Maîtresse, j'ai trouvé un caillou, mais il est vraiment moche

Thierry Kagan


Qu'il est dur d'être mûr plus tôt que les autres !

Une pomme mûre plus tôt que les autres, elle s'emmerde sur son arbre, non ? Une poire, pareil, un abricot, pas moins.


Alors, imaginez !

En cours élémentaire, d'avoir déjà tout compris de la vie : la loi du moins faible, l'inégalité des races, la raison du plus con, les dessous des tables à repasser, les dessus des pompes à cirer, les signes des temps et des astres et... et la mer.

 

La mer !

 

La mer, elle n'a plus de secret pour moi.

Ses poissons, son plancton, ses nodules, son eau, bien sûr, salée, très salée, son eau.

 

La mer !

 

On y va aujourd'hui, à la mer.

Avec la maîtresse.

MA maîtresse.

Elle est très moche, mais je la trouve jolie.

Jolie comme un cœur.

Elle a des grosses lunettes, mais elle est aveugle.

Elle... elle voit pas qu'on est fait l'un pour l'autre. Que je peux lui donner du bonheur, que je peux lui faire des pages de dictée sans fautes, des colliers de nouilles solides comme pas deux, des parties de cache-cache sans les mains, des sourires d'ange que les vieux schnocks de son âge ne m'arriveraient même pas aux commissures.

Tout ça, je peux lui faire.

Elle n'a qu'à me donner un signe. Un seul !

Et puis si elle veut des enfants, je lui en donnerai.

Ma petite sœur, ma cousine.

D'ailleurs, des gosses, on en a déjà plein, plein la classe.

Ca devrait suffire, non ?

 

La mer !

Si elle veut, je pourrais la lui donner, la mer.

Ma mer !

 

Un signe de sa part et je lui en fais couler des sauts, de ma mer.

Du sable, je lui en monte un château. Avec ses appartements particuliers, sa chambre pour se faire belle, celle pour rester moche, une pour corriger mes copies, une autre pour empiler mes colliers… je lui ferai toutes les chambres du monde !

Même un salon pour qu'on se regarde dans les yeux et pour se tenir les mains.

 

"Les enfants, les enfants ! On va jouer, maintenant. Vous avez un quart d'heure pour trouver un maximum d'objets qui n'aient pas de rapport avec la mer. Allez, les enfants, à la pèche ! Ceux qui tomberont sur des cartouches toutes rouillées de la dernière guerre auront plein de bons points."

 

Et en plus d'être moche, ma maîtresse, elle est con.

Très con.

Mais je l'aime tant.

 

Allez, je vais lui en dénicher des cadeaux.

Et c'est pas des bons points qu'elle me donnera, c'est son cœur.

 

"Maîtresse, maîtresse, j'ai trouvé un gros caillou. Il brille  beaucoup, il a mille facettes. Et puis, il y a dessus un anneau tout jaune, qui brille aussi au soleil. Les copains, ils disent qu'il est moche, le caillou. Mais moi, je le trouve joli. Je vous l'offre, vous l'acceptez ? Maîtresse, ça ne vous engage en rien…

- Oh, mon petit Pierre, comme c'est gentil... mais... comment te dire... je suis très ennuyée...

 - Allez, Maîtresse, c'est pour vous, je vous l'offre... parce que je vous aime.

- Mon petit Pierre, c'est un beau cadeau, cela me gène. Je suis troublée.

- Mais c'est normal, Maîtresse, vous êtes Gémeaux, je suis Cancer, on a tout pour se plaire.

- Ah bon ! Ecoute, mon petit Pierre, je dois quand même te dire qu'il y a déjà le surveillant principal qui me surveille beaucoup, tu sais.

- Le surgé ! Mais Maîtresse, il est Poisson comme un phoque, le surgé. Rien à voir avec mon Cancer à moi. Je comprends votre embarras, ça va vite, très vite entre nous..."

 

Voilà !

On n'a plus qu'à fixer une date pour la présentation des parents et tout le tintouin.

Non !

En fait, pas de présentation aux parents. Ils ne comprendraient pas notre amour.

On va partir loin, tous les deux, très loin.

On ira jusqu'à la dernière station de métro et on marchera.

Bien 5 minutes, au moins.

Et là, on sera seuls, tous les deux, même s'il fait pas beau, sous le soleil, exactement, pas à côté, pas n'importe où, juste au-dessous.

 

C'est MA Maîtresse, je lui apprendrai la vie.

 

 

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