L'UNIQUE 3

la-rose-blanche

Est-elle vraiment l'Unique ?

Ouf ! Heureusement que tout c'était bien passé aujourd'hui. Pas d'incident majeur, juste ces ampoules qui s'étaient mises à clignoter. Brad n'était vraiment qu'un malotru. Depuis le jour où elle avait été embauchée comme serveuse dans ce snack-bar, elle n'avait jamais rencontré un client aussi désagréable. Il la taquinait tout le temps et chaque fois qu'elle passait près de lui, il cherchait à la toucher, envoyant des mains un peu trop baladeuses sur son visage, ses épaules, sa taille ou ses jambes.

Elle en avait eu assez, et c'était de toutes ses forces qu'elle avait souhaité qu'il lui obéisse. Au regard de l'attitude qu'il avait eue avant de sortir du bar, elle en avait déduit qu'il n'allait plus l'importuner, et dans un sursaut de colère, elle lui avait carrément demandé d'aller chanter l'hymne national au milieu de la chaussée. Elle sourit en pensant que cela aurait été drôle de le voir s'exécuter ; si et seulement si elle pouvait contrôler ses facultés.  

De toute façon, il était parti, et elle avait ainsi pu recouvrer assez de son calme pour que les lumières se stabilisent.

Elle regarda sa montre et constata qu'il était neuf heures du matin. Elle ne travaillait que la nuit, et le matin se reposait quelques heures avant d'effectuer d'autres tentatives de recherche d'emploi.

Lorsqu'elle s'était présentée devant Tom pour la première fois pour lui demander du travail, il l'avait longuement détaillée de la tête aux pieds, d'un œil désapprobateur peut-être, mais pas hostile. Ensuite, il avait accepté de la prendre à l'essai pour une période d'un mois.

Elle s'était retenue à grand peine pour ne pas lui sauter au cou et lui exprimer toute sa gratitude ; mais elle lui avait dit merci elle ne savait combien de fois. Et comme elle n'avait aucun endroit où aller, il lui permettait d'occuper une petite chambre abandonnée au fond du snack. C'était très petit, à peine suffisant pour recueillir un lit de célibataire et une petite armoire pour ses affaires, mais c'était propre, et pour une fois depuis longtemps, elle ne s'était pas sentie aussi en sécurité. En plus, elle avait dit s'appeler Eden Marty, juste pour que son vrai nom ne dise rien à personne. C'était une façon un peu gauche d'essayer de recommencer sa vie, peut-être, mais pour l'heure, c'était tout ce qu'elle avait trouvé.

Melvie s'étira paresseusement. Elle était épuisée. Il lui fallait prendre une bonne douche avant de se mettre au lit. En se baissant pour défaire les boucles de ses chaussures, elle repensa à ce que lui avait dit l'inconnu qui lui avait fait la conversation près du bar. Elle l'avait trouvé très séduisant, avec son tee-shirt vert et son jean noir. Ce qui l'avait le plus frappée c'était ses yeux ; ils étaient bleus mais d'un bleu clair comme du Crystal. Lorsqu'il souriait, deux adorables fossettes se creusaient sur ses joues et son regard étincellait encore plus. Mel sourit lorsqu'elle se souvint de son attitude après l'avoir envoyé balader ; il avait été surpris, peut-être parce qu'il n'était pas habitué à ce qu'on lui dise non.

Cependant, sa mine s'assombrit aussitôt. Elle devait toujours dire non. Même si c'était très difficile de vivre seule ainsi sans compagnon, elle devait tenir ferme et toujours dire non, jusqu'à ce qu'elle trouve une solution à son problème. Ce Cole, par exemple, n'était vraiment pas mal ; et cela n'avait pas été aussi facile que cela de lui tenir tête, mais Mel savait qu'il valait mieux se résigner maintenant plutôt que d'essayer de jouer avec le feu, au propre comme au figuré.

