Mahou Garden (Chapitre 2)

Chapitre 2 ~ L’Art d'être Beau à en oublier les Tableaux

♦Chiara

Ce matin j'étais de bonne humeur, je dirais même de très très bonne humeur. J'observais les céréales remplir mon bol tout en fredonnant quand Scura me demanda :

-Dis moi, ce ne serait pas aujourd'hui ta fameuse exposition d'Art ?

-Si ! , répondis-je, sans ménager ma joie.

-T'en as de la chance toi ! Quand j'étais en Seconde, la seule expo à laquelle j'ai eu droit c'était celle de Picasso et toi on t'offre toute la clique sur un plateau !

-Oui ! Monnet, Rembrandt, Kandinsky, Duchamp...

-C'est bon on a compris ! , m'interrompit Scura, qui manifestement en voulait à ma chance.

-Oh ne boude pas ! Je te ramènerai plein de photos promis ! Et même un souvenir !

-Moui...

Cette journée allait être géniale, oui GENIALE ! Je me hâtai de finir mon petit déjeuner et me précipitai dans ma chambre pour vérifier une nouvelle fois que je n'avais rien oublié. J'ouvris mon sac en bandoulière brun et en inspectai le contenu. Il comportait mon carnet à dessins, de quoi noter, mon passe pour le bus, de l'argent de poche et bien sûr, un appareil photo. C'est bon tout y était. J'allai alors me préparer dans la salle de bain. Pour cette occasion j'avais choisi une tenue spéciale « artiste ». J'enfilai une chemise simple et blanche, un pantalon noir ainsi que des bottines noires à talons. Puis, je rassemblai mes cheveux en les attachant sur le côté pour l'aspect pratique et les coiffai d'un béret beige. Enfin, je passai un foulard aux rayures bordeaux et mauves autour de mon cou. Tenue sobre et accessoires de couleur, j'étais vêtue de styles opposés et c'était exactement le résultat espéré : une tenue artistique. Je descendis les escaliers m'apprêtant à partir. Ma sœur m'apercevant ne pu s'empêcher de faire un petit commentaire :

-Et bien Mademoiselle, tu y vas pour voir des œuvres pas pour présenter les tiennes.

Elle réprima un léger rire.

-M'en fiche, au moins si un peintre de renommée passe par là, il sera obligé de me remarquer ! , répliquai-je.

-Mais oui c'est ça, t'oublieras pas de demander son numéro à William Klein pour moi ! , ricana-t-elle en m'adressant un clin d’œil.

-Vas-y moque toi ! En attendant pendant que tu seras en train de travailler, moi je ferai plein de croquis !

Son rire vira au jaune. Fière de moi, je lui souhaitai une « bonne journée » et m'en allai dans la ville de Lipris.

Lipris était une grande et belle ville proche de la mer. Il était agréable d'y vivre. De plus, elle possédait beaucoup d'espaces culturels tels un théâtre, des musées et un parc d'exposition.

Ainsi je pus aller à une exposition avec ma classe et par la même occasion, louper une journée de cours. Le bonheur ! Arrivés au musée nous eûmes le droit à une visite guidée toute la matinée. Ce n'était pas ce que je préférais. Découvrir des œuvres et les décrire moi-même était bien plus intéressant. En plus, nous ne nous arrêtions pas assez longtemps entre chaque tableau pour que je puisse avoir le temps de faire quelques ébauches. Heureusement, cet après midi c'était parcours libre. La seule consigne était de se retrouver à l'accueil à 16h30 pour le retour. La classe se divisa en groupes, je préférai rester seule afin de pouvoir décider moi-même des œuvres que je voulais observer. Je vagabondai ainsi en solitaire à travers les tableaux et les sculptures. Une photo par-ci, un croquis par-là, c'était enfin une vraie visite. Un tableau m’interpella plus que les autres. Je m'arrêtai devant ce dernier et me mise à le contempler, captivée par ce qui s'offrait à mes yeux. Il représentait une magnifique femme. Elle était d'une beauté surnaturelle. Un visage de porcelaine à la peau aussi blanche qu'une perce-neige, elle avait de jolies lèvres charnues dans les tons roses pâles, ses longs cheveux argentés formaient de sublimes anglaises. Une robe scintillante couleur vert émeraude habillait son corps aux atouts parfaits. Cependant, toute cette magnificence n'était pas ce qui me saisissait le plus dans cette peinture. La divine créature plantait ses yeux rouge sang dans les miens. Ses yeux me mettaient mal à l'aise. Ils avaient une lueur meurtrière. Je commençais alors à deviner l'identité de cette femme. Je lus le titre du tableau, « La Vénus Funeste ». Celui-ci confirma mes doutes. Cette beauté irréelle et ce regard assassin, je les avais déjà croisés plus d'une fois au « Mahou Garden ».

