MA PREMIÈRE SUÉDOISE

franck75

                         Ma première Suédoise

   Je m’en souviens c’était il y a dix ans ; onze exactement. J’étais comme aujourd’hui à peu de choses près mais en plus jeune évidemment. Elle, elle s’appelait Cristina et elle avait vingt ans ; vingt et un exactement. Je l’avais rencontrée au café des Lettres à l’occasion de la Sainte Lucie, cette fête suédoise où on boit du vin chaud trop sucré et où d’improbables pucelles en aube blanche interprètent des chants de Noël avec une couronne de bougies sur la tête. Ce rendez-vous sympathique est, il faut bien le dire, en plus de sa dimension culturelle, l’occasion rêvée pour nombre de mâles parisiens plus ou moins célibataires de briguer les faveurs d’une jolie scandinave. Car dois-je rappeler ici de quelle réputation est entourée la Suède depuis les années 70 ? Quelqu’un ignore-t-il encore que dans ce pays, les mœurs ont été libérées en masse et sans conditions et que comme la pasta en Italie ou la paella en Espagne, le sexe est pour les Suédois une véritable spécialité nationale ?

   C’est donc pénétré d’un préjugé favorable que j’abordai Cristina.

   Car Cristina, vous l’avez compris, était suédoise, et elle l’est sans doute encore aujourd’hui. Assez grande et plutôt mince, elle n’était pas blonde malheureusement et la vérité m’oblige à dire qu’elle n’était pas non plus spécialement jolie. Avec le recul, il me semble même que dans d’autres circonstances, je ne l’aurais pas même remarquée. Alors quoi ! Pourquoi elle ? Dois-je le répéter en marchant sur les mains cette fois, Cristina était suédoise ! Saisit-on bien ce que cela peut signifier pour un homme affamé d’expériences sexuelles inédites ? Une Suédoise! la Rolls du coït, le Steinway de l’extase, le Dom Perignon de la bête à deux dos! Les dents pourries, les seins tombants ou le corps couvert d’un eczema purulent, je crois bien que je l’aurais encore désirée comme un fou pour cette unique raison. Il est vrai aussi que je semblais lui plaire, ce qui n’est jamais inutile lorsqu’on veut jouir d’une femme sans encourir les foudres de la justice.

   Tout alla très vite. Je la revis le lendemain soir dans son quartier. Je montai boire un verre chez elle, nous bavardâmes encore un petit moment puis, après un baiser des plus brefs, sans émotion particulière, elle se déshabilla entièrement devant moi. « Tu préfères le canapé ou le lit? », demanda-t-elle simplement et elle me tendit un préservatif de marque suédoise. L’affaire dura une vingtaine de minutes, vingt-trois exactement (depuis le canapé, j’apercevais l’heure sur l’écran du magnétoscope). Après quoi, Cristina se releva tranquillement, enfila sa culotte et se versa un grand verre d’eau minérale. Etait-elle heureuse, mécontente? Difficile de le dire. En apparence, elle semblait satisfaite, ce qui était loin d’être mon cas. Je me sentais dans un état bizarre. Etais-je déçu, mais de quoi ? J’étais arrivé à mes fins. N’avais-je pas couché avec une Suédoise, ma première Suédoise, ce n’était pas rien quand même, d’autant que l’affaire avait été rondement menée. Combien d’hommes sur cette terre n’eussent pas rêvé d’être à ma place ce soir-là !… Bon, c’est vrai que je n’avais pas été un foudre de guerre, mais à ma décharge, au moment de la rejoindre sur le lit, j’avais en tête encore ces manuels scandinaves feuilletés à l’adolescence d’une main nerveuse, ou encore ces films X avec de grandes filles blondes jouissant comme des folles. Pour dire la vérité, je craignais que cette fille ne soit insatiable et j’avais peur de ne pas assurer… Ce qui expliquait au final, pensais-je, cette prestation de ma part plutôt passable et mon sentiment maussade.