*************

Marshall Sénéchal releva la tête pour jeter un regard espiègle à son subalterne. Derrière ses lunettes tintées, Cole pouvait bien voir ses yeux brun fatigués. Le commissaire venait d'achever la lecture du rapport final fourni par la commission d'enquête affectée aux récentes catastrophes naturelles. Et visiblement, il n'en était pas satisfait.

-Ainsi, selon ces…chercheurs, il n'ya aucune explication aux phénomènes qui se sont produits ces dernières semaines !

-Oui Mon Commissaire ; je suggère de classer l'affaire.

Le Commissaire se rejeta en arrière dans son fauteuil.

-D'accord ; capitula-t-il au grand soulagement de Cole ; mais si un autre incident se produit, vous y travaillerez jour et nuit jusqu'à en trouver le responsable.

Cole pria intérieurement pour que cela n'arrive plus jamais.

-Oui Mon Commissaire ; répondit-il, trop content de pouvoir passer à autre chose.

C'est donc avec un large sourire aux lèvres qu'il classa l'affaire et alla ranger le dossier dans le bureau des archives.

Des semaines s'écoulèrent sans incidents et sans qu'aucune autre catastrophe ne soit enregistrée. Cole était véritablement passé à autre chose et s'occupait d'une affaire prioritaire à lui confiée par le Commissaire ; il s'agissait pour lui de mettre la main sur le chef d'un réseau de kidnappeurs d'enfants qui les utilisaient ensuite pour satisfaire des pédophiles. Une affaire des plus compliquée, il n'avait aucune piste ; mais c'était encore mieux que de chercher à expliquer des phénomènes inexplicables.

De son côté, Melvie commençait à reprendre des couleurs. Sa mine était beaucoup plus avenante et elle avait pris quelques kilos en plus. Des semaines s'étaient écoulées sans qu'elle ne soit confrontée à d'autres phénomènes étranges. Elle commençait à penser qu'elle pouvait à nouveau mener une vie normale. Cependant, un soir alors qu'elle servait à boire comme à l'accoutumée, il se produisit quelque chose qui ne lui était encore jamais arrivé.

-Tom, deux alsaces s'il-te-plaît ; fit-elle à l'endroit de son supérieur derrière le comptoir.

Il chargea son plateau. Mais lorsqu'elle tourna le dos pour aller servir, elle fut prise d'un violent vertige qui l'obligea à s'arrêter net. Une marée de paroles l'envahit et elle essaya en vain de comprendre ce qui lui arrivait. C'était comme si tout le monde dans le snack lui parlait en même temps. Elle regarda dans tous les sens et eut l'impression que tout le monde lui parlait même à travers les lèvres closes. Un violent mal de tête s'empara d'elle et elle dut s'agripper à une chaise près d'elle pour ne pas tomber.

-Eden ? demanda Mandy, sa collègue en passant près d'elle. Est-ce que ça ca ? …Mais qu'est-ce qui lui arrive ? On dirait qu'elle est droguée. Hé !

Melvie la regarda, hébétée. Comment pouvait-elle entendre à la fois ce qu'elle disait et ce qu'elle pensait ? C'était démentiel. Elle jeta un regard à la dérobée et se rendit compte qu'elle entendait les pensées de tout le monde en même temps. Elle avait toute la peine du monde à se concentrer. Le plateau lui échappa des mains et son contenu se répandit sur le sol. Tom accourut aussitôt.

-Qu'est-ce qui ne va pas Eden ? …Elle est toute pâle.

-Je…commença-t-elle.

-J'ai la haine ! Ce…

-Mais pour qui me prend-il ? Je ne suis pas née de la dernière pluie…

-J'espère qu'il viendra ce soir. Ce sera plus facile de le tuer ici, avec tout ce monde…

-Je l'aime tellement…

-Eden !

