Ma réalité

aren_seondi

« Ne me demandez pas pourquoi je fais ça et je ne vous demanderai pas pourquoi vous ne le faites pas… »

 

            Le vent et le soleil gagnent en ardeur. Il est sept heures du matin, le réveil sonne. Mes yeux s'ouvrent, je ronchonne un peu et, au bout de vingt minutes, décide de me lever. J'ai froid. Je constate que je suis tout habillé. Je vais dans la salle de bain. J'ai un visage à faire peur.

            Il fait plutôt bon dehors, après une bonne douche. Je n'aurais jamais cru qu'un ciel aussi bleu puisse pointer le bout de son nez après avoir vu le sale temps d'hier. C'est un étrange monde. En un instant tout peu basculer : un vent qui se lève et qui chasse les nuages, un pneu qui éclate, une balle qui ne part pas… Nous ne pouvons être sûrs de rien, juste du fait que nous mourrons un jour. C'est l'unique vérité absolue. Cette vérité, pourtant, n'attaquera jamais mon appétit !

            Malgré l'heure matinale, la rue est animée. Le temps estival n'y est pas pour rien. Je m'arrête à la boulangerie du coin. Il y a du monde bien sûr. Je ne suis pas pressé. Je suis en retard, certes, mais quitte à être en retard, autant l'être carrément. Deux minutes s'écoulent. C'est au tour d'une vieille dame. Pendant qu'elle passe sa commande, un nouveau client entre dans la boulangerie. Un homme. Son visage est caché par une cagoule verte dont les trous ont apparemment été faits précipitamment. Il a une main dans la poche droite de son blouson, l'autre lui sert à se frayer un chemin parmi la foule. Il se faufile jusqu'au comptoir en bousculant les gens. Mon rythme cardiaque s'accélère. L'homme sort une arme de poing avec lequel il menace la boulangère. C'est un revolver assez vieux mais il est encore létal. Tout le monde se met à terre. Je sors de la file d'attente disséminée et m'approche de lui sans bruit. « VIDE TA CAISSE !! » La boulangère paniquée mais courageuse s'exécute quoique tremblotante. Ses doigts laissent par deux fois tomber l'argent à ses pieds, ce qui entame gravement la patience du criminel. « GROUILLE SI TU VEUX PAS T'EN PRENDRE UNE !!! » crie-t-il. J'arrive derrière lui. Je sors mon Glock et colle le canon sur sa tête.

-          C'est courageux de braquer une boulangerie, lui dis-je calmement.

Une pression sur la tête du braqueur avec le canon de mon flingue le dissuade de se retourner.

-          La ferme ! s'écrie-t-il. T'es qui toi ?!? Pose ton flingue ou j'bute la meuf !

-         Je ne crois pas non, commencé-je. D'ailleurs je vais te dire : si tu tues cette femme, tu ne gâcheras pas seulement sa vie et celle de sa famille, mais aussi la tienne. En prison tu resteras pendant des années, plus de dix ans si le juge est sévère. Tu y connaîtras les pires souffrances. Et quand tu sortiras, tu seras tellement brisé que tu voudras mettre un terme à ta vie. Tu as quoi ? Dix huit, vingt ans ? Si tu baisses ton arme, si tu te rends, tu peux écoper de quelques mois seulement pour tentative de vol à main armée. Et si tu tiens bien, tu pourras t'en tirer avec une liberté conditionnelle. Alors qu'est-ce que tu choisis ?

Il tremble. La fin est proche. Au bout d'un certain temps il lève les mains, lentement. Je n'abaisse pas la mienne. La foule souffle. Puis le braqueur dit :

-          Je suis désolé. Je n'ai pas choisi cette vie…

Je tends la main pour saisir son arme. D'un geste vif, il met en joue sa tempe et tire. Le coup de feu résonne fort. Des cris s'élèvent de part et d'autre de la boulangerie. Les regards de la foule se lèvent puis parcourent le sol. Ils s'arrêtent sur une masse sombre étalée par terre. Le jeune-homme s'est suicidé…

 

« En une seconde tout a basculé. Si seulement j'avais pu attraper son arme, il ne serait pas mort. Il ne serait pas mort… »


Il y a des jours comme ça. Des jours où rien ne va. Des jours qui commencent on ne peut plus mal et qui se profilent sous de mauvaises hospices. J'ai vu des tas de personnes mourir. Pourtant je m'interroge encore. Pouvons-nous protéger les personnes d'elles-mêmes ? Non, en avons-nous le droit ? Je ne pense pas. Si quelqu'un est déterminé à mettre fin à ses jours il le fera quoiqu'il arrive, ou deviendra fou. Je le sais, j'ai déjà essayé de me suicider. Il y a très longtemps. Pour des raisons qui me sont… La vie était devenue une torture. Chaque sourire, chaque marque de bonheur que je voyais me dégoûtait. J'avais beau chercher, je ne trouvais pas de solution à mon problème. Ce problème qu'on appelle le désespoir. J'ai fait tellement d'erreurs, j'ai loupé tellement d'occasions, j'ai fait tellement de mauvais choix, qu'à mes yeux ma vie n'avait plus aucune valeur, qu'il était trop tard pour tout réparer et que soudainement la mort apparaissait comme une solution. Une libération…

           

            Je suis devenu l'ombre d'un justicier. Un tueur à gages, un rônin. Une arme létale tapie dans l'ombre, qu'on achète à bon prix. Voué à mourir d'une balle dans le dos…

 

« En une seconde tout a basculé. Si seulement j'avais pu attraper son arme, il ne serait pas mort… »

 

Signaler ce texte