   Cristina, quant à elle, s’était montrée à la hauteur de sa réputation, au-delà même, ne regimbant devant aucune posture ou contorsion, s’y pliant au contraire avec la meilleure volonté du monde et la plus franche décontraction. Qu’aurais-je bien eu à lui reprocher ? Le sexe, semblait-il, était pour elle une chose aussi simple, aussi naturelle que l’eau qu’elle buvait ou que l’air qu’elle respirait. Mais c’était peut-être là au fond que le bât blessait ? Etait-ce chez elle un effet de sa religion – le protestantisme - ou bien la trace d’une croyance plus ancienne mais sa vie tout entière semblait gouvernée par le naturel. Dans ce qu’elle mangeait, dans ce qu’elle buvait, dans les vêtements qu’elle portait, dans la bicyclette qui dormait à côté de son lit, tout répondait à une exigence de nature et sa vie sexuelle ne faisait pas exception à la règle.

   Tout cela me fut confirmé par une conversation que nous eûmes un peu plus tard. Revenue des toilettes où elle venait de satisfaire un autre besoin naturel, Cristina évoqua à brûle pourpoint sa vie intime et prononça alors ce mot, l’un des mots les plus éloignés de l’idée que je me fais du sexe et de ses plaisirs, celui de « sexualité ». Un terme à mes yeux chargé de tant de connotations sanitaires et physiologiques que sa répétition incontrôlée dans la bouche d’une fille, aussi ravissante soit-elle, me donnent en général envie de faire l’amour comme d’aller me faire pendre. Prêtant peu d’attentions à la grimace que je ne pouvais manquer d’afficher, elle m’entretint longuement de sa contraception, de l’irrégularité de ses cycles, de sa dernière visite chez son gynécologue. Elle m’exposa aussi les mérites reconnus selon elle des préservatifs suédois, moins irritants pour les muqueuses en même temps que plus sûrs… Bref, on l’a compris, je n’épousais guère les conceptions naturalistes de ma partenaire, préférant, dans le domaine sexuel tout au moins, le recours massif au fantasme et à l’imaginaire, c’est-à-dire à l’artifice intégral. A un moment, pour la faire taire, j’eus presque envie de lui jeter à la figure : « Ta maman et ton pasteur se trompent, le sexe, ce n’est pas bien, ce n’est pas naturel, le sexe c’est mal, c’est sale, c’est défendu, et c’est pour ça que c’est bon ; le sexe, c’est la transgression des lois de la nature et de la société. Ce n’est pas une affaire d’organes, que l’on parle du coeur ou du système génital. Le sexe, c’est du cérébral, de l’existentiel, c’est une expérience métaphysique. Le sexe, c’est la nique à la mort et au néant ! »

   Et j’en vins, durant ces quelques minutes de déprime post-coïtale, à l’idée qu’au fond, rien ne valait une catholique pour profiter pleinement des plaisirs de la chair. Pas le tout-venant des filles baptisées, non, mais une vraie bonne catholique élevée sous la croix dans une petite ville de province. Il était plus difficile, certes, de vaincre ses résistances, mais quand on y parvenait, le plaisir en était décuplé par le goût du péché. La plus belle déclaration que j’avais entendue d’une femme, n’était-elle pas dans la bouche de cette fille, élevée chez les sœurs, quasiment frigide quand elle m’avait connue, complètement délurée ensuite et qui, au sortir d’une brûlante étreinte m’avait avoué les yeux humides : « depuis qu’on se connaît, j’ai cessé de croire en Dieu ! ».

   Et c’est donc fort de cette conviction, d’une certaine façon religieuse, que je m’apprêtais ce jour-là à quitter Cristina pour ne plus la revoir. J’étais sur le point de me lever, de me rhabiller, puis de lui dire salut, avec juste ce qu’il faut de nonchalante lâcheté, lorsque à nouveau, et le plus naturellement du monde, elle fit glisser sa culotte le long de ses jambes. « J’ai encore envie, pas toi ? » dit-elle avec son petit accent charmant. Et contre toute attente alors, en la rejoignant à la hâte sur le canapé où elle m’attendait les cuisses ouvertes, je me suis dit que la simplicité, nom de dieu, ça pouvait aussi avoir du bon…

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