-Un vampire... murmurai-je.

-Tu as l’œil jeune fille, souffla une voix étrangère près de mon cou.

Par réflexe, je m'écartai et me tournai face à mon interlocuteur. Je fus surprise de découvrir l'homme qui se tenait devant moi. Lui aussi était d'une beauté surhumaine. Cependant je fus rassurée de constater qu'il n'y avait aucune animosité dans ses yeux. Les siens étaient grands et bleus. Son visage avait des traits harmonieux, ses cheveux étaient courts et blonds. Il avait un corps... pas désagréable à observer, pas désagréable du tout même. Musclé juste comme il faut, c'est-à-dire pas trop robuste non plus, il était grand. Enfin, il était habillé avec classe. Vêtu d'une chemise noire qui mettait en valeur son teint claire et d'un jean délavé qui créait le côté décontracté de la tenue, ainsi que de chaussures noires, il était vraiment... sexy. Il correspondait parfaitement à la définition que je me faisais des blonds aux yeux bleus. Je me rendis compte que j'étais en train de le scruter de la tête aux pieds et fus un peu gênée.

-C'est rare, les personnes qui perçoivent vraiment l'objet de ce tableau, poursuivi-t-il.

-Haha, ah bon ? C'est pas que j'ai déjà vu des vampires en vrai hein... juste une impression ! , paniquai-je.

Quelle idiote ! Il va me trouver suspecte maintenant !

Il se contenta de rire et me dit :

-Je n'en doute pas, ne t'en fais pas.

-Ah...

J'étais à présent un peu rassurée.

-Tu as un bon sens de l'observation tu sais ? Tu es une artiste ?

-Euh moi ? Non, balbutiai-je, plutôt surprise. Je fais des portraits mais mon niveau reste amateur. Pour l'instant je me contente de mes études d'Art.

-Oh je vois, tu es étudiante.

-Lycéenne plus exactement.

J'avais envie de lui poser des tas de questions, mais préférai me retenir.

-Il y a des tableaux encore plus intéressants que celui-ci de l'autre côté, ça te dit de m'accompagner ?

-Euh d'accord, répondis-je.

Je suis en train de rêver c'est ça ? Un mec beau comme un Apollon débarque et il m'invite à visiter le musée avec lui ! Ca ne peut être qu'un rêve !

L'envie de me pincer me prit mais je la refoulai. J'avais suffisamment l'air bizarre comme ça. A la fois excitée et intimidée, je suivis le bel inconnu.

♦Scura

Il était tard et je rentrais épuisée du boulot. Bien sûr je n'eus pas encore le temps de souffler car les cours de Maman nous attendaient. Je trouvai Chiara bien distraite pendant ces deux heures. Elle souriait bêtement et dessinait sur son cahier. Et même après s'être fait réprimandée par Maman, elle avait toujours la banane. A la fin du cours (et du sermon de Maman), je m'empressai de lui poser des tas de questions.

-Tu m'as l'air de planer aujourd'hui toi !

-Oui.

-Alors cette expo, c'était bien ?

-Oui.

-C'est vrai ? T'as pu prendre plein des photos j'espère ?

-Oui.

-Et tu m'as pris un souvenir ?

-Oui.

-Super, montre !

-Oui.

Mais elle ne bougea pas.

-Bah alors, qu'est-ce que tu attends ?

-Oui.

-En fait, tu ne m'écoutes pas ?

-Oui.

Je pris un de ses mangas préférés et fis mine de le déchirer sous son nez.

-Gyah ! Arrête ! Qu'est-ce que tu fais ?! , hurla-t-elle en me l'arrachant des mains.

-Ah ça y est t'es réveillée. Bon alors, je te demandais où étaient tes photos et mon souvenir ?

-Hein ? Bah euh... j'ai oublié, déclara-t-elle plus doucement.

-Quoi ?! Mais tu m'avais promis ! , m'indignai-je.

-Je sais mais... Il était si beau.

-Qui ça ?

-Apollon.

-C'est quoi ça ? Un tableau ?

-Non, un artiste.

Je finis par reconnaître cette tête d'ahurie, Chiara avait rencontré un garçon !

