L'UNIQUE 1
la-rose-blanche
*PROLOGUE*
Melvie s'arrêta soudain devant le supermarché LOTO encore en chantier qui avait néanmoins déjà ouvert ses portes au grand public. Il était immense et semblait véritablement contenir tout ce qui pouvait rentrer dans la catégorie de l'Agro-alimentaire, du cosmétique, de l'Ameublement, bref le propriétaire de cette Entreprise, Stuart Denso devait se faire un maximum de bénéfices avec tous les services qu'il offrait. Melvie sourit à l'idée d'aller le trouver directement dans son bureau sis tout juste en face du Supermarché, pour lui soutirer tout son argent. Mais son sourire s'effaça aussitôt lorsqu'elle pensa à tout le mal que ses facultés lui avaient déjà causé.
Cependant, elle avait besoin d'argent. Son compte bancaire n'allait pas tarder à s'épuiser, et elle ne pouvait compter sur personne pour lui prêter un peu d'argent. Nécessité faisant loi, elle avait été obligée de vendre les quelques affaires de fortune qu'elle possédait et bientôt, serait dans l'incapacité de payer le modique loyer de sa chambre.
Ses cheveux blonds, jadis beaux, soyeux et soignés, n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes; pâles et secs. Cela faisait un siècle qu'elle ne s'était plus fait ni manucure, ni pédicure; cela faisait également une éternité qu'elle n'avait pas acheté de nouveaux vêtements. Elle n'avait que vingt sept ans, mais en paraissait beaucoup plus. Ses maigres économies ne lui avaient servie pendant quatre mois, qu'à survivre et ne pas mourir de faim. Avec le poste d'agent d'entretien dans un cabinet médical qu'elle avait occupé jadis à l'autre bout du Pays, que pouvait-elle bien épargner?
Steven, son mari lui avait sans cesse répété de quitter cet endroit où tout le monde la méprisait, pour rester à la maison s'occuper de leurs deux enfants encore en bas âge; mais elle s'était toujours entêtée, refusant de se terrer dans une cabane juste assez grande pour faire deux pas. Steven avait un maigre boulot d'aide mécanicien qui leur rapportait une misère; cela ne l'empêchait pourtant pas de demander à sa femme d'arrêter de travailler; car, disait-il, il n'aimait pas la façon dont leur bailleresse, pourtant très gentille, s'occupait de leurs enfants.
Elle ferma un instant les yeux devant les horreurs qui lui revenaient en mémoire, mais lorsqu'elle les rouvrit, elle se retrouva au milieu de la chaussée. Elle s'était laissée emportée par les souvenirs. Heureusement que la circulation était fluide, même si cela n'empêcha pas certains automobilistes de klaxonner.
En hâte, elle courut regagner le trottoir. Les battements de son cœur s'accélérèrent et elle prit soudain peur. Mais il était déjà trop tard. Sans crier gare, des fissures d'abord légères se mirent à apparaître sur la chaussée devant elle, tandis que les vitres de la cabine téléphonique à quelques pas d'elle volaient en éclat.
Les passants se retournèrent, surpris par le bris de glace sans aucune explication apparente. Puis, des craquements d'abord sourds leur parvinrent depuis la chaussée, et celle-ci se cassa littéralement dans un tremblement de terre.
Ce fut la débandade. Les gens se mirent à courir dans tous les sens, les véhicules freinaient et se rentraient dedans, créant un fracassant bruit de tôles abîmées. La terre s'ouvrait par endroit.
Mais ce spectacle apocalyptique, Melvie en avait connu pire. Elle n'avait pas bougé d'un pouce et se concentrait de toutes ses forces pour se calmer. Seule sa paix intérieure pouvait arrêter ce déchainement des éléments. Elle se prit à compter : 1,2,3,4...Parvenue à 22, elle ferma les yeux et poussa un immense soupir de soulagement ; aussitôt après, tout s'arrêta.
*Épisode 1*
-Cole, le Commissaire sur la 3.
Cole Wehsson fit une grimace avant de répondre à la réceptionniste.
-D'accord, je le prends.
La voix grave et impérative de son supérieur lui intima d'un ton sec:
-Monsieur Wehsson, je veux vous voir dans mon bureau dans les secondes qui viennent.