Toutes ces pensées la harcelaient et elle ne pouvait rien faire pour les taire. Soudain, elle sentait plus chaud et des gouttes de sueur perlèrent sur son front. Avec un effort surhumain, elle réussit à fixer Tom dans les yeux.

-Tout va bien ; cria-t-elle pour couvrir le bruit qu'elle seule pouvait entendre. Je suis désolée pour la commande, j'ai été bousculée par un client.

Il secoua la tête.

-Pas besoin de crier ; je t'entends très bien. Dépêche-toi de nettoyer ça ; fit Tom simplement.

Lorsqu'elle se baissa pour nettoyer, elle fut soudain attirée par une voix en particulier, une voix sombre qui n'arrêtait pas de parler de tuer. Elle essaya de toutes ses forces de se concentrer sur cette voix et y parvint à peine, les autres voix ne voulaient pas disparaitre.

-…faut qu'il vienne aujourd'hui…J'espère…facile de le tuer…son appartement…le voilà enfin…

Melvie leva instinctivement la tête en direction de la porte d'entrée, et quelle ne fut pas sa surprise de voir apparaitre le bel homme aux cheveux de jais et aux yeux bleus : Cole ! Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines. Son vertige s'accentua tandis que les voix dans sa tête continuaient leur concert.

Cole s'avança vers Tom et comme à son habitude, s'accouda au bar. Aussitôt, elle essaya de se concentrer sur lui, question de savoir si elle pouvait lire en lui. Mais dans tout ce tumulte, elle n'arrivait pas à capturer sa voix.

Aussi vite qu'elle le put, elle termina de ramasser les débris de verre et se dirigea vers lui. Elle admira sa classe. Il était vêtu d'une chemise bleue marine et d'un pantalon jean noir sur des baskets blanches. Ses cheveux étaient livrés à eux-mêmes et Melvie eut envie de les discipliner de ses doigts.

Lorsque leurs yeux se croisèrent, il cessa de sourire et lui lança un regard à la fois étonné et défensif. Il s'était mis sur ses gardes comme si un danger le guettait. Surprise par son attitude, Melvie fit un énorme effort de concentration pour enfin entendre sa voix.

-…étrange…Je ne devrais peut-être pas…chanter ?

-Eden ? Appela fermement Tom.

Elle sursauta.

-Oui, je suis désolée. Tiens.

-Alors Eden, tout baigne ? demanda Cole. …Elle est beaucoup plus jolie que la dernière fois. Je …chanter sur la chaussée…

-Je vais bien ; répondit-elle sans cesser de le fixer tandis que Tom s'évertuait à débarrasser et à recharger son plateau. Pourquoi pensait-il à « chanter sur la chaussée » ?

Soudain, elle se retourna dans la salle pour essayer d'identifier l'homme aux idées noires et remarqua un jeune homme à la casquette rouge, tête baissée, assis seul à sa table ; il regardait dans leur direction. Elle ne parvenait pas à discerner ses traits, mais sentait son regard de fauve sur Cole. Une incursion dans ses pensées et elle y découvrit des propos pas très rassurants. Il se leva brusquement, glissa un billet sous son verre et sortit du snack comme un félin. Melvie soupira et tout s'arrêta net ; plus de bruit de voix dans sa tête. Quel délice de ressentir le silence.

-Tiens, voilà ton plateau ; dépêche-toi ; les clients doivent t'attendre depuis un bon moment déjà.

-Bien sûr ; j'y cours.

Cole la suivit du regard quelques secondes. Qui était cette fille ? Elle lui faisait une drôle d'impression. Il devrait peut-être se méfier d'elle. Elle pouvait bien lui demander d'aller chanter l'hymne sur la chaussée s'il la contrariait. Il avala goulument sa bière et se mit à penser à son affaire. Elle avait de quoi casser la tête. Les enfants étaient kidnappés dans la rue, ou enlevés à des familles qui pour une raison ou une autre ne pouvaient pas porter plainte.  Mais un informateur avait dit pouvoir lui obtenir l'adresse d'un prospecteur, c'est dire un homme chargé de repérer les cibles qui seront les prochaines victimes. Il attendait son appel depuis quelques jours.