-Vas-y raconte.

Elle m'expliqua tout du début à la fin.

-A 16h j'ai dû le quitter. Il m'a donné rendez-vous la semaine prochaine après les cours, dans ce même musé pour qu'on puisse finir notre visite, termina-t-elle.

-Et il s'appelle comment, ce séducteur d'amatrice d'Art ?

Ma question jeta un blanc.

-Ne me dis pas que tu ne lui as pas demandé ?

-J'ai oublié ! , gémit-elle.

-Pff ! Quelle andouille ! Vous ne vous êtes même pas présentés ?!

-Bah non... on a surtout parlé tableaux...

-Alalah, j'espère pour toi qu'il viendra la semaine prochaine, soupirai-je.

-Il viendra ! J'en suis sûre !

-Bon... mais attends une minute... Ça veut dire que je vais encore devoir te remplacer ?!

Elle me fit un sourire plus efficace qu'une réponse.

-Rah ! Il a intérêt à être là ton jules je te préviens !

-Pas grave, Laurent travaille tous les mercredis lui.

-Oui mais on peut pas dire que ce soit très romantique de jouer les animatrices avec lui.

-Ça pourrait l'être si tu faisais un petit effort, répondit-elle avec un sourire malicieux.

-Je ne vois pas comment. Et puis il a sa Violette.

-Scura tu me fatigues !

-Toi aussi.

Les jours s'écoulèrent et nous étions maintenant la veille du rendez-vous. Le soir, alors que je lisais, je sentis Chiara se faufiler derrière moi pour prendre un livre dans la bibliothèque. Je fis mine de n'avoir rien vu et attendis qu'elle s'éclipsa. J'allai ensuite vérifier ce qu'elle avait emprunté en douce. Je trouvai immédiatement le livre manquant, il s'agissait du livre des potions.

Je me glissai discrètement dans sa chambre.

-Qu'est-ce que tu fais ?

Elle sursauta.

-Ri... rien !

-J'aimerais bien savoir quelle potion tu prépares.

Je l'écartai et lus la page.

« Parfum du Désir

Rendez l'élu(e) de votre cœur fou/folle de vous pour une journée.

Ingrédients :

-50 cl d'alcool

-8 fraises

-1 gousse de vanille

Formule :

Alamesis amournupa poura uni jorzarna de liuz pernoifio quie ocacia mios pebsas

La personne qui occupe vos pensées n'aura envie que de vous pendant une journée. Et même une fois les effets dissipés, elle se souviendra de tout. » 

-Super simple la recette hein ?

-Tellement simple que tu ne vas pas l'utiliser, rétorquai-je.

-Trop tard, elle est déjà prête.

J'aperçus le petit flacon posé près du livre.

-C'est ce qu'on va voir.

Je me jetai sur la fiole, Chiara m'intercepta.

-Donne moi ça, ordonnai-je, ne lâchant pas prise.

-Non, t'as pas le droit !

Nous tirions à présent chacune de notre côté. Dans un élan de force le flacon bascula dans ma direction, seulement il n'était pas fermé et je m'en retrouvai immergée.

-Ah bah bravo ! T'as tout gâché ! , râla Chiara.

-Bravo à toi oui ! Comment je fais moi maintenant ?

-De toute façon c'est pas toi qui a récité la formule donc tu ne risques rien.

-T'en es sûre ?

-Je crois. Et toute façon je m'en fiche, c'est ton problème !

L'envie me pris de la gifler mais je me reteins.

-Tu devrais savoir qu'on ne peut jamais prévoir comment tournent les effets d'une potion !

-Ca ne coûtait rien d'essayer.

-Si ! Surtout pour un truc aussi ridicule que ça ! T'as pas besoin d'une formule bidon pour mettre un mec dans ta poche !

-La ferme ! Je fais ce que je veux d'abord !

Scura on se calme, respire, c'est ta petite sœur. Fais preuve d'indulgence.

-Bien, de toute façon tu n'as plus de quoi faire la potion alors je peux me retirer. Au passage, je prends ça avec moi. , ajoutai-je en m'emparant du livre.

Je fermai la porte avant de pouvoir entendre une montagne d'injures.

Le lendemain, j'attendis Laurent à notre banc habituel pour commencer les activités. Aujourd'hui c'était entretient des fleurs. Cette activité ne plaisait pas à tous le monde mais elle était paisible, ce qui était ainsi plus facile à diriger. Laurent arriva un petit peu en retard.

