Lucia Grunwald-Chapitre 23

loulourna

                  24-Lucia Grunwald-Chapitre 23

Ethel, avait la sensation d’être devant un mur d’incompréhension. Pourquoi, lui semblait-il que personne ne voyait l’évidence. Non ! se dit-elle, je connais quelqu’un d’autre qui sait la vérité, Lucia, la mère de Julius.

--- Pourquoi tu ne parles jamais de tes parents ? Pourquoi ne me présente tu-pas ? Tu as honte de moi, parce que je suis juive ?

C’est à la Altes Bierhaus de Bismarkst, attablés devant un café, qu’elle avait posé la question à brûle pourpoint.

Julius était resté sans voix. Comment pouvait-il lui dire, qu’en réalité c’était le contraire, qu’il avait honte de présenter sa mère toujours fatiguée, les mains abîmées par l’eau de javel, le dos courbé par le travail dans un logis qui ne méritait pas ce nom. Après un silence, il tenta d’esquiver, ---Mon père est mort et ma mère n’a pas beaucoup de temps, elle est très occupée.

---Que fait ta mère ?

Julius savait qu’il n’aurait pas le dernier mot. Il fini par lui dire la vérité sur sa famille en omettant de parler du suicide de son père. C’était bien du Julius, d’être embarrassé et d’avoir honte de la condition sociale de sa mère, pensa Ethel.

Sans autres commentaires, elle lui dit, --- Je veux la connaître.

Le dimanche après-midi suivant, elle fut accueillie par Lucia, qui lui serra chaleureusement les mains et la regarda longuement.

--- Julius est un cachottier, jamais il ne m’avait parlé de vous avant l’annonce de votre visite. Je suppose que vous êtes la responsable des progrès dans ses études. Entrez, vous êtes chez vous. La porte donnait sur une petite salle à manger. Dans beaucoup de familles, le décor était le même et rappelait principalement la guerre ; des photos de militaire, des douilles d’obus rutilantes sur de petits napperons, des médailles dans des cadres. Ici rien. Au mur, une photo de mariage et une autre d’un homme souriant tenant un petit garçon dans les bras. Après avoir bu son café, Julius, s’était excusé, puis avait disparu dans sa chambre. Lucia heureuse d’avoir une oreille attentive raconta tout à Ethel. Son mariage avec Franz. Deux ans de bonheur. Son départ pour la guerre, les quatre années d’épreuves et finalement plus rien. Franz, c’est donné la mort en 1929, il était déjà mort depuis une dizaine d’années, ajouta-t-elle. Le visage de Lucia exprimait clairement ces années douloureuses.

--- Julius ne vous a jamais parlé de son père ?

---Non, et de vous non plus. Le regard mélancolique d’Ethel fit le tour de la pièce, ---je ne comprends pas pourquoi. Beaucoup de femmes élèvent seules leurs enfants dans des conditions difficiles. Ethel lui parla de son enfance, ses rêves d’avenir qui semblaient inaccessibles aujourd’hui. Julia soupira,---Je me faisait du souci pour mon fils, maintenant que je connais votre existence, je vais me faire du souci pour vous aussi. Elle aurait voulu demander à Ethel de protéger Julius contre lui-même, mais elle n’y arrivait pas. Tout ce qu’elle arrivait à dire c’est,--- Mon fils n’a jamais été un garçon motivé, vous avez réussi à lui redonner le goût aux études : je ne vous remercierai jamais assez.

---Ne vous n’excusez pas pour votre fils. Je connais bien Julius. Rien ne peut me surprendre. Je connais son caractère irrésolu, lâchement conciliant, je sais tout ça et pourtant, je me fais peut-être des illusions, il y a quelque chose en lui qui le rachète… d’une certaine façon j’ai besoin de lui. Julius reste pour moi le lien avec l’Allemagne d’avant.

