LR 55

Christian Lemoine

Ah c'est comme ça ! Guerre, régression, rejetons, vaillamment, enfourcher
Tu vois, vilain sudiste, ton beau général Lee aura beau s'époumoner et nous jouer du bugle le soir en regrettant ses nègres qui se tuaient à la tâche dans les champs de coton – ce qu'il vénère sans doute comme la seule chose qui vaille, à moins qu'il n'en soit déjà lassé ; tu vois, méchant sudiste, ta prison est un grand espace nu sur lequel, nous autres, jetons une idée de murs d'enceinte. Mais comme nous n'avons guère le temps de nous mettre à bâtir, nous avons tracé cette ligne que nous appelons dead-line. Eh oui, la ligne de la mort. Mets seulement un pied de l'autre côté, et on t'abat. Oui, méchant, c'est la guerre, non pas celle que naguère tu faisais contre les Sioux, mais celle de la civilisation (le Nord) contre la régression et la barbarie (le Sud). Et toi tu es du Sud, essaie seulement de mettre un pied de l'autre côté, et tu te retrouveras immédiatement à griller en enfer, jeté vivant dans un grand four chez ton maître Belzébuth. C'est moi qui ai eu l'idée de cette ligne tracée dans la terre, comme ça vous vous tenez tranquilles, bien sages au milieu du désert sans bouger un orteil. J'ai ri comme un damné foie-jaune quand j'ai fait cette trouvaille, à m'en faire péter les zygomatiques. Ah mon pauvre sudiste vaincu, quand je pense que dans un siècle, de ma belle invention et de mon sinistre jeu de mots (ah ah, la dead-line) ils feront le synonyme d'un mot comme échéance. La ligne de mort, tu parles, la mort de leur fichu emploi du temps. Mais toi, tu t'en tracasses pas, de ton emploi du temps, t'es juste là à attendre que la guerre finisse.
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