chronologie. Mais je m'apperçois que j'ai oublié de vous dire pour mon machin néoplasique. Mon machin cancer. Et aussi au sujet de Lili.
Faut que je précise : Lili, ce n'est pas le style qui vous donnerait des envies sur une ile déserte, ou nue dans un sauna, ni rien. Elle est maigre avec ça. Elle a des airs de violoniste soliste sur Arte. Mais elle a de la fierté et aussi ce je ne sais quoi de triste sans en avoir l'air qui attire les gars comme moi. Ceux qui passent leur temps à écrire, ou à se branler et à fumer des Camel quand il manque d'inspiration. Mais écrire ce n'était pas vivre, elle a dit, Lili. Parfois, je regardais le robinet couler pendant des heures. Après ça, j'écrivais des histoires de randonneur qui faisait du canoé près des chutes du Niagara et qui se noyaient à la fin. Lili, ça la rendait folle. Le déni, le déni, je vivais dedans, elle a dit, y'a six mois. Et mon enthousiasme ! Ah, mon enthousiasme ! Eh bien, il me faisait défaut, elle a continué en tortillant son petit cul dans toutes les pièces de l'appartement en quête de ses strings de première nécessité. J'en avais pourtant, de l'enthousiasme, quand j'écrivais ou que je me branlais. Mais elle n'y contribuait pas. Du coup, je m'ennuyais à faire tous ces trucs du weekend en amoureux, comme acheter des glaces à la fraise ou cueillir des trèfles à quatre feuilles. Je vous raconte tout ça un peu à l'emporte-pièce, mais voilà ce qu'elle m'a dit en enfouissant son passeport et ses bijoux dans un grand sac de sport Adidas. La vérité, je ne voulais pas la voir. Cinq ans que notre couple battait de l'aile, il parait. Cinq ans ! Depuis que j'avais quitté mon job pour me prendre pour Victor Proust, soi disant. Et donc, la porte a claqué avec un air définitif de traité de l'Atlantique Nord et l'appartement m'est apparu bien trop grand sans ses affaires de maquillage.
Eh bien, sans rire, dix minutes après, j'étais déjà en train de me branler en m'imaginant comme notre relation avait été belle, alors que ce n'était pas vrai. Probable que sans mon petit pochoir de Diana Ross dans le poumon gauche, un an plus tard, je vous aurais changé notre union dysfonctionnelle en un truc à la Roméo et Juliette dans un roman. C'est ça qu'elle me reprochait souvent, Lili : je ne vivais pas dans le présent. Toujours au passé simple dans des bouquins qui ne se vendaient même pas.
C'est ce que j'essaye de ne PAS faire dans le livre que vous lisez.
Alors contentez-vous d'accepter pour votre compréhension que j'ai commencé à tousser et à maigrir au départ de Lili. Quand j'ai vu les radios de mes poumons, ça ressemblait à un petit tourteau en train de pondre des œufs en plein milieu de mon sac à air gauche. Comme une jolie lanterne thaïlandaise de coton blanc qui éclairait l'obscurité de mon poumon. Un portrait de Diana Ross au pochoir. C'est effrayant comme ça ressemble à de l'art déco, une radio, pourtant ça vous tue. Je n'ai pas trop su quoi dire d'autre que :
— Combien de temps ?
Soins palliatifs, soins palliatifs, a répondu le cancérologue. Il n'avait que ça à la bouche. Je n'ai jamais compris, vu que chez moi, il n'y avait plus rien à pallier. Soins ou pas soins, j'allais au fond d'un trou. Six mois, ça ne fait pas beaucoup, mais quand on y pense, j'ai l'avantage de savoir quand ça va arriver. J'avais été incapable ma vie durant de me décider entre un point ou un point virgule, ou n'importe quelle marque de cigarettes inhabituelle, et soudain, j'avais une vie parfaitement linéaire. Le rêve. C'était soit écrire ce dernier livre à la campagne dans la ferme de papi, soit contempler le parking de la clinique depuis ma chambre le restant de mes jours, complètement chauve, à sucer de la compote dégueu spéciale chimio. Et moi, je ne voulais pas que Lili revienne avec de la pitié plein les yeux à cause de mon truc métastases. Mon machin cancer. Je ne lui ai rien dit et à papi non plus. La pitié, ça change le regard des gens, et ensuite quand vous leur parlez, dans leurs yeux, vous êtes déjà mort.
Dans quinze jours, j'aurais le droit de la voir, Lili, ils ont dit les toubibs qui viennent photographier ma pince et mon cerveau. Pour un test, il parait. Et donc, je n'ai que quinze jours pour vous raconter à la sauvette ma rencontre du troisième type. Alors contentez-vous de prendre le récit en cours. À partir de ce mercredi d'août où la soucoupe a atterri à la ferme de papi dans la Creuse. L'idée, c'est juste de vous raconter comment, moi, j'ai atterri ici dans ce mouroir militaire avec des tuyaux dans le ventre et des gars en combinaison stérile qui jouent aux dés devant ma porte de chambre, un Famas à portée de gant. Toutes ces photos qu'ils prennent de mon crâne et de ma pince de crabe, ça me rend dingue.
Alors contentez vous de suivre à partir de là.
C’est toujours quand on attend Mylène, pardon Lili, à la ferme qu’un Ovni en profite pour se garer dans le champ de luzernes, alors qu’il y a des places de stationnement pour handicapés toujours vacantes en ville. Bon début, vivement la rencontre des autres types. :o))
· Il y a plus de 4 ans ·Hervé Lénervé
Merci Hervé ! Pas facile de pondre un truc bien dans l'urgence. Un mois, c'est court. J'essaye de reprendre goût au plaisir d'écrire et à la spontaneité de mes jeunes années, et voir ce que ça donne. Mes précédents romans étaient des usines à gaz. Tu n'as pas trouvé trop de longueurs ? :)
· Il y a plus de 4 ans ·Giorgio Buitoni
je n'aime pas lire sur écran, pour moi, c'est tjrs trop long, mais cela n'a rien à voir avec un roman, qui se lit calmement sur papier avec une clope et un verre de bière. :o))
· Il y a plus de 4 ans ·Hervé Lénervé
Parfaitement d'accord. L'écran est trompeur, même à l'écriture. Une fois imprimé le texte, on y voit plus clair. ;)
· Il y a plus de 4 ans ·Giorgio Buitoni
Cet atterrissage me plaît, une histoire qui décolle bien !
· Il y a plus de 4 ans ·yl5
Merci Yl5 ! J'essaye de créer une atmosphère et de poser les bases de l'histoire dans ce chapitre. Je ne sais pas si c'est réussi. ;)
· Il y a plus de 4 ans ·Giorgio Buitoni