---Ne vous n’excusez pas, votre faiblesse n’est pas un défaut. Certaines faiblesses sont coupables mais certainement pas la vôtre. Les sociaux-démocrates de la république de Weimar ont été coupables de faiblesse. Ils ont payé. Nous sommes faibles ou complaisant avec les nazis ; nous payerons un jour pour notre aveuglement. Les communistes ont été faibles après l’incendie du Reichstag ils payent. Toutes les libertés politiques sont suspendues.

Ethel sourit tristement,— Aujourd’hui le pays est entre les mains d’une secte satanique qui insidieusement prend tous les pouvoirs. J’appréhende l’instant ou mes parents vont comprendre la réalité de la situation de ce pays. Mes amis juifs me disent que j’ai été perspicace, que j’avais raison… J’aurais tellement voulu avoir tort et avoir pêché par trop de pessimisme. Vous aussi vous savez ce qui se prépare, il y en a beaucoup d’autres, mais nous n’avons jamais su nous regrouper pour dire non, stop, c’est assez. Les opposants sont arrêtés, enfermés, déportés ou assassinés. Nous, les juifs allons payer pour le simple fait d’être juif. Le monde entier ferme les yeux. Il est beaucoup trop tard Lucia, beaucoup trop tard.

Que dire d’autre ? Le temps passa vite. En fin d’après-midi, sur le pas de la porte, elles se serrèrent dans les bras en se promettant de se revoir bientôt. Cette conversation entre deux femmes, deux générations, lucides, impuissantes et isolées eut lieu 3 mois avant le vote des décrets de la loi de Nuremberg sur le statut des juifs adopté à l’unanimité le 15 septembre 1934. Ethel et Julia ne devaient plus jamais se rencontrer.

En 1935, à 19 ans Ethel imaginait des prolongements sinistres pour le peuple allemand. Les lois anti-juive interdisant les mariages mixtes, les administrations leur étaient fermées, leurs magasins interdits aux ariens allaient immanquablement paupériser les gens de confession juives. Comment pouvait-elle savoir que sa vision du futur était loin de la réalité qui se préparait.

Après l’invasion de la Pologne, des plans étaient près : certes encore artisanaux : l’extermination par la famine et les fusillades de masse des juifs dans les territoires occupés de l’Europe de l’Est jusqu’à fin 1941. Considérant ces méthodes comme insuffisantes, le 20 janvier 1942, Reinhard Heydrich, le chef des services de sécurité allemande, réunie 15 hauts dignitaires nazis dans une villa de Berlin au bord du lac de Wannsee pour décidé la solution finale : le regroupement dans des ghettos de tous les juifs d’Europe pour être acheminés dans des camps de concentration dans le but d’ exterminer hommes, femmes et enfant dans des chambres à gaz pour ensuite être brûlé dans des fours crématoires installés principalement dans des camps de Pologne.

Adolph Eichmann rédigera le procès-verbal de la réunion et deviendra le maître d'œuvre de la décision.

Ethel abandonna ses études de droit pour rester cloîtrée la plupart du temps dans sa chambre. La vie devenait difficile pour la famille Birenbaum. Sur leur magasin était inscrit. “Ici commerce juif, interdit aux Aryens. Samuel Birenbaum, écrasé par les événements, dérivait dans un univers étrange et les mesures prisent contre les juifs perturbaient sa raison.

Était-il le seul à savoir qu’il était Allemand ? Un matin, il arbora toutes ses décorations de guerre et sorti dans la rue. Il fut très vite repéré et pris à parti par un groupe des jeunesses hitlériennes. Ils le traitèrent de sale juif qui avait le culot de porter des décorations imméritées. << probablement volées >> dit l’un d’eux. Il fut roué de coups et menacé d’être pendu à un réverbère s’il avait le toupet de recommencer. Samuel Birenbaum ex-héros de la Grande Guerre, déchu par une bande de gamins haineux rentra chez lui, jeta ses médailles devenues pacotilles. Il s’enferma dans son bureau pour ne pas montrer ses larmes . 