-Bien mon Commissaire; fit Cole de justesse avant que son interlocuteur ait raccroché.
Le Commissaire Central de la petite ville de Périmès était toujours très nerveux et de très mauvaise humeur. On pouvait difficilement le contenter, le convaincre, encore moins le duper. Et le rythme de limace auquel les affaires étaient résolues dans le Commissariat n'arrangeait rien à son fâcheux caractère.
D'un pas traînant, presque réticent, Cole entra dans l'ascenseur qui devait le conduire au bureau de son supérieur. Celui-ci lui avait demandé de monter le voir certainement parce qu'il n'y avait rien de nouveau dans l'affaire qu'il lui avait confiée la semaine dernière. C'était une affaire de fou. Cole avait longuement hésité avant de se saisir de ce dossier, trouvant à redire sur la thèse du Commissaire qui croyait dur comme fer qu'une intention terroriste se cachait derrière le tremblement de terre qui avait eu lieu à l'arrêt bus du quartier BEAURELAC et qui avait rendu la route impraticable pendant jusqu'à ce jour.
Lorsqu'il pénétra dans le bureau du Commissaire, Cole sut, au regard de son supérieur, qu'il allait passer un très mauvais moment en sa compagnie. Debout devant sa baie vitrée, les mains dans les poches, il semblait très préoccupé.
-Faites-moi un rapport de la situation; dit-il tout de go à l'endroit de Cole, sans même se retourner.
-Hé bien Mon Commissaire, je dois vous avouer que je n'ai pas beaucoup progressé, pour ne pas dire que je n'ai trouvé aucune nouvelle preuve ou piste...
-Vous voulez dire que l'affaire piétine toujours?
-C'est cela même. A mon avis, et ce n'est pas la première fois que je vous le dis, il s'agit d'un phénomène naturel inexplicable. Il y en a tellement de ce genre de part le monde qu'on ne les compte plus. Il y a eu un tremblement de terre, la terre s'est ouverte, des vitres ont volé en éclat; les scientifiques y travaillent. J'ai avec moi le deuxième rapport de la commission scientifique qui a été affecté à cette affaire. Il n'y a pas d'explication rationnelle à ce qui s'est passé et...
-Et cela signifie qu'une main humaine se cache derrière cela; puisque je vous le dis! l'interrompit le Commissaire sans ambages en se retournant brusquement.
Pourquoi persistait-il avec cela? se demanda Cole avec agacement. Ou, le Commissaire savait des choses qu'il ne voulait pas dévoiler, ou alors il était victime d'un sentiment d'échec, ayant lui-même des comptes à rendre.
-Vous travaillez au Bureau des Affaires Spéciales, Monsieur Wehsson; poursuivit-il; cette affaire est spéciale et je veux des résultats, pas des impressions ou des suppositions; je veux des faits!
Cole fut surpris par cette véhémence qui n'aurait pas dû l'étonner, vu la réputation de son Chef.
-Monsieur le...
-Suffit! Je vous revoie ici demain avec de meilleurs résultats.
Sur ce, il retourna à sa baie vitrée d'où il pouvait contempler la ville de haut.
Cole sortit de son bureau non sans un soulagement empreint d'amertume. Pour avoir la paix, il fallait absolument qu'il trouve quelque chose de nouveau à faire avaler à son Chef, sinon...
*******
-Bonjour madame; répéta Melvie pour la troisième fois.
Mais la dame en question ne semblait même pas remarquer sa présence. Cela faisait cinq minutes que Melvie poirotait devant elle. Elle avait d'abord cru que la dame s'était levée du mauvais pied et jouait à la nerveuse, mais, c'était tout bonnement comme si elle n'avait même pas conscience d'avoir quelqu'un en face d'elle. D'ailleurs, aucun des trois visiteurs assis sur les bancs d'attente de l'Entreprise Press Food où elle avait déposé un curriculum vitae deux semaines auparavant, ne semblaient la voir; comme si elle était transparente.
- Et ça recommence; merde! fit Melvie en colère, et en se dirigeant vers la porte.
-Mademoiselle? fit soudain la réceptionniste. Un peu de décence s'il-vous-plaît.
