Maldita

Violhaine Larsen

Par deux fois Maldita sentit l'odeur de la mer.

La première fois, c'était sous la grêle. Martelée par ces petits bouts de glace acérés, coups de micro-poignards sur les joues, elle essaya de ne pas respirer les embruns trop profondément. Effluve déplacé, dans le mauvais monde. A des centaines de kilomètres de tout océan.
Irruption intempestive, éruption de sentiments contradictoires. Proche, distant. Attraction, répulsion.
Aussi loin qu'elle arrivait à se souvenir, Maldita avait toujours eu peur de l'eau. Son père avait voulu lui apprendre à nager, mais n'avait fait que la terrifier. Panique, coeur qui s'emballe, suffocation. Ses souvenirs liquides se résumaient à cela.
Cette simple odeur, ce jour-là, avait suffi à raviver ces hantises. Les grêlons fondant sur son visage la saisissaient. Ne surtout pas respirer. (...)


La seconde fois, elle se faisait couler un bain, espérant une parenthèse plus ou moins longue au laid milieu de la vie. Juste au moment d'y entrer, elle fut de nouveau saisie.
Ravissement de tous ses sens, de sa pensée. Ne plus rien sentir d'autre que le parfum de la marée. Ne plus rien savourer d'autre que le sel acide. Ne plus entendre que le bruit des vagues, ne plus ressentir que leurs gouttelettes, ne plus voir que cette falaise...
Elle avait tout de même plongé. Mais, ne surtout pas respirer. Blottie, recroquevillée dans sa baignoire maculée, Maldita se voulu sirène.
La tête sous l'eau, elle hurla. Mais ce cri, mille bulles étouffées, personne ne l'entendit. (...)


Quelques jours plus tard, Maldita suivit une sorte d'impulsion, guidée par son instinct qui lui rugissait des menaces, sourdement. Une menace humide & chargée de sodium.
Elle abandonna sa vie loin derrière elle et partit.
La falaise, elle la reconnut aussitôt. Elle l'aurait reconnue les yeux fermés.
Elle s'approcha de la corniche sur la pointe des pieds, comme une enfant. Mais si différente de celle qu'elle avait été...
Elle ne craignait plus qu'elle-même à présent. (...)

Pareille à un ange, la sirène suffoquée fit le grand saut.

Sans respirer.

On ne retrouva pas le cadavre de Maldita.

VIOLHAINE, Avril 2005.

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