Amélia Feininger, jeune femme d’une trentaine d’années, toute en rondeur, joviale et souriante ne semblait vivre que pour Ethel qu’elle avait vu naître en rentrant au service des Birnbaum. Son univers était centré sur la jeune fille et au fil du temps tous considérait Amélia comme faisant partie de la famille, jusqu’à la promulgation de l’article 3 dans la loi pour la protection du sang et de l’honneur allemands du 15 septembre 1935 qui interdisait aux juifs d’employer des citoyens allemands de moins de 45 ans.  Amélia était originaire de Rheinfeld, une petite ville dans l’Eifel, les Ardennes allemandes en Rhénanie-du-Nord. C’est avec des larmes dans les yeux qu’ils se dirent adieu en se promettant de s’écrire. Entre deux sanglots, Amélia fit promettre à Ethel qu’en cas de besoin qu’elle n’hésite pas à venir la rejoindre. Elle l’embrassa tendrement et ajouta,— Tu connais mon adresse, n’hésite pas. Je te considère comme ma fille.

---Tu veux dire comme ta sœur, tu n’es pas assez vieille pour être ma mère. Avec beaucoup d’émotion elle précisa,--- Méfie toi, un de ces jours tu vas me voir débarquer.

Elle ne croyait pas si bien dire. Tout évolua très vite et Samuel et Sarah poussèrent Ethel à rejoindre Amélia.

---Si ça devient nécessaire, je partirai, mais pour l’instant je reste avec vous.

Ils se contentèrent de cette promesse. Dans cette période difficile plus personne ne dormait dans l’appartement du 2e étage, mais dans deux petites chambres aménagées sous les toits distribués par un escalier dont la porte donnait sur une petite rue latérale. C’est un avantage si nous devons fuir avait dit sans conviction, Samuel.

Ethel le regarda étonné ---Fuir ? Où, demanda Ethel. Il y a longtemps que nous aurions du fuir.

Ethel ne voulait plus affronter Berlin. Berlin placardé d’affiches antisémites ou à la gloire du nazisme. Berlin ou des groupes d’hommes conquérants scandaient des slogans haineux. La revanche des médiocres, des incapables, des jaloux. L’attitude soumise des juifs leur donnait raison et du cœur au ventre. Elle avait demandé à Julius de ne plus venir. Il avait refusé. Désenchantée, désillusionnée, devant l’incertitude du futur, Ethel qui avait toujours refusé de succomber aux demandes de plus en plus pressantes de Julius, céda à ses avances le soir du 9 octobre 1935. Ce qui, en d’autres temps aurait dû être la consécration du mariage , ne fut qu’un banale épisode. Peut-être que la faute en incombe aux préoccupations du moment ou à son éducation qui la culpabilisait de cette étreinte en dehors du mariage ? Mais Ethel ne ressenti qu’une vague nausée. Le lendemain, à 5 heures, elle se leva sans bruit. Julius dormait. En voyant son visage réjouit, elle ne vit en lui que la caricature parfaite du bel aryen, blond aux yeux bleu, plus rien d’autre. En allant vers l’évier elle ramassa un papier, tombé de la poche de la veste de Julius. C’était une lettre de Franz Bauer, qui lui proposait de venir le vendredi 10 octobre à Trebbin dans leur maison de famille. Le mot disait en autre,--- J’ai parlé à mon père, il est d’accord de t’aider à entrer dans la SS. Pas vraiment surprise, la pâleur de son visage s’accentua et avec dégoût elle remit le papier dans la poche. Sans autre explication, le même jour, elle annonça à ses parents qu’elle quittait Berlin pour rejoindre Amélia, et qu’ils ne devaient, en aucun cas, donner des informations à Julius. En larmes ils serrèrent leur fille contre leur coeur. ---Ma petite fille lui dit Sarah, pour ton bien, nous ne devons pas avoir de contact, aucune lettre, pas d’appel téléphonique...rien.

Ethel approuva de la tête, embrassa tendrement ses parents et sans se retourner elle prit la direction de la gare. Ethel ne devait plus jamais revoir ses parents. 

A suivre... 


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