Melvie se retourna, surprise par la réaction de son interlocutrice, qui la regardait de haut en bas, se demandant certainement ce que cette fille mince, vêtue de jeans et tee-shirt tous pâles, non coiffée et fatiguée pouvait venir faire dans un endroit pareil. Lentement, elle se rapprocha d'elle et d'un ton plus calme, lui demanda:
- Je vous demande pardon. Je m'appelle Melvie Space; j'ai déposé une demande d'emploi ici il y a de cela deux semaines et je viens aux nouvelles.
La réceptionniste lui adressa un regard encore plus hostile.
-Vous n'avez qu'à attendre qu'on vous appelle. C'est la règle ici. Le recrutement se fait en cas de besoin, et non pas selon le gré des demandeurs d'emploi, qu'est-ce que vous croyez? Et puis la prochaine fois, essayez de mettre des vêtements un peu plus...convaincants.
Trop atteinte dans son amour propre pour riposter, Melvie tourna simplement les talons et se retrouva dehors. C'était son lot quotidien; si on ne lui criait pas dessus, on la renvoyait en lui disant qu'il n'y avait rien à lui confier. Même les boulots d'entretien se faisaient rares. A plusieurs reprises, il lui avait été demandé de revoir ses tenues vestimentaires; mais qu'y pouvait-elle? Elle n'avait pas d'argent. Son bailleur l'avait finalement mise à la porte et elle dormait à la rue, jamais au même endroit. Qu'y pouvait-elle?
Cependant, une petite voix au fond d'elle qu'elle avait toutes les peines du monde à taire, lui soufflait de tout faire pour profiter de ses dons, quitte à rencontrer des spécialistes du comportement et des sciences neuronales ou même des spiritueux. Avec eux, elle pouvait avoir tout ce qu'elle voulait; mais elle avait décidé de ne plus jamais s'en servir. Ils lui avaient causé beaucoup de tords; en plus, elle ne contrôlait rien. Comme à l'instant devant la standardiste de Press Food. Par moments, il lui arrivait de disparaitre, d'être complètement transparente, au point de ne même pas se faire entendre. C'était terrifiant. Elle n'avait jamais apprécié aucune de ces facultés qui s'étaient développées chez elle sans son consentement et sans qu'elle ne sache pourquoi, ni comment.
Dans un soupir de frustration, mêlé au gargouillement de son estomac qui revendiquait ses droits, elle sortit de sa bandoulière la liste des structures qu'elle devait visiter pour s'enquérir de la suite donnée à sa demande d'embauche. Mais avant cela, il fallait qu'elle mange.
A une centaine de mètres de là, elle aperçut un vendeur de saucisses ambulant. Elle n'avait pas plus d'un euro sur elle, mais il fallait qu'elle mange. Lorsqu'elle parvint à la hauteur du marchand, il leva sur elle un regard soupçonneux. Melvie s'en étonna et sur le coup, s'enflamma. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle soit vue comme une mendiante qui menaçait de crever de faim à tout instant? On la regardait parfois comme si elle n'avait pas le droit d'exister. Alors que si elle souffrait autant, c'était justement pour que personne d'autre ne soit blessé par elle; c'était pour garantir la sécurité de tous qu'elle se privait de tant de choses, des choses qu'elle pouvait avoir si seulement elle décidait d'étouffer sa conscience.
Le vendeur ne lui prêtait toujours aucune attention, s'évertuant à servir les autres personnes autour d'elle. Alors, rien que pour lui, elle souhaita de toutes ses forces pouvoir le manipuler pour qu'il lui donne à manger, assez pour qu'elle puisse même en emporter, et ce, sans dépenser un seul sou. Mais elle avait beau essayer, elle n'y parvenait pas.
-Et puis toi, qu'est-ce que je te sers? Tu as de quoi payer au moins?
Melvie ne lui répondit pas tout de suite.
-Alors, elle vient cette commande? S'impatienta le vendeur.
-Je veux quatre tranches de saucisses, avec du pain et cette bouteille de jus; tenta Melvie en le regardant droit dans les yeux.
Mais le marchand lui tendit la main.
-L'argent d'abord.
