Ludopia - épisode 3
Yeza Ahem
Il y a de cela plusieurs siècles avant les Guildes, le peuple vivait ici une existence dure et souvent courte. Le climat n'était pas propice aux cultures et l'élevage était rare car les pâtures étaient clairsemées et pauvres. Mais pourtant, malgré les privations, les familles restaient sur cette terre. Quelque chose les retenait. Ils n'auraient su dire quoi. L'habitude disaient certains ; une petite voix disaient d'autres. Bref, les décades, puis les siècles passèrent sans rien changer à la vie de ce pays.
Et puis elle est arrivée. Née au début du printemps, elle ressemblait à l'espoir, aux promesses souriantes de lendemains meilleurs, mais aussi à ces giboulées qui terrassent toute une région, en une fraction de secondes, entre deux rayons de soleil. Simple nourrisson, il était impossible de croiser son regard sans sourire quand son cœur était joyeux, sans grogner lorsque son front se plissait, marquant sa contrariété. On aurait dit qu'elle ressentait l'âme de la Terre. La fillette grandit vite, très autonome de ses parents. Ce qu'elle apprenait, elle semblait le tenir de la Nature elle-même. Elle n'avait pas encore 3 ans qu'elle semblait à sa place parmi les sages de la tribu, ce qui, eux, ne les mettait pas du tout à l'aise ! Peu à peu le peuple commença à craindre la fillette, adoubée à la fois par les dieux et les démons.
L'été de sa quatrième année, la saison fut très sèche, les récoltes, le bétail souffraient, et les Hommes aussi. Riamé, elle, restait isolée près d'un étang qui, jour après jour, disparaissait au profit d'une mare de plus en plus boueuse et où périssaient un à un les poissons qui suffoquaient. Certains commencèrent à dire que, s'il ne pleuvait pas, c'était à cause de Riamé et de sa cruelle curiosité.
Une nuit, elle fut entraînée dans une cage et enfermée avec promesse de périr affamée si elle ne demandait pas au Ciel de pleuvoir afin d'abreuver les terres. La fillette a d'abord souri, puis a grogné, accompagnée du tonnerre, et enfin a hurlé. Son cri ne ressemblait à aucun cri d'enfant, à aucun cri d'adulte non plus, d'ailleurs. Et, cette fois encore, le Ciel l'a rejointe en ponctuant ses cris d'éclairs, frappant tour à tour les persécuteurs de l'enfant, ainsi que leurs maisons et cultures. Un vent de panique souffla sur le village. Même les parents de Riamé avaient pour elle plus de terreur que d'amour. Elle fut bientôt libérée et l'orage s'arrêta. Mais dès ce jour, elle ne voulut plus vivre au village. Il lui fut construit une maison sur la colline attenante et, chaque matin et chaque soir, ses parents venaient lui apporter à manger et nettoyer l'unique pièce. Dès qu'elle fut installée, la pluie revint pour irriguer les cultures.
Devenue divinité vivante, la fillette, capricieuse, en profita pour obtenir tout ce dont elle avait envie. Un jour, le conseil des sages du village décida d'en terminer avec cette dictature. Riamé devait alors avoir 16 ans. Un groupe de jeunes hommes armés de faux est allé vers sa demeure avec la ferme intention de libérer le village. Riamé les a attendu devant sa porte, souriante. Mais au moment de l'assaut, son sourire disparut au profit d'un cri prolongé d'éclairs terribles qui foudroyèrent les six hommes.
Après la consternation, la résignation vint. Et le village se mit au service de Riamé, de génération en génération, car elle vieillissait, certes, mais semblait ne pas perdre en énergie. Jusqu'au matin de ses 157 ans. Ce matin-là, une jeune fille venait apporter l'offrande, comme chaque jour. Mais elle vit, non pas la maison, mais les débris de celle-ci, détruite par l'irruption d'un figuier d'une taille démesurée et jaillissant du centre de la pièce. les villageois, avertis, se précipitèrent jusqu'au figuier. Ils débarrassèrent le sol des débris, à la recherche du vieux corps de Riamé, mais ne trouvèrent rien. Elle était dans le figuier, ils le savaient. Alors rien ne changea, et pour satisfaire la Terre et le Ciel, le figuier de Riamé fut protégé, et des offrandes y furent déposées dès que les Hommes avaient besoin de l'apaiser.
C'était au début de l'âge des Guildes, et rien ne semblait devoir changer... jusqu'à l'arrivée d'un étranger à Ludopia, il y a quelques mois. Le voyageur avait été ignoré par le peuple d'Aradmil, conformément aux Lois. Mais le Rêveur était revenu souvent, trop souvent pour ne pas surprendre, un bref instant, le regard curieux d'un enfant trop jeune pour contenir sa curiosité. Il comprit alors qu'il pouvait intéragir avec Ludopia. Avant que les Explorateurs aient pu venir nous aider à renvoyer l'intrus, le mal avait été fait : le Rêveur avait emporté un fruit du figuier sacré jusque dans son monde, déstabilisant l'équilibre de notre contrée. Depuis, la Terre divaguait et réclamait cette figue, fille de Riamé.
Le silence dura quelques secondes avant qu'Aradmil ne se retourne de notre côté. Son regard, d'abord soucieux, se transforma lorsqu'il aperçut le sourire qui ornait le visage de mon compère Nosicarf, heureux d'avoir trouvé une quête.
A suivre...
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Alors je suis beaucoup moins bonne voyante qu'Erge, mais je suis aussi ;) J'aime bien les quêtes ;)
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Merci Carouille ! J'ai donc 2 excellentes raisons de poursuivre ;)
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
Oh, yeza, tu vas nous faire rougir !! :)
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
J'y vois un peu des 10 commandements, un peu de récit biblique, un soupçon de péplum de science fiction, un autre monde entre Terranova et Pandora, et beaucoup d'imagination à dose homéopathique. Je prends mon ticket pour la suite .
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Merci beaucoup pour ce commentaire qui m'encourage à poursuivre ! Super intéressant de lire ce qu'il t'inspire...
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem