Ma carrière d'écrivain (biographie)

Alain Moreau

Le charme de la biographie d'un être encore vivant tient essentiellement au fait que l'on n'en connait pas l'issue et que l'on peut encore espérer...


Le lendemain de ma naissance, j'étais déjà le personnage principal d'une publication, un peu sommaire certes, mais qui allait tout de même faire l'objet de plusieurs rééditions, mon acte de naissance. Comme ma première apparition publique avait eu lieu la veille à la maternité de Niort, que Niort n'est pas à proprement parler le centre du monde et qu'en 24 heures je n'avais encore rien accompli de remarquable, j'en conclus qu'il ne fallait pas grand chose pour inspirer le monde de l'édition. Un fait marquant - même si des naissances il y en a beaucoup - et les scénaristes s'en emparaient avec complaisance. Étonné par la simplicité du mécanisme, j'entrepris de créer à leur intention, des événements qui me placeraient naturellement dans la catégorie "Tiens-celui-là-il-a-l'air-original-intéressons-nous-à-lui!". A trois mois, je déclenchais ma première crise de nerfs, à trois ans, j'essayais de faire disparaître mon frère dans la machine à laver, à cinq ans, je jetais mon tricycle par la fenêtre, à six ans, je montrais mon zizi à la maîtresse, à sept ans, je sautais une classe, à treize ans, je fuguais (ce fut assez court, je m'étais caché sous l'escalier), à quatorze ans, je volais mon premier disque des Stones et à quinze ans, j'explosais mon vélo contre la voiture des gendarmes. Mais la magie ne se reproduisit pas, le monde m'ignora et l'indifférence de mon entourage finit par avoir raison de ma motivation. Je devais choisir une autre voie.

Quelques mois plus tard, je découvris l'amour! J'étais en seconde au lycée Desfontaines à Melle, on étudiait les romantiques, j'étais amoureux, je souffrais, évidemment, alors ça me parlait le romantisme. Je compris que je tenais là le sujet qui allait m'ouvrir une voie nouvelle, la littérature. Enthousiaste, je me mis à écrire des poèmes, mais au bout de quelques heures, à force de faire rimer 'amour' avec 'toujours', 'larmes' avec 'alarme', 'envie' avec 'incendie' ou 'rupture' avec 'c'est trop dur', je dus me rendre à l'évidence, je tournais en rond, je m'épuisais, il fallait que je me hisse d'emblée au niveau des auteurs les plus célèbres. Je choisis l'un des plus grands, Corneille, je décidai de prendre le dernier mot des plus beaux vers du Cid et construisis des rimes impressionnantes. Je mariai allègrement 'bonheur' avec 'honneur', 'courage' avec 'outrage', 'vengeance' avec 'offense', 'amant' avec 'tourment' et regrettai que ma bien aimée ne s'appelât pas Chimène. C'était beau, grand, puissant, je marchais sur l'eau. Triomphal, je le fis lire à mère.

"C'est étonnant, me dit-elle doucement, ça rappelle Corneille...!". Démasqué, j'abandonnai la poésie.

Je me mis à jouer de la guitare, j'y vis l'occasion de faire passer mes messages autrement, je voulais ressembler à Polnareff, je prenai ses chansons les plus connues, je conservais la musique et je modifiais les paroles pour que ça fasse plus personnel. "Love me" était devenu "Aime-moi" et la poupée faisait oui, oui, oui! J'étais exalté, j'apportais une touche nouvelle au répertoire national, je compris qu'il fallait que je me prépare à faire face à la célébrité, et malgré l'euphorie, je me fixai quelques engagements exigeants, notamment celui de rester simple et moi-même quelque soit la pression médiatique. Je n'ai pas trouvé mon public ou plus exactement comme me le dit ma petite amie, le public ne m'a pas compris... Elle m'aimait beaucoup.