Melvie sentait sa colère augmenter, sans pouvoir rien y faire. Elle savait parfaitement manipuler les gens; mais ce n'était évidemment pas à elle de décider du moment où cela devait arriver. Résignée, elle s'apprêtait à tourner les talons, folle de rage quand, sans crier gare, la terre s'ouvrit devant elle.
********* L'Unique 3
De l'autre côté de la ville, Cole faisait son possible pour trouver quelque chose à faire avaler au Commissaire Central. Au téléphone avec le responsable de la commission d'enquête scientifique affecté à l'incident Beaurelac, il tentait d'obtenir des informations satisfaisantes pour son Supérieur.
-Ecoutez Docteur Percy ; vous ne savez pas ce qui a pu causer ces fissures, si je comprends bien. Alors faisons une chose simple. Bouclez votre rapport et concluez qu'il s'agit d'un phénomène naturel s'expliquant par des chaleurs internes provenant du noyau de la terre ou quelque chose dans le genre, je vous en prie.
-Monsieur Wehsson, excusez-moi, mais je ne peux décemment pas mentir aussi effrontément à toute la communauté scientifique. Cela aura des conséquences que vous n'imaginez même pas. Je préfère me borner à dire ce que j'ai observé en vrai. Vous me comprenez ?
-C'est vous qui ne me comprenez pas. J'ai besoin que quelqu'un me donne une explication valable pour justifier ce qui s'est passé et je…
Sa phrase resta en suspens comme son collègue venait déposer un papier sur sa table.
-Qu'importe Monsieur Wehsson, poursuivit son interlocuteur. Vous aurez mon rapport final dans les prochaines heures.
-Entendu ; fit Cole, résigné.
Il tapa du poing sur la table et des mèches brunes lui retombèrent sur le front. Il les balaya d'un simple coup de tête. Nonchalamment, il prit la feuille devant lui et bondit littéralement à la lecture du message : « Nouvel effondrement au Commercial Avenue; Cause inconnue ».
Il sauta sur ses pieds, ramassa sa veste au passage et sortit de son bureau sans faire trois pas. Dans le hall, son collègue l'apostropha.
-Hé Cole, tu as vu les infos ? Il parait que ça recommence ; c'est en boucle sur toutes les chaines.
-Je vais sur place voir cela de mes propres yeux.
Il avait répondu sans même se retourner. Commercial Avenue n'était qu'à une dizaine de kilomètres. Il lui faudra un quart d'heure pour y arriver. Cependant la route n'était pas dégagée et il dû prendre son mal bien en patience, pester un bon million de fois avant de retrouver son calme.
Vu que la circulation avait été coupée à une centaine de mètres à cause de l'effondrement, il abandonna sa BMW sur la chaussée et fonça presqu'en courant sur les lieux du drame. Après avoir passé le barrage en brandissant sa carte professionnelle, il resta pétrifié par le spectacle qui s'offrait à ses yeux.
Le goudron avait littéralement fondu et sur une dizaine de mètres de longueur sur cinq de largeur, on aurait dit que la terre s'était enfoncée comme sur le coup d'une pression surhumaine, laissant un trou béant. Se rapprochant prudemment du bord, Cole n'aperçut que les ténèbres ; on ne pouvait rien distinguer au fond de cet abîme. Il fut prit d'un léger vertige.
Il aperçut le Docteur Percy, appelé sur place aussitôt après l'évènement.
-Docteur Percy, cette fois j'espère que vous avez une explication des plus crédibles à ce qui vient de se passer.
Le scientifique ôta lentement ses grosses lunettes claires et le fixa de ses yeux dorés. Ses cheveux grisonnants témoignaient assez de ses années d'expérience dans les recherches scientifiques.
-Monsieur Wehsson, vous conviendrez bien avec moi qu'il est encore trop tôt pour se prononcer ; répondit-il sur un air de défi.
Cole n'insista pas. Il jeta un autre coup d'œil sur les abords du gouffre et se convainc de ce qu'il était impossible qu'une main humaine soit derrière de tels évènements. Le Commissaire devait bientôt l'admettre, il en était persuadé. La zone avait été évacuée et les habitants ne s'étaient pas fait prier pour plier bagage.
Son téléphone sonna dans sa poche et il l'ayant sorti, il décrocha aussitôt.
-Monsieur le Commissaire ?
