Mai 2007

nancy-creed

Mai 2007

Il y a cinq ans, ma mère est partie avec dans son cercueil : sa loupe, un tigre en plastique, son transistor et dans l’étui de son chapelet, les trois pièces de monnaie dont elle aura peut-être besoin.

Après l’enterrement, en moins d’une heure, ma sœur avait tout déplacé dans le salon : plus de photos, coussins au sol et une sorte de grand plaid indien, c’était comme chez elle, il y avait même une odeur d’encens. Ses amis se sont installés à la place de mes parents et posé à leurs pieds des cendriers et des canettes de bière. Ils prenaient beaucoup de place. La femme était trop grosse et elle parlait trop fort. Il manquait un bras à son mari, mais ils prenaient trop de place quand même. Une autre fille étalée sur la moquette devant la cheminée fumait à la chaine. J’avais envie qu’ils partent. Je voulais remettre les choses à leur place : fauteuils devant la télévision, photos sur la cheminée, pas de coussins par terre, pas de trucs à franges, pas fumeur, verres pour boire.

Peu après j’ai rêvé que j’étais de retour à la maison. Par la fenêtre, j’ai vu ma mère dans le jardin en train de balayer les feuilles mortes qui s’étaient accumulées depuis ses funérailles. J’étais toute étonné de la voir en si grande forme, moi qui la croyais morte !

Vérification faite, dans le salon, elle est toujours là dans son cercueil, encore ouvert.  A regarder de plus près, je constate qu’elle bouge un peu. Ma sœur qui voit ça d’un mauvais œil et lui conseille d’arrêter de remuer. Moi je ne vois pas de mal à ça et je lui demande si elle veut se déplacer. Avec ses jolis yeux verts grands ouverts, ma mère me répond « oui » : Je la prends dans mes bras, je la trouve très belle. Elle porte le chemisier en voile de coton blanc, qu’elle gardait pour une « grande occasion ». Ses cheveux sont noirs à nouveau, ses sourcils aussi. Je lui dis que je la trouve  jolie. Elle sourit, elle est radieuse. Je l’accompagne à son repas de funérailles. Elle est contente d’être là, de discuter avec nous et avec ses amis qui se sont déplacés pour lui dire au revoir. Plus tard, elle commence à avoir froid puis elle devient encore plus froide, de plus en plus froide… Je la raccompagne sur son lit de mort.

À mon retour de vacances, ça se complique quand elle m’appelle pour parler de notre séjour au bord de la mer. Je suis très embarrassée ne sachant absolument pas quoi dire. Comment réagir ? C’est terriblement gênant pour moi, je souffre. Je l’entends, à l’autre bout du fil, bavarder à toute vitesse, raconter en détail ses vacances, mais je ne l’écoute que d’une oreille distraite. Comment lui dire ? Comment lui annoncer qu’elle est morte ? Je ne veux pas lui faire de peine. Elle ralentit de temps en temps pour reprendre son souffle, puis elle commence à s’étouffer. Elle a de plus en plus mal à respirer. Je l’entends mourir.

Je suis triste au réveil, Maman est morte. Rien ne va plus, on est en France, en mai 2007, il y a un nouveau président et les choses ne vont pas s’arranger.

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