-Désolé, j'ai loupé mon bus ! , s'excusa-t-il avant de me faire la bise.

-C'est pas grave. J'ai envoyé les autres faire une balade en attendant.

J'allai lui expliquer les activités du jour quand Laurent afficha une expression... pour le moins perturbante.

-Il y a un problème ?

-Scura, tu sens si bon aujourd'hui...

-Ah ? Euh merci.

Mon Dieu... ne me dites pas que la potion fait effet ?!

Il se pencha vers moi.

-J'adore les fraises, susurra-t-il.

Plus aucun doute possible, c'est cette maudite recette !

Laurent me serra alors contre lui et respira ma nuque.

-Tu es... délicieuse.

Sa tête descendit vers ma poitrine. Je me souvins alors que le liquide m'avait aspergé tout le torse.

-L...Lau... Laurent...

Au secours !

Il glissa sa main dans mes cheveux, tout en gardant sa tête fourrée dans mon buste. Je voulus le repousser mais il me serrait trop fort. Bien sûr, j'avais toujours rêvé de ce moment mais pas dans ces circonstances là !

-Hmm... Scura...

Que faire ?... Que faire ?!

-Laurent écoute... je... nous devons... Ah ! ... , un petit gémissement m'échappa, il baisait le haut de ma poitrine.

-Il faut... Les activités...

Mais pourquoi ça m'arrive à moi ?! Je n'arriverai jamais à le repousser ! Ici en plein milieu du parc en plus ! Les autres vont arriver d'une minute à l'autre !

La panique me saisissait.

-Laurent s'il-te-plaît, stop !

Il leva vers moi un regard languissant. Décidément, j'étais fichue.

♦Chiara

Cette fin d'après midi avait été merveilleuse. C'était l'heure pour mon guide et moi de nous séparer. Je me rappelai alors que je ne savais toujours rien de lui.

-Au fait, qui est-tu ?

-Moi ? Je suis un vampire, déclara-il d'un ton naturel.

-Qu.. quoi ? , demandai-je, frappée d'effroi.

-Je plaisante, détends-toi, répondit-il en riant.

-Haha oui, je le savais.

En vérité, j'y avais tout de suite cru, mais je fus soulagée que ce ne soit pas le cas.

-Je m'appelle Jimmy Leon.

Jimmy ? C'est mignon comme prénom ça...

-Et moi Chiara Diabodique.

-Chiara ? Tu t'appelles donc Claire ?

-Oui c'est ça, tu as fait de l'Italien ?

-Non mais j'ai quelques bases, expliqua-t-il en souriant.

J'étais triste de devoir me séparer de lui.

-Serais-tu à nouveau libre mercredi prochain ?

-Non désolée. Cela fera trois fois que ma sœur me remplace au travail, elle ne voudra pas.

-Oh tu travailles ?

-Oui, enfin c'est juste un petit boulot. Je suis animatrice au « Mahou Garden ».

-« Mahou Garden » ? , répéta-t-il.

Ce nom semblait l'interpeller.

-Et bien on se retrouvera là-bas alors, dit-il en souriant.

Je crus percevoir un éclat de malice dans son sourire.

-Ah mais tu n'es pas obligé tu sais...

-Je sais, c'est pour ça que je le fais.

Je rougis.

-A très bientôt, Chiara.

Sur ces mots, il partit.

-A bientôt... prononçai-je.

Il était bien mystérieux tout de même, ce Jimmy.

A peine de retour chez moi, la porte s'ouvrit. C'était Scura.

-Et bein, tu rentres tôt aujourd'hui, que s'est-il passé ?

Je me rendis compte qu'elle avait les cheveux en bataille et que la bretelle droite de la robe lui tombait sur l'épaule. Je m'aperçus aussi qu'elle affichait un visage furieux qui habituellement me faisait dresser les poiles de bras.

-Tuer... , murmura-t-elle.

-Pardon ?

J'ai comme un mauvais pressentiment...

-Tuer, répéta-t-elle. CHIARA JE VAIS TE TUER !!!!

Pour ma propre survie je me mise à courir dans toute la maison poursuivie par ma sœur aînée.

-Qu... qu'est-ce que j'ai fait ?!

-La potion...

-Ahaha...

-Grrr... je vais t'exploser !

-HYAAAA !!!!!

Au secours ! Sauvez moi !

Ainsi s'acheva ma magnifique journée. J'avais une bosse sur la tête mais cette tête était remplie de tableaux, plus précisément, les portraits d'un beau blond aux yeux bleus.