-Cela fait déjà une demi-heure que j'essaye de vous joindre ; où êtes-vous, bon sang ?
-Je suis sur le site de l'effondrement.
-J'ai besoin de vous. Le Maire veut me voir dans son bureau dans une heure et je tiens à ce que vous m'y accompagniez. Le Représentant du Gouverneur y sera aussi ; alors soyez à l'heure.
-Oui, Mon Commissaire…
Il avait déjà raccroché, comme d'habitude. Apostrophant un agent de la police de Périmès, Cole lui posa les questions d'usage.
-Vous avez recueilli des témoignages ?
-Oui ; croyez-le ou pas, précisément à cet endroit, se tenait un marchand de saucisses. Le pauvre n'a pas eu le temps de s'enfuir comme ses clients. Il est resté coincé dans sa cabine et il a été aspiré dans le vide.
-Aucune autre victime n'a été signalée.
-Aucune Monsieur. Excusez-moi, un collègue m'appelle.
Cole porta la main à son impeccable chevelure brune et fronça les sourcils. Dans une heure il devait fournir des éclaircissements au Commissaire, au Maire et au Gouvernorat. Il ne pouvait pas quitter les lieux sans obtenir un rapport préliminaire des équipes dépêchées sur place. Mais il était convaincu d'une chose ; c'était que la nature devenait folle, et que s'ils ne faisaient rien, elle risquait de tous les engloutir.
*********
Cole claqua la porte de son bureau avec rage. La réunion avec le Maire et le représentant du Gouverneur n'avait pas été très longue, mais elle lui avait paru tellement ennuyeuse. Il s'était attendu à ce que ces dirigeants se préoccupent un peu plus du sort de la Terre scientifiquement parlant, mais au lieu de cela, ils n'avaient passé le temps qu'à évoquer les incidences politiques d'un tel désastre.
A peine lui avait-on demandé de faire un rapport de la situation et d'évoquer les potentielles explications données par les scientifiques. Et puis, le Commissaire était revenu sur la stupide probabilité d'une attaque terroriste. Et c'était ainsi que le concert sur les répercutions politiques avaient recommencées.
Il poussa un soupir las en s'affalant dans son fauteuil retour. Par quoi allait-il commencer ? Il n'en savait rien. Peut-être fallait-il attendre que les sondes déployées à l'intérieur du gouffre révèlent l'état du marchand de saucisses ; mais qu'est-ce que cela apporterait ? Ou alors devait-il simplement attendre les rapports du Docteur Percy et de l'Inspecteur enquêteur ayant recueilli les témoignages ?
Le premier rapport lui parvint le lendemain matin de bonne heure avant même qu'il n'ait pris place dans son siège. C'était le scientifique qui lui assurait qu'un tel phénomène ne s'était encore jamais produit sur toute la planète. L'effondrement était vraiment spécial ; c'était tout comme si une main géante avait appuyé la terre à cet endroit et que celle-ci s'était enfoncée le plus simplement du monde. Il y avait aussi le goudron fondu au bord, comme soumis à une très forte chaleur. Le rapport concluait en disant que les recherches se poursuivaient.
En ce qui concernait les sondes, à un kilomètre de la surface, elles n'avaient pas encore touché le fond. Il n'y avait donc plus rien à espérer en ce qui concernait le marchand de saucisses.
Au courant de la même journée, il reçut le rapport de l'Inspecteur-enquêteur. Une bonne dizaine de témoins avaient assisté à la scène, même s'ils n'avaient pas mis cinq secondes à prendre leurs jambes à leurs cous. Tous les récits concordaient ; seulement, chacun avait raconté les faits à sa façon. Pour ceux qui étaient plus proches du marchand, ils disaient qu'il se disputait avec une jeune femme juste avant l'incident et que rien ne présageait d'une telle catastrophe. Pas de tremblement, pas de coup de vent ; rien.
Entre enquêtes, rapports et discussions avec des collègues au sujet de ces étranges phénomènes, Cole menait de jour en jour une lutte acharnée contre son supérieur qui continuait à défendre son idée de terrorisme, tandis que son subordonné croyait dur comme fer à un scénario apocalyptique digne des grands films de science-fiction.
