Malek

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Le chemisier dessine bien  les contours de son buste saillant et ses  motifs floraux en  rose épousent largement  la tonalité de cette peau ocrée.

Un galant serveur frisé se présente aussitôt un dépliant à la main, mais les prix étant assez élevés pour sa petite bourse, Mireille réfléchit par deux fois avant d’opter pour un petit-déjeuner « à la française », d’autant plus qu’elle doit aussi payer celui de son compagnon.

Un café au lait et deux croissants servis avec bienséance sont suffisants pour combler le petit creux de son ventre, mais pas celui de sa curiosité.

Elle  demande à Mustapha d’aller lui acheter  un journal lorsque   son voisin de table lui propose gentiment le sien.

Elle le remercie d’un large sourire  et allume une cigarette avant de passer en revue les grands titres de « La Vigie marocaine»où les attentats contre des intérêts  français sont illustrés par des images occupant  toute la première page.

« C’est déprimant de voir chaque jour la même chose ! Risque le voisin de table dans un très  bon français.

« Effectivement, cela contraste avec la plénitude de cette belle terrasse !

« Le pays est en pleine ébullition, et les terroristes enflamment toutes les rues.

« Je n’ai pas assez de recule pour incriminer les uns ou les autres, je viens juste d’arriver.

« Et c’est  surement votre première visite au Maroc ?

« Bien vu !

« J’espère que le voyage n’a pas été dure, d’où est ce que vous venez si ce n’est pas trop indiscret ?

« De la métropole!

« D’où exactement?

« De Paris.

« Ah la belle ville, c’est là que j’ai fais mes études supérieurs, à la Sorbonne.

« Ah rien que ça ?

« Je me présente Malek.

« Moi c’est Mireille, journaliste et le petit c’est Mustapha, mon guide.

 « Ah comme le monde est petit, moi-aussi je suis du métier !

« Ah bon, quel journal ?

« Rédacteur en chef de celui que vous tenez entre les mains.

  Justement Mireille avait fini son tour d’horizon et lui remet son quotidien.

 « Vous pouvez le garder, cela nous donnerait  une meilleure publicité auprès de nos confrères de la métropole. Sans indiscrétion, êtes- vous en mission ou simplement en vacances ?

 « Pour l’instant je n’ai pas d’emploi alors j’en profite pour connaitre quelque peu le pays.

« Alors vous acceptez bien que je vous invite à déjeuner si vous n’avez pas d’autres engagements, je pourrais éventuellement vous faire visiter notre ville !

« En fait, je suis à la recherche d’un quotidien marocain appelé « Maroc Presse », je ne sais si vous connaissez l’adresse de leurs bureaux ? Des amis à moi m’avaient dit qu’il se situait aux  environs de cette place!

«« Evidemment que je le connais, cependant il est quelque peu loin d’ici…

« Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude de marcher !

« Si c’est pour  y travailler, entre nous ce serait dommage car ce quotidien n’a pas une grande obédience de la part de bon nombre de nos compatriotes.

« Effectivement j’ai en projet de m’installer ici pour un bout de temps et comme j’ai besoin de gagner ma vie, la seule activité que je saurais mener à bien est le journalisme.

« Alors bien venue confrère, notre marché est porteur et nous avons besoin de belles plumes. Notre journal serait heureux de recruter de jeunes journalistes surtout s’ils viennent de Paris ! Dans quel journal pratiquez-vous avant de venir.

« En fait je suis chroniqueuse et mes articles ont été publiés un peu partout, bredouille Mireille quelque peu gênée , tout en fouillant dans son sac, en voici un petit échantillon.

 Malek parcourt  l’article tout en ne prononçant à chaque fois qu’une seule phrase : Ah bons ?

« Cela ne vous plait pas ? Demande Mireille quelque peu surprise.

 « Non du tout, vous avez une excellente plume, je vous en félicite ! Sauf que je ne suis pas tout à fait d’accord sur votre vision des choses. Mais je  pense que le lieu est mal choisi pour parler de ces choses, je vous invite dans mon bureau c’est juste en face.

Malek  règle  les deux  notes et en profite pour laisser un bon pourboire au garçon avant d’indiquer à sa compagne le chemin de son  journal sis quelques mètres plus loin.

Un très bel édifice portant le nom « Vigie marocaine » étalé en grand caractères sur toute la largeur d’ un grand immeuble avec  des escaliers en marbre et une  belle  demoiselle d’accueil  bien souriante.

Alors que Mustapha reste au hall à surveiller la grande valise, Malek fait entrer la jeune journaliste  dans un spacieux bureau tout fleuri qui atteste bien de la qualité de celui qui l’occupe.

En s’installant Mireille croise ses longs  jambes galbées alors que    zyeutant longuement ses beaux mollets Malek ne cesse de caresser sa  moustache safranée de plaisir.

 « Elle se défend quand  même » se dit-il en prenant place de l’autre coté du grand bureau en bois d’ébène auréolé de l’étendard  tricolore.

C’est  nettement mieux que ce qu’il avait vu en photo, et ce premier contact est très encourageant.

Mireille le trouve aussi très séduisant, mais elle n’a pas fui son pays pour faire des amourettes et compte bien faire payer à ces lâches arrivistes qui l’avaient chassée de chez elle le prix de leurs menaces.

 « Je ne connais pas encore votre ligne éditoriale, mais d’après les grands titres  que j’ai lu tout à l’heure cela m’a tout l’air d’être totalement engagé dans la défense d’une France forte quitte à limiter les libertés, attaque d’entrée la jeune journaliste.

« C’est un jugement un peu hâtif, au contraire notre principe est la liberté d’expression, autrement rien ne peut marcher dans ce monde. Seulement dans le contexte actuel tout trouble risque d’être préjudiciable à notre nation mère, donc un peu d’ordre ne fait de mal à personne.