Perdu dans ses réflexions, il ne remarquait même pas tous les appels sensuels lancés par les serveuses qui venaient se ravitailler chez Tom. Ce dernier semblait submergé mais conservait toujours de sa bonne humeur. Ce n'est que lorsque Melvie réapparut au bar que son esprit revint dans le snack. Pas de doute, elle avait changé et s'était beaucoup améliorée depuis le premier jour où ils s'étaient rencontrés. Ses cheveux blonds jadis ternes paraissaient beaucoup plus soyeux et il se dégageait d'elle un parfum délicieux. Cependant, lorsqu'elle   croisa son regard, il eut la chair de poule. Il vida son grand verre d'un trait.

-Tom ; j'y vais.

-Déjà ?

-J'ai du sommeil à rattraper. A plus.

Sur ces entrefaites, il nota une sorte de déception dans les yeux d'Eden et s'en étonna. Il lui sembla qu'elle voulait lui dire quelque chose mais il ne la laissa pas réfléchir longtemps et partit.

 

-J'aurais dû lui dire ! N'arrêtait pas de se dire Melvie. Et si cet homme s'en prend à lui, que dirais-je ?

Assise sur son lit de bon matin, elle se rongeait les ongles en imaginant les pires scénarii au sujet de ce qu'elle avait entendu la veille. Cole allait se faire tuer et elle n'avait rien fait pour ne serait-ce que l'avertir. Pourquoi avait-elle hésité ? Certainement parce qu'elle se disait qu'il voudrait savoir comment elle pouvait le savoir. Et elle ne pouvait pas lui dire qu'elle avait lu les pensées…

Soudain, une évidence la frappa. Cole avait dit, du moins il avait pensé, à « chanter sur la chaussée » ; lui revint alors en mémoire ce qu'elle avait fait à Brad des semaines plus tôt. Elle se rappelait bien lui avoir demandé d'aller chanter l'hymne sur la chaussée. Peut-être que Brad s'était exécuté et que Cole l'avait vu faire. Si tel était le cas, alors Brad lui avait certainement dit que c'était elle qui lui avait intimé l'ordre de le faire. Ce qui expliquerait l'attitude défensive qu'il avait eu à son égard au bar.

Elle se prit la tête des mains. Sa migraine avait baissée ; après le flux de paroles qui l'avait envahie la veille, elle avait avalé des cachets pour calmer la douleur. Cela ne lui était jamais arrivé avant, de lire dans les pensées des gens, et Dieu seul savait le nombre des choses qu'elle était déjà capable de faire, comme la télékinésie qui lui permettait de faire des choses incroyables, la divination et la manipulation des consciences. A cela, venait s'ajouter la télépathie. Elle aurait tellement aimé pouvoir les contrôler pour les utiliser à sa guise.

Et si ce à quoi elle pensait était exact ? Et si Brad avait parlé à Cole et que ce dernier s'était imaginé qu'elle était une sorcière ? Cette pensée la fit sourire, mais, très vite, elle se calma. Le plus urgent était de savoir comment faire pour l'aider si jamais ce tueur décidait de passer à l'acte. Il avait dit vouloir s'en prendre à lui au snack ? Il n'avait qu'à venir.

De son côté, Cole, qui ne se doutait pas une seule seconde qu'une menace planait sur lui, revint au snack le lendemain soir. Dès que Melvie l'aperçut, elle lança un énième coup d'œil à la dérobée pour voir si l'homme à la casquette rouge était là. Mais elle ne vit rien de suspect. Il fallait cependant relever qu'elle n'avait pas bien vu son visage. Un effort de concentration pour une fois de plus sonder les pensées, mais rien. C'était le silence.

