Ma bibliothèque

petisaintleu

Je vous présente ma meilleure amie, une confidente silencieuse qui me guide toujours à travers d'innombrables voyages et aventures sans quitter le confort de mon chez-moi. Ma bibliothèque, un véritable trésor de découvertes littéraires, s'étend devant moi comme une mosaïque de mondes en attente d'exploration.

Qui d'autre qu'elle pourrait me transporter vers l'infini et l'au-delà, défiant les lois de la physique quantique ? En l'espace de quelques pages, sans avoir à subir les lois de l'univers, sagement assis dans mon canapé, ma chatte me couvrant de son regard magnétique, j'ai vécu plus de vies que Bouddha, j'ai pu dominer l'Alpha et l'Omega à l'envi.

Un jour je suis un serf ; un matin, un explorateur en Antarctique luttant pour sa survie ; une nuit, je me fais intrigante pour avoir les faveurs de mon roi. Quand j'ai envie d'être nostalgique, j'invite Modiano. Si je me sens aventureux, j'invoque Jules Verne. Balzac est toujours le bienvenu pour me rappeler les profondeurs, les bassesses et la diversité de l'Homme.

Pourquoi devrais-je être triste, frustré ou énervé ? La magie de quelques lignes, un roman bien ficelé, et voilà mes ennuis oubliés. Oui, Dieu, je te défie ! Avec l'aide de Dostoïevski, de Huysmans ou de Miller, je me ferai assassin, moine ou catin, sans que tu ne puisses agir sur mon esprit. Pourtant, au gré des pages, tu viens me rappeler à l'ordre pour m'interroger sur le destin.

Ce que j'aime chez toi, c'est ton absence de bégueulisme. Que tu t'habilles en Pléiade ou en modeste livre de poche, tes caractères restent invariablement identiques. Qu'importe d'ailleurs, car très vite, par la magie des mots, je ne suis plus ici-bas. Par l'alchimie de la lecture, me voilà chaman, transporté dans ce qui fut, est, sera ou ne sera pas.

Dans ma maisonnée, je suis le seul à te comprendre. Combien de fois n'ai-je dû batailler pour que l'on ne te transforme pas en vaisselier, en débarras ou en rayonnage d'épicerie ? Ce serait te faire offense, toi, la gardienne de mes secrets. Que l'on t'approche, que l'on touche à un cheveu de tes feuillets et je me fais cerbère. Ce n'est pas que je ne veuille pas te partager, mais je crains que tes blanches pages ne soient violées par des mains maculées. Je serais barbouillé si je retrouvais tes couvertures dédicacées par des traces de confiture ou de Nutella.

Je dois avouer mon addiction. La littérature est une drogue dure, sans avoir recours pour autant aux lectures hallucinées d'un Burroughs ou d'un Huxley. Je dois avouer que, trop souvent, quand le monde me pèse, tu t'invites pour que j'oublie un environnement étouffant. Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Un shoot de Baudelaire, un rail de Voltaire, une bouffée de Céline et me voici détaché de toute matérialité et matérialisme.

Quand, fatigué, je lâche prise et que les rêves m'assaillent, je m'imagine prendre le relais. Il m'arrive alors de m'extirper de mon carcan onirique. Je ne sais pas si c'est moi ou le mystère de l'inspiration qui me saisit. Pris d'une transe scripturale, je me lève et je couche des mots sur le papier. Je prends le pouvoir pour défier à mon tour le cosmos. Si la destinée existe et qu'elle souhaite mettre un terme à toutes mes inventions qui pourraient la contrarier, il faudrait alors m'amputer, me lobotomiser ou me tuer.

Mais je ne suis qu'un homme. Au-delà du doute qui me rappelle à l'humilité, je suis tout autant assailli par la fatuité. Bientôt, qui sait, je trônerai sur une étagère pour perpétuer en une encre sympathique des amours, des crimes ou des espoirs.

Demain, vous vous prosternerez au pied de mes pensées. Mes personnages seront vos bourreaux, amants ou héros. Vous ne serez plus que l'ombre de vous-mêmes, déportés par le fruit de mes affabulations.

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