**************** L'Unique 4
Plusieurs journées s'écoulèrent sans aucune avancée significative dans l'affaire qui donnait déjà des migraines à Cole Wehsson. Phénomène naturel ou pas, la cause restait toujours inconnue. Dépité, notre agent du Bureau des Affaires Spéciales se rendit un soir dans son snack-bar préféré, question d'évacuer un peu le stress de ces innombrables heures de travail.
-Hé Cole, ben dis-donc, ça fait une tune qu'on ne t'a pas vu par ici. Mais qu'est-ce que tu deviens ? lui demanda son ami Tom, le barman avec grand enthousiasme.
Cole se hissa sur un siège accoudé au bar avant de prendre la main qu'il lui tendait, tout sourire aux lèvres.
- Pas mal mon vieux ; tu es toujours à ton poste. Quoi de neuf par ici ?
-Oh, rien de spécial ; juste que tu n'étais pas là.
Ils se lancèrent dans de grandes discussions interrompues de temps à autre par l'arrivée des serveuses qui venaient s'approvisionner auprès de lui pour satisfaire les clients. L'ambiance était très chaleureuse et conviviale. C'est pour cela que Cole aimait bien ce coin géré par un de ses amis d'enfance Dave Thomson. Il aperçut d'ailleurs ce dernier en discussion avec des hommes en costards, probablement de gros clients.
L'éclairage multicolore et tamisé formait avec les musiques triées sur le volet, un mélange à la fois grisant et décontractant. Cole s'y sentait véritablement à l'aise. En parcourant la salle déjà pleine, il reconnu quelques visages qu'il salua de sa bouteille de bière. Quelques couples ne se faisaient pas prier pour se prélasser sur la modeste piste de danse prévue à cet effet.
-Tom, trois chantillis et une bouteille d'eau minérale.
Cole, la sensibilité accrue par l'alcool, se tourna pour mieux observer la serveuse à la voix aussi sensuelle. La jeune femme en question aux cheveux blonds un peu secs, semblait beaucoup trop maigre. Son teint pâle et son regard fuyant trahissaient une existence difficile. Cependant, elle était plus que désirable dans son ensemble de cuir noir moulant et son maquillage pas très poussé. En effet, sa jupe était montée bien au dessus des genoux et son bustier plongeant dévoilaient des formes plus qu'attrayantes. Il ne l'avait encore jamais vue travailler dans le snack de Dave. Vu la nature de l'établissement, c'était d'usage de s'habiller au goût de la clientèle. Même s'il n'appréciait pas trop, Cole n'en laissait rien paraître.
Une fois servie sur son plateau, la jeune femme s'en alla comme elle était venue, sans lui avoir jeté le moindre coup d'œil. Cole observait ce balai de serveuses toutes aussi sexy les unes que les autres.
-Mais dis-donc toi, tu ne serais pas par hasard intéressé par une de mes filles ? Ca fait combien de temps que tu n'as pas… tu vois ce que je veux dire.
-Si tu savais ; ce n'est pas si facile. Avec le boulot que je fais, je n'ai pas trop la tête à ça en ce moment.
-Mais il faut bien se lâcher de temps en temps. Et puis, le travail n'est pas tout dans la vie. Il faut te construire un foyer. Tu as déjà quoi ? Trente cinq ans si je ne me trompe pas.
-Trente six, tout juste ; corrigea-t-il.
-Tu vois que tu dois envisager l'avenir avec quelqu'un.
-Merci pour ton conseil ; répondit Cole en se souvenant que sa dernière relation amoureuse n'était qu'un lointain souvenir. J'essaierai de faire de mon mieux.
Il parlait sans grande conviction. Il n'avait pas exagéré lorsqu'il avait dit n'avoir plus de temps pour lui-même. En plus de l'affaire des effondrements, il devait gérer pas mal d'autres dossiers. Ce qui ne lui laissait pas beaucoup de temps de répit.
Plus tard, la jeune femme blonde revint avec son plateau chargé de bouteilles vides.
-J'aurais besoin de quatre bouteilles d'alsace et de deux autres chantillis.
-Tu vas devoir patienter quelques instants que j'aille chercher des bouteilles d'alsace dans la cave ; fit Tom qui se mit rapidement à faire l'inventaire de ce qui lui manquait avant de disparaitre par une toute petite porte derrière son bar.