Je partis faire des études aux Etats-Unis, à Madrid, à Londres puis je revins en France. Je me rendis compte que j'avais gardé une passion pour l'écriture et qu'elle n'attendait qu'à être stimulée. Mon premier texte public fut mon CV, et le deuxième, mon contrat de travail - une coproduction en réalité - je devins cadre, cadre supérieur, cadre dirigeant puis un ami me dit "Le cadre tu l'as bien réussi mais c'est le tableau qui compte et là tout est à écrire!". Je me suis revu à l'école, la craie à la main, face à la maîtresse et à l'immense tableau noir, ne sachant quoi écrire, l'angoisse de la page blanche mais en noir, j'étais perdu, je partais dans mes pensées, à l'infini... et soudainement j'eus une révélation, je me suis dit, le voilà le thème de mon bouquin, l'infini!

- Tu prévois combien de pages? me demanda mon frère,

- Je ne sais pas... 150?

- T'es limite hors-sujet me dit-t-il, l'infini en 150 pages t'es pas crédible, pourquoi pas l'histoire de l'univers en Livre de Poche? ironisa-t-il.

Il avait raison, le thème était vaste, surtout que j'hébergeais beaucoup de choses dans mon infini, des choses dont je ne me servais plus, des anciens amis, des vieux souvenirs qui encombraient le passage mais des illusions aussi, des promesses, des histoires merveilleuses, quelques frissons, des musiques, des parfums, des couleurs... c'est le problème avec l'infini, ça ne s'arrête jamais, il m'aurait fallu quelques milliers de pages, mais un premier roman en cinq tomes, ça fait laborieux.

En attendant, le constat était sombre, je n'avais toujours rien écrit, ça n'était pas par manque d'idées, j'en avais plein la tête, mais plutôt par manque de temps. J'avais une femme, un job exigeant et deux filles. Un jour, en leur lisant pour la centième fois les contes insipides ou cruels pour enfants, j'eus l'idée du siècle, j'allais leur écrire des histoires et je les illustrerais avec mes propres dessins. Excité par l'idée, j'en parlai à ma femme. "Ça s'appelle une BD!" me dit-elle.

Je repartis à zéro, c'est-à-dire en dépression. Je remis en cause toutes mes certitudes puisque rien n'avait marché, ça m'a ouvert de nouvelles perspectives, j'eus l'idée d'écrire mes documents professionnels comme un écrivain, il y a plein de diplomates qui l'ont fait, Claudel, Giraudoux, Ruffin ... Fier de moi, j'en parlai au président de la boîte et lui présentai un premier échantillon. Je ne peux pas dire qu'il partagea mon enthousiasme, "Il n'y a pas assez de chiffres et trop de réflexion, ça ne fait pas sérieux!" me dit-il, puis il rajouta, définitif, "les écrivains sont des rêveurs, nous on a besoin de bosseurs!". Le monde des affaires n'aime pas la littérature.

Alors je me dis pourquoi pas journaliste, c'est un vrai métier et l'écriture y est appréciée. J'écrivis plein d'articles, sur tout ce que je voyais, ce que je ressentais, ce que j'imaginais, ça marchait vraiment bien, il fallut que je trouve un journal... "Trop éclectique, trop personnel, trop littéraire, trop trop trop...", toutes les portes se fermèrent, alors je me suis orienté vers une autre forme de journalisme, le journal intime. Ça n'était pas la même chose, j'étais plus libre certes mais plus seul aussi, et surtout j'avais moins de chances d'être connu, normalement on n'en parle pas d'un journal intime. A vrai dire, je me suis vite senti inutile, comme un acteur sans public, et c'est à ce moment-là que je me suis posé la question de fond, peut-on être écrivain sans lecteurs? Je fus envahi par une sorte de vertige...

