Lux et veritas

Christophe Soresto

J'ai glissé un œil dans l'embrasure du rideau. Malgré les consignes. C'était trop dur de résister plus longtemps, mon besoin de constater leur présence était irrépressible. Le parterre est impressionnant. Heureusement, ils vont me porter. Peut-être. Si je ne les déçois pas. Car ils en ont vu d'autres, ils sont exigeants.


La montre que William m'a offerte il y a 20 ans indique impertubablement qu'il me reste deux minutes de répit. Ce n'est pas de trop. Je suis certaine qu'il aurait adoré les partager à mes côtés. Me transmettre son énergie, faire une blague potache pour détendre l'atmosphère de son rire tonitruant. Et m'insuffler un peu de son expérience également.


Dans mon dos, on s'affaire avec fébrilité. Les coulisses grouillent de techniciens qui courent en tous sens, raccordent quelques câbles, vérifient leurs micros en permanence. La coiffeuse m'effleure de son peigne, hésite à m'appliquer une touche de laque supplémentaire, se ravise. La peur de m'étouffer ? Je crois que la pauvre se cherche surtout une contenance.


En retrait, un pompier de service m'observe en silence. Puis me sourit. On m'a déconseillé de prendre mes lunettes, je ne sais donc pas s'il est charmant.


Un homme passe devant moi à grands pas. Il semble extrêmement concentré, trop pour s'arrêter. Il se signe puis disparaît dans la lumière.


De la main gauche, je tâte la poche de mon pantalon. Celle où j'ai caché mon talisman. Juste pour m'assurer qu'il s'y trouve toujours. Je sais que ça paraît puéril de garder un coquillage usé près de soi, surtout à mon âge, mais il me renvoie à des années de liberté, des images d'insouciance, des promesses que je me suis faites et qui pourraient bien être tenues, finalement.


Ma main droite, elle, est crispée sur le texte. Dont je n'ai pas besoin. Je l'ai tellement travaillé, répété, que je le connais par cœur. À la virgule près. Chaque respiration, chaque inflexion de voix, l'accompagnement par les gestes, les déplacements, la manière dont je dois porter les mots, leur signification profonde.


Je n'ignore pas les risques d'un chevrotement ridicule, d'un bafouillement mal venu. Mais je l'ai fait cent fois, mille fois auparavant. Il faut que je respire profondément, que je ne laisse pas l'émotion me submerger. De toute façon je ne serai pas seule, Chérinette sera à quelques mètres pour m'encourager du regard.


Je suis préparée, je suis prête. Je le veux. Je ne suis pas venue pour raconter aux gens une simple histoire. C'est une communion que je leur propose, le début d'une grande aventure.


En levant les yeux, j'aperçois enfin les fumées colorées des F-35 qui approchent à une vitesse vertigineuse. Elles vont se répandre au-dessus de nous dans un mugissement infernal. C'est le signal.


Je n'entends pas les premiers mots du présentateur, mais je repousse la toile sans faiblir. Le Mall s'ouvre à perte de vue.


« … Mesdames et Messieurs, j'ai l'immense honneur de vous présenter le 45e Président des États-Unis d'Amérique, Madame Hillary Rodham Clinton.»


                                                  ***


« Lumière et Vérité » est la devise de l'université Yale, l'une des plus prestigieuses dans le monde, où HRC fit son droit.

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