Cole en profita pour darder un regard admirateur sur la serveuse. Elle devait avoir la trentaine. Tout à l'heure il ne s'en était pas rendu compte, mais il se dégageait d'elle une aura singulière, comme si elle n'avait pas vraiment sa place dans cet endroit. Mais Cole se dit que s'était peut-être l'alcool qui lui faisait penser comme cela. Et puis, il remarqua ses chaussures, et ne put s'empêcher de les apprécier.
-Vous avez là de très jolies chaussures mademoiselle ; fit-il de sa voix la plus suave.
Elle tourna vers lui des yeux clairs étonnés, et il la trouva très désirable. Baissant les yeux sur ses chaussures à talons hauts rouges noirs, elle le remercia timidement, soudain nerveuse. Cole voulut détendre l'atmosphère.
-Vous êtes nouvelle ici n'est-ce pas ?
Elle ne répondit pas tout de suite.
-Parce que je suis un habitué de cet endroit et je ne vous avais encore jamais vue ici ; poursuivit-il.
-Si vous étiez vraiment régulier, vous m'auriez déjà aperçue. Je suis là depuis plus d'une semaine ; fit-elle sur la défensive.
-C'est vrai que ces jours-ci le travail ne m'a laissé aucun répit ; répondit-il en souriant.
-Je vois ; fit-elle simplement.
Voyant qu'elle ne se détendait toujours pas, il lui tendit la main.
-Je m'appelle Cole ; et toi ?
Elle n'eut pas le temps de répondre. Déjà, Tom reparaissait avec un grand panier chargé de différentes bouteilles.
-Tiens Eden, voilà ta commande.
-Merci.
Et elle s'en alla aussi vite qu'elle le put.
-Tu l'as dénichée où, celle-là ?
Tom émit un sifflement aigu.
-Elle t'a tapé dans l'œil on dirait mon cher ami ; ricana Tom.
-Arrête de te moquer de moi.
-Je te taquine c'est tout. En fait, elle est arrivée il y a moins de deux semaines et je l'ai embauchée parce que j'ai trouvé en elle quelque chose de spécial. Attention, elle n'avait pas cette tête quand elle arrivait ici. J'ai senti qu'elle avait vraiment besoin de travail, alors je l'ai prise. Elle est appliquée, serviable, et elle n'aime pas se frotter aux gens, tu vois.
-Oui, je vois.
Il voyait surtout qu'avec son caractère renfermé, elle ne réussirait pas à le détendre comme il le voulait. Reportant son attention sur les autres clients, ou plutôt les autres clientes du snack, il ne jugea cependant aucune d'elle assez à son goût pour s'aventurer.
Les heures passèrent bien vite. Soudain, toutes les ampoules de la salle se mirent à clignoter. C'était tout comme si on actionnait les interrupteurs de façon irrégulière. Tout le monde dans la salle s'agita et des murmures se firent entendre. Instinctivement Cole se mit en alerte. Son reflexe de policier le poussa à la méfiance. Jetant des coups d'œil à gauche et à droite, il remarqua la serveuse, Eden, dans un coin qui semblait se disputer avec un homme de bonne taille au dessus d'elle. Elle était vibrante de colère et Cole s'en étonna.
Bizarrement, son interlocuteur lui fit une révérence, certainement en signe d'excuse, mais son expression était soudain devenue atone. Il prit le chemin de la porte et Eden le regarda partir un long moment avant de revenir vers le bar. Instantanément, les lumières se stabilisèrent.
-Que s'est-il passé avec les lumières Tom ? demanda naïvement une jeune serveuse outrageusement maquillée, dans une tenue mauve qui ne dissimilait rien de son anatomie.
-Je n'en sais rien ; peut-être une baisse de tension ; répondit ce dernier évasivement.
Il lui servit sa commande, et aussitôt, elle tourna ses talons en dansant au rythme du rock qui déferlait dans les tympans. Cole aimait cette ambiance détendue et il riait volontiers avec son ami des faux pas de certains clients sur la piste. Pendant quelques heures, il avait presque oublié son bureau, ses affaires, ses phénomènes naturels bizarres et consorts.