Je ne me suis pas laissé abattre. J'ai divorcé, j'ai suivi une thérapie, la psy m'a dit "écrivez", je lui ai dit "ça fait vingt ans que j'essaye!", elle m'a dit "continuez!", je l'ai quittée et j'ai écrit. Ecrivez sur vos soucis, vos angoisses, vos "zones d'ombres" m'avait-elle dit. Ça m'a fait du bien mais ça intéressait qui mes zones d'ombre? Et puis c'est la lumière que je recherchais! J'en ai eu vraiment marre, je me suis dit "j'écris ce que je veux !". Seul problème, je n'avais plus de sujets, ou plutôt, ils défilaient dans ma tête, mais je n'avais que les titres, "L'amour quand on n'y croit plus", "Peut-on être incompris et heureux?, "La célébrité mesure-t-elle la qualité?"... Je me posais des questions compliquées, je me disais que n'ayant pas de problèmes d'argent, ni d'amour passionnel et n'ayant tué personne, j'étais un OVNI, un looser, dans cet univers littéraire, je n'avais aucune chance. Un ami m'avait prévenu, "pas de souffrance, pas de violence, pas d'arnaque... elle n'aime pas ça la littérature". Alors j'ai pensé " il y a le sexe, ça marche bien ça le sexe, mais que pourrais-je raconter?". Les hommes n'ont pas grand chose à écrire sur le sujet à part quelques intellectuels qui devisent sur des questions aussi excitantes que "la pénétration est-elle une effraction?". En réalité ce sont les femmes qui en parlent le mieux, je renonçai à concourir.

Il me fallait des idées solides qui restent longtemps, je voulais laisser une trace pour les siècles à venir. Alors, encore une fois je m'en remis aux plus grands, je relis mes classiques, ceux que j'aimais quand j'étais au lycée et je fis comme eux, je décidai de parler de moi.

–  C'est une autobiographie? me dit ma compagne,

–  Non c'est un roman,

–  Ça parle de quoi?

–  De moi!

–  C'est un roman autobiographique alors?

–  Oui c'est ça,

–  Je suis dedans?

–  Mais c'est un roman!

–  Et alors je ne fais pas partie de ta vie?

–  Mais si, mais non, ça parle de moi quand j'avais huit ans.

Je n'en parlai plus à personne, je voulais être tranquille, tenter des choses, me tromper, effacer, abandonner, revenir, inventer, mentir, me contredire, être hystérique, historique, déprimé, caractériel, être un artiste quoi. Et pour une fois, je fis attention à ne pas m'emballer, je pris un maximum de précautions parce qu'en temps normal je fonctionne bizarrement, je vais trop vite, je suis impatient, impulsif même, je prépare les choses vite, je les montre immédiatement et bien sûr, je m'en mords les doigts. C'est pas malin, je sais, mais cette fois-ci, j'ai fait l'inverse, j'ai préparé longtemps, d'ailleurs je prépare encore... et à ce jour j'ai tenu, je n'ai rien montré. C'est vrai que c'est une approche nouvelle pour moi, mais parfois je me dis, "Est-ce que ça change tant que ça, puisque dans les deux cas tu n'as rien publié?".

Entre temps j'ai découvert le site pour écrivains amateurs WeloveWords, je me suis dit, un nom anglais pour des amoureux de la langue française, c'est bizarre, ils auraient pu s'appeler je ne sais pas... M les Mots. Ça m'a désinhibé, j'ai publié un texte. Je l'ai cliqué 25 fois, pour faire croire que j'avais des lecteurs, sinon ça la fout mal pour un futur écrivain connu. Puis je me suis mis à écrire des poèmes, des nouvelles mais j'ai senti le piège, je me suis dit, attention, si tu deviens célèbre avec des poèmes et des nouvelles, tu vas faire comment pour devenir un grand romancier, on ne va pas te prendre au sérieux, tu connais les éditeurs, ils ne mélangent pas les genres, ils vont te dire, "qui trop embrasse mal étreint".... alors je ne les ai pas publiés.

Maintenant j'écris un roman et je ne peux vous dire pourquoi, mais je sens que je vais... surprendre!


Alain Moreau

Paris 2014


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