Aujourd'hui plus que les autres soirs, Cole semblait plus détendu. Il se leva pour danser et invita sur la piste bondée plusieurs cavalières. Mel ne put s'empêcher de penser à son mariage avec Steven, aux bons moments qu'ils avaient passés ensemble. C'était triste ce qui leur était arrivé. A chaque fois qu'elle y pensait, elle était au bord des larmes.

Quand elle passa près de Cole, il l'apostropha.

-Hé, Eden, tu viens danser ?

-Vous savez bien que je travaille ; répondit-elle laconiquement.

Décidemment, sa bonne humeur était sans bornes. Le sentiment de crainte qu'elle lui avait inspiré la veille semblait avoir disparu. Peu de temps après, il rejoint l'accoudoir du bar. Plusieurs personnes défilaient près de lui à l'accoudoir et Mel se rendit vite compte qu'elle ne saurait reconnaitre le mystérieux individu d'entre tous. Pire encore, elle ne pouvait surveiller Cole et son verre indéfiniment car il fallait qu'elle travaille. Aussi décida-t-elle de lui dire ce qu'elle savait, quitte à passer pour une folle. Elle se rapprocha de lui comme il vidait son énième verre, ne sachant par où commencer.

-Salut ; commença-t-elle timidement.

Cole darda sur elle des pupilles dilatées par l'alcool.

-Salut ma belle. Tu as du temps pour danser maintenant ?

-Ce n'est pas pour cela que je viens vous voir. Je… J'ai quelque chose de très important à vous dire. Est-ce qu'on peut se parler à l'extérieur, loin des oreilles indiscrètes ?

Il parut hésiter. En fait, il se demandait si elle ne voulait pas lui tendre un piège ou quelque chose dans le genre.

-D'accord ; finit-il par dire avant de la suivre nonchalamment.

Elle l'emmena à l'extérieur par la porte de derrière, là où il n'y avait personne alentour. Le silence de la nuit le fit frémir ; il était sur ses gardes. Elle s'arrêta  net sous un lampadaire, scruta les alentours comme pour s'assurer qu'aucune oreille indiscrète ne saisirait leur conversation.

-Alors ? Qu'est-ce qu'il ya de si important que tu dois me dire ?

Elle le fixa dans les yeux, craintive et indécise.

-Vous devez savoir que vous courez un grave danger.

Il sourit.

-Je suis de la police ; c'est mon boulot d'être en danger.

-Je sais que vous êtes dans la police. Mais c'est plus grave que cela. Un homme est venu ici hier ; et …il projette de vous tuer.

Cole digéra lentement cette révélation.

-Comment le sais-tu ? Il te l'a dit peut-être ?

-Bien sûr que non. Il a …Il a juste…

« Il a juste pensé », aurait-elle voulu dire. Elle cherchait les mots justes pour lui faire comprendre. Cole commençait à perdre patience. Il avait retrouvé toute sa fermeté.

-Ecoute, dit-il en esquissant le mouvement de s'en aller, j'ai beaucoup mieux à faire d'accord ? Je suis flic et je risque ma vie tous les jours, alors…

-Vous est-il déjà arrivé de chanter l'hymne national sur la chaussée? Osa-t-elle prudemment.

Il s'arrêta net, comme foudroyé et se tourna lentement vers elle, sur la défensive, le front plissé. Qu'essayait-elle de faire ? Pourquoi lui posait-elle cette question suggestive ?

-C'est quoi cette question ?

-Vous, répondez-moi. Qu'est-ce que cela vous évoque ?

-Je n'en sais rien. A toi de me le dire.… veut me tendre un piège ; je ne devrais pas être ici. Je sais pour l'homme qu'elle a envoyé chanter…Tu m'entends ?

-Oui ! cria-t-elle, réalisant qu'elle pouvait à nouveau lire dans ses pensées.

Il recula brusquement.