Plus tard, Eden revint avec une autre commande. Elle était plus détendue mais toujours sur la défensive. Cole eut envie de la taquiner.
-Tu m'accompagnes sur la piste de danse ma belle ?
Si au premier contact, Eden avait paru étonnée, cette fois, c'était bien pire. Cela frisait l'affolement.
-Je suis ici pour travailler Monsieur et je ne…
-Cole ; rectifia-t-il.
-Peu importe ; il y a beaucoup de femmes ici. Trouvez-vous en une autre.
-Tom, tu me la laisses cinq minutes ? S'entêta-t-il.
-J'aurais bien aimé, mais Dave risque de ne pas apprécier.
Eden lui jeta un regard à la fois soulagé et déçu. Ce qui l'encouragea.
-On peut peut-être se voir plus tard ; qu'est-ce que tu en dis ?
-J'en dis que vous feriez mieux d'aller voir ailleurs.
Sur ce, elle disparut.
-Je crois que j'ai oublié de te dire que malgré son apparente timidité, c'est une dure à cuire. T'as pas de bol, mon vieux.
Cole se contenta de soulever sa énième bouteille. D'ailleurs, il était temps qu'il rentre. Il la vida d'un seul trait. Après un rapide au revoir à son ami, il regagna la sortie. A peine avait-il franchi le seuil de la porte qu'il aperçut un homme au beau milieu de la route en train de chanter à voix haute. Les gens autour de lui le prenaient pour un fou ; d'autres se moquaient de lui, et personne n'osait aller le tirer de là. Cependant c'était un cauchemar pour les automobilistes obligés de le contourner. Il se tenait bien droit, très concentré dans l'exécution de l'hymne national !
Il y avait vraiment de quoi rire. Mais ce spectacle n'amusa pas Cole, pas plus lorsqu'il reconnut l'homme qui quelques temps plus tôt se disputait avec Eden.
-Hé Monsieur ! Cria Cole au bord du trottoir.
L'homme ne lui prêta aucune attention, comme s'il ne l'avait pas entendu, poursuivant son chant. Il avait l'air fatigué, hypnotisé, et incapable de faire autrement. Si Cole comptait bien, il pouvait déjà avoir exécuté l'hymne une bonne vingtaine de fois. Il attendit qu'une camionnette réussisse à passer pour s'aventurer sur la chaussée. Lorsqu'il toucha l'homme au bras, ce dernier le repoussa violemment au point où il faillit tomber.
-Monsieur, arrêtez ça tout de suite ; vous ne voyez pas que vous gênez la circulation et que vous troublez le voisinage ?
Comme si ces paroles n'avaient fait que l'encourager, il chanta de plus belle, encore un peu plus fort. Cole le prit par derrière et lui ferma la bouche de la main tout en le maintenant solidement entre ses bras. Il s'agita, se débattit comme un beau diable, mais Cole réussit à le ramener sur le trottoir où il le laissa choir.
-Qu'est-ce qui vous a pris, bon sang ?
Visiblement éprouvé par son acte, l'homme leva sur lui un regard perdu.
-Répondez-moi ; intima Cole.
-Je ne sais pas…Elle m'a demandé d'aller chanter l'hymne national au milieu de …
-Quoi ?
Devant l'absurdité d'une telle réponse, Cole voulut s'en aller ; mais quelque chose le retint.
-Qui vous a demandé d'aller chanter l'hymne ?
Il mit du temps à rassembler ses esprits.
-C'est …Eden.
Cole ouvrit de grands yeux. Elle lui avait dit d'aller chanter l'hymne national et il s'était exécuté ? Et avec une telle fidélité, comme la révérence qu'il lui avait faite avant de sortir du bar.
Cet homme était-il fou ? Ou alors c'était un amour inconsidéré qu'il lui vouait. Tout cela n'avait aucun sens.
L'homme en question se releva avec peine et Cole le regarda s'éloigner lentement, en marchant péniblement. « Elle m'a demandé d'aller chanter l'hymne national ». Eden ? Il voulut rentrer dans le bar pour l'interroger ; mais il se rendit immédiatement compte de la gaucherie de son geste. Cet homme était probablement givré; se dit-il haussant les épaules et en prenant lui aussi le large.