« A quel prix ? J’ai lu pas mal d’articles sur les extractions que subissent les nationaux pour le seul fait d’avoir exprimé leur avis sur la question ! Pour un pays qui fait de la liberté d’expression l’une des bases de sa démocratie.

 « Les choses sont différentes ici, mais cela n’empêche que c’est mon point de vue personnel et non une politique rédactionnel. Ceci dit tout avis contraire ne peut qu’enrichir le débat et justement nous avons besoin de sang nouveau pour nous démarquer de nos concurrents, finit par concéder le rédacteur en chef dont les opinions commencent à souffrir d’un manque de conviction. Les petits points blancs qui scintillaient de ses yeux alors qu’il parlait de son journal semblent s’estomper au fur et à mesure de l’avancement de la discussion et ses pommettes de plus en plus rouges dénotent de sa gêne.

Il en profite pour demander à son hôte si elle ne voulait pas boire quelque chose vu qu’il fait chaud, mais en fait il est le seul à avoir soif. Le visage évanescent, il se verse un verre d’eau et prend tout son temps à reprendre place, question de se donner quelque répit, mais Mireille ne lui en  donne pas l’occasion.

  « En somme et si je comprends bien vous me déconseillez de  travailler pour ce journal car il n’épouse pas votre approche de la question et vous me proposez d’accepter immédiatement votre  offre alors même que vous savez que je ne suis pas convaincue.

« En fait j’ai pensé plutôt aux conditions de travail pour une jeune journaliste telle que vous. Je sais que cela peut paraitre méchant de ma part de parler ainsi d’un journal  confrère, mais leur  rédacteur en chef n’a jamais été capable d’écrire deux phrases correctes en Français, et tous les journalistes qu’il a réussit à recruter  l’ont immédiatement quitté pour rejoindre notre journal. De plus leur situation financière est catastrophique et ils risquent même la faillite !

« « Je  vous remercie pour cette  offre inattendue  et vous promet d’y réfléchir, mais je préfère quand même aller les voir.

 « Voici leur adresse, allez-y cela ne vous engage en rien,  et si jamais vous changez d’avis notre journal vous ouvre toujours ses bras. Encore une chose leur petit siège se situe dans une ruelle  presque inconnue et vous risquez  soit de vous perdre soit de vous faire enlever par les terroristes qui hantent les paisibles citoyens. Alors si vous le permettez, mon chauffeur vous conduira.

« Non je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse.

« C’est la moindre des choses entre confrères. Vous pouvez aussi laisser votre  valise, notre concierge en prendra soin,  et je pense qu’il est inutile de trimballer ce « ould » avec vous, cela donne l’impression  que vous venez de débarquer et les criminels ne manquent pas de nos jours.

« Si cela n’est pas trop vous demander je préfère laisser tant Mustapha que la valise chez votre concierge, je déciderais à mon retour du cas du « ould ».

« Cela ne me gêne nullement, nous attendrons tous impatiemment votre retour, Ah, Ah, Ah….

Malek  l’accompagne jusqu'à la voiture, donne ses consignes au chauffeur et regagne le hall d’entrée où le jeune porteur veille toujours sur la grande valise :

« Salem alikom Mustapha, labass

(Salut, ça va ?)

« Labass sidi

 (Ça va monsieur)

« Tu veux une cigarette ?

« Si vous en avez, pourquoi pas !

« C’est la dernière et j’ai préféré te l’offrir »

Malek  la lui tend  et le jeune porteur se suffit à la mettre  mécaniquement derrière son oreille tout en reprenant sa place juste devant la grande valise.

« Mhaliya fik mazyane Mireille

(Elle prend bien soin de toi ?)

« Iyah, Allah imarha dar.

(Oui c’est une bonne personne)

« Tu vois mon fils avec ces gens qui viennent de France il faut rester toujours sur son qui vive, elles peuvent de faire faire des courses dangereuses et dès que la police t’arrête elles font semblant de ne pas te connaitre, j’espère qu’elle ne t’a pas envoyé chez quelqu’un

« Non monsieur

« Cela te dirait de travailler et percevoir un salaire comme les grands

« Bien sur monsieur, je ferais n’importe quoi !

« Notre journal a besoin de vendeurs, je te choisirais un bon emplacement et je donnerais mes instruction pour qu’aucun policier ne te gêne et nous te payerons chaque quinzaine ! Tu es embauché dès maintenant, cela te vas ?

« Enormément monsieur, mais je suis actuellement engagé avec madame Mireille.

« Ce n’est pas grave, Mireille va travailler avec nous et tu lui servira de garde et de guide, mais attention c’est moi qui te paye désormais et c’est à moi que tu dois rendre compte. Garde l’œil bien ouverte, je ne veux pas qu’un mal arrive à la Française, tu me diras discrètement où elle va et qui elle contacte. Comme cela nous pouvons lui assurer une bonne protection et dès  qu’elle s’installe tu viens recevoir ton nouveau Job.  Tu as faim ?

 « Chi chwiya »

(Un petit peu)

Malek sort  une grosse pièce qu’il  lance en l’air, mais le  petit l’attrape avant qu’elle n’atteint le sol :

«Tiens, va manger quelque chose

Mustapha  allait déguerpir lorsqu’il se retient à la dernière seconde.

« Qu’est ce que tu attends

« La valise, monsieur, je ne peux pas la laisser

« Ne t’en fait pas, Kader va la garder pour toi.

Puis s’adressant au concierge ;  Fait entrer cette valise dans ton cagibi jusqu’au retour du gosse !

« Merci monsieur ! s’exclame Mustapha alors que ses petits pieds étaient déjà dans la rue.

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