-Que vous a dit Brad ?

-Brad ? demanda-t-il sans comprendre.

-Celui que…qui chantait l'hymne sur la chaussée.

-Tu l'as vu aussi ? Mais qu'est-ce qu'elle veut vraiment savoir ?

-Vous savez que je lui ai demandé d'aller chanter l'hymne sur la chaussée et qu'il s'est exécuté.

Il garda le silence, ne sachant s'il fallait confirmer ou nier. Pour Melvie, c'était le brouillard dans la tête de Cole. Elle n'arrivait pas à y lire des phrases cohérentes.

-Vous n'avez rien à craindre ; je ne…

-Qui t'a dit que je savais ? l'interrompit-il.

-Toi ; j'ai lu dans tes pensées, tout comme j'ai lu dans les pensées de cet homme hier qu'il envisageait de te tuer.

Cole nota le tutoiement ; mais plus encore, il fut couvert de chair de poule.

-C'est quoi ce…Merde ! elle doit être en train de lire dans mes pensées là …Comment il était ? Je veux parler de l'homme qui veut me tuer.

-Je ne le reconnaitrai pas ; il portait une casquette rouge et je n'ai pas pu voir son visage. Mais je sais qu'il envisageait de s'en prendre à toi. Je crois qu'il disait que ce serait préférable d'en finir avec toi ici plutôt qu'à ton appartement, ou alors l'inverse. C'était flou dans sa tête.

-Mais comment n'a-t-elle pas pu voir son visage ?

-Il faisait sombre ; répondit-elle à sa question mentale. Il gardait constamment la tête baissée. Mais je sais qu'il est blanc, il a à peu près votre taille ; il est très mince…

-Je vois ; fit-il simplement. Il a dit…ou plutôt « pensé » à la manière de s'en prendre à moi ?

-Non ; je n'ai rien entendu de ce genre.

-Je vois ; répéta-t-il.

-Qu'est-ce-que tu vas faire ?

-Pour l'instant rien ; puisque je n'ai pas d'informations pouvant me permettre d'agir. Cela a peut-être un rapport avec mon enquête en cours…

-Je sais que tu travailles sur des pédophiles.

Il la regarda comme s'il la voyait pour la première fois. D'ailleurs son expression avait changé ; on aurait dit qu'elle lisait quelque chose d'invisible derrière lui. Il se retourna, mais ne vit rien. Comment pouvait-elle savoir pour cette enquête ?

-Ils ne savent pas que tu es sur leurs pistes. Mais, ton informateur ne peut pas t'aider ; continua-t-elle comme il revenait de sa surprise. Il ne le sait pas lui-même qu'il ne peut pas t'aider. Vous devriez chercher parmi les…parmi ceux que…

Elle ferma les yeux et claque des doigts pour essayer de trouver les bons mots ; mais rien.

-Parmi les? Dit Cole comme pour l'encourager. Bon sang, c'est quoi ce délire ? Qu'est-ce-que je fais ici ? C'est une sorcière…

Elle releva immédiatement la tête.

-Je ne suis pas une sorcière ! fit-elle avec une telle véhémence que le vent se leva soudain ; les lumières des lampadaires clignotèrent et Cole resta sur ses gardes.

Melvie prit peur et essaya de se calmer, mais ses mains se mirent à trembler.

-Non ! Je ne veux pas que ça se reproduise encore !

Cole passa une main furtive derrière son dos et récupéra son arme de service sous sa chemise. Cependant, il ne savait qu'en faire : la pointer sur Eden ou alors sur le vent qui se faisait de plus en plus violent. Les bouts de papier et la poussière se levaient avec force tandis que leurs cheveux dansaient sur leurs têtes.

-Qu'est-ce-qui se passe bon sang ? cria-t-il à l'endroit de la jeune femme désespérée.

