Ma ville invisible

Parfois, marcher dans la ville, croiser le béton, les costards, le bitume, les bagnoles... tout cela devient insupportable. Devoir esquiver les épaules agressives n'est plus un jeu mais un calvaire, le gris environnant n'est plus une invitation à la couleur mais un trou noir, aspirateur vorace qui capture toute mon énergie. Alors, je m'arrête et je cherche un recoin où m'appuyer pour mettre un "stop" au temps et m'évader.

Ça y est, j'ai réussi à m'extraire de la fureur alentour. Je ferme mes yeux et respire enfin, ouvrant en grand mes poumons. La lumière qui traverse mes paupières s'irise et devient des lueurs rose, bleue, orange. Puis, les lueurs deviennent des formes, tels ces nuages qui nous invitent à deviner ce qu'ils renferment.

Ces formes deviennent ruelles, patios, fleurs, femmes et hommes se baladant paisiblement, sourire aux lèvres et pâquerette sur le chapeau. Le bruit ambiant devient ruisseau, fête foraine, bal populaire ou bribes de conversations amicales. La brise emmêle mes cheveux, certains me chatouillent doucement. Un oiseau, rendu téméraire par mon immobilité, se pose sur mon épaule. Je sens ses pattes au travers de ma veste. Je respire encore, gorgeant mon âme de soleil. Mon corps n'est plus assujetti à la pesanteur et je prends de la hauteur, raillée par le merle se moquant de ma lourdeur. Il m'entraîne hors du bourg et je le laisse alors qu'il déguste un gros vers bien gras. Je continue, seule et pourtant pas tant que cela. Les feuilles et animaux semblent se parler bien que je ne les comprenne pas. Je continue, toujours, puis m'arrête, fatiguée, au pied d'un figuier. Je goûte certains de ses fruits, tombés à ses pieds, puis m'avachis contre son tronc. Je somnole.

Les formes alentours se transforment en lueurs roses, bleues, oranges. Quand je ré-ouvre les yeux, la ville a repris ses teintes grises et son rythme effréné. Mais la saveur des figues, restée sur ma langue, me rappelle qu'il y a un "ailleurs".

Licence CC : BY-NC-SA