Luck: Michael Mann s'essaye à la série TV
Gyslain Lancement
Tout compte fait, j'aurais pu être jockey. Mais je n'ai jamais aimé les chevaux. Jamais. A part peut-être sous un capot. Chevaucher des canassons n'a d'excitant que le fric qui est en jeu, l'euphorie qui règne tout autour, jusqu'à ce que ça devienne des stats trop compliquées, ébouriffantes, décourageantes. Le jockey, en opposition au jacky - catégorie socio-culturelle tâchante par son tunning majoritairement vulgaire - fait de manière plus subtile attention à son apparence. Courir en k-way, manger, boire, baiser, se peser… Bien loin du pépé à casquette qui use de la pointe de son bic bleu les pages malodorantes des journaux turfistes, la série TV Luck a changé ma vision du milieu. Parce que la porte d'entrée idéale - et à ce propos, vive la colonisation mentale états-unienne - à un monde que l'on connaît peu voir que l'on méprise, c'est le borderline invisible, les sales gueules et tout ce manège dans lequel on aimerait tremper. Et à ce niveau là, en fin parieur de la dramaturgie hippique, David Milch (épaulé par Michael Mann pour le pilote) nous scotche. J'avais envie de voir un Tony Soprano traîner ses guêtres dans des box à chevaux puants, j'y ai vu un Dustin Hoffman glaçant. A quoi reconnaît-on les grands acteurs? Il vous flingue en un regard. Un plan fixe, un costard ajusté, une coiffure au peigne, un jeu millimétré… Pas tout blanc et ex-taulard, le lauréat s'exhibe discrètement vers le futur du 7ème art: la série téloche. Face à lui, un Nick Nolte en coach à l'ancienne, les nerfs apaisés mais la voix à vif, graveleuse et témoin d'une existence a plutôt vivre bien des mauvaises choses, une ribambelle de potes qui jouent leur vie à chaque course et des jockeys. Des jeunes premiers, des vieux camés, esclaves du poids qu'ils accusent sur la balance ou sur le dos de leurs montures. On parcourt l'ensemble des classes actrices de ce monde qui comme tout au 21ème siècle, est régi par la thune et les relations de force dégueulasse qu'elle implique. Malgré une bande-son diablement bien calibrée (« Massive Attack » pour le générique, quelques nappes volés à « Heat »), l'arrêt de la série pour des raisons de sécurité (clavicules pétées, chevaux euthanasiés) a bel et bien été confirmée. Qu'on m'abatte sur un chant de course, y'a du monde tout autour et j'aurais tendance à être monté comme un poulain. Je ne suis pas Jockey, je devrais.