-Je ne le contrôle pas ! Je suis désolée ; je suis désolée ; je suis désolée…

La terre se mit à trembler sous leurs pieds et commença à se fissurer. Il recula d'un bond et la lumière se fit dans son esprit.

-Eden !

-Je suis désolée ; ne cessait-elle de répondre tout en regardant autour d'elle d'un air effaré.

Sans plus attendre et sans réfléchir, il rangea son arme, s'approcha d'elle et lui prit les mains.

-Regarde-moi !

Elle fit un effort pour le fixer dans les yeux.

-Ca va aller ; tu n'as rien à craindre. Calme-toi ! Inspire profondément … expire.

Melvie ferma les yeux et se concentra sur la voix de son interlocuteur.

-C'est bien.

L'air se fit très humide, presque glacial. Les mains de Cole semblaient complètement gelées ; heureusement le vent tombait peu à peu.

-Tu vois que ça marche. Tu peux tout arrêter Eden. C'est bien ; continue à respirer lentement. Voilà.

La voix de Cole était vraiment très douce à ses oreilles. Au fur et à mesure que Melvie se reprenait, le calme  revenait autour d'eux ; jusqu'à ce que tout redevienne silencieux. Elle ouvrit les yeux et fondit aussitôt en larmes. Cole la prit dans ses bras et lui murmura que tout allait bien, pourtant conscient qu'il était à l'origine de ce qui venait de se passer pour l'avoir qualifiée de sorcière, et qu'il avait été à deux doigts de provoquer un autre effondrement.

Il jeta un regard alarmé en direction de la fissure grossière sur l'asphalte dont personne à part eux ne connaitrait jamais l'origine, parce qu'il n'avait pas l'intention d'en parler à qui que ce soit. Lorsqu'elle se fut calmée, il desserra son étreinte et tandis qu'elle s'essuyait les yeux, il remettait de l'ordre dans ses cheveux en les recoiffant du mieux qu'il put. C'était incroyable ! Le Commissaire avait raison sur un point ; une main humaine était bel et bien à l'origine des effondrements des derniers jours. Seulement, il semblait qu'elle ne contrôlait pas ce qui lui arrivait.

Autour d'eux, la ruelle était saccagée. Des ordures provenant de la poubelle renversée jonchaient le bitume et une agitation se faisait ressentir dans le voisinage qui avait  certainement vécu une partie du tremblement de terre et de la mini-tempête. Eden lui caressa les cheveux blonds pour les remettre en ordre. Elle était un peu plus calme.

-Est-ce-que ça va ? lui demanda-t-il sincèrement.

Elle se contenta d'hocher la tête.

-Je suis désolé d'avoir dit…d'avoir pensé que tu es une …

-On devrait rentrer ; le coupa-t-elle.

Et joignant le geste à la parole, elle prit la direction de la porte arrière. Une fraction de seconde plus tard, il la suivait. De retour dans l'ambiance festive du snack, Cole eut l'impression de tomber dans un monde complètement différent de celui auquel il venait de faire face. La musique, les lumières, le bruit des conversations, tout cela lui paraissait irréel.

-Hé Cole ; l'apostropha Tom. Où étais-tu passé ?

-J'étais aux toilettes.

-Tu as senti cette secousse ? On dirait que la terre a tremblé pas loin d'ici.

-Oui, je l'ai senti ; j'ai cru que c'était dû à tout l'alcool que j'avais bu. Sers-moi un verre ; quelque chose de fort.

-Tout de suite Monsieur l'Agent.

Boire ne résolvait rien ; mais pour l'instant il avait besoin d'avaler quelque chose de bien corsé. Il ne se remettait pas encore de ce qu'il venait de découvrir sur Eden. Il la chercha des yeux mais ne la vit pas. Peut-être reprenait-elle ses esprits dans un coin.

En effet, celle-ci était rentrée dans sa chambre pour se passer de l'eau sur le visage. Maintenant que Cole savait pour elle, allait-il la trahir ?

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