Malentendu

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            A peine sorti du bureau, Etienne rentre chez lui. En effet, cet employé d’une grande compagnie d’assurance n’a pas le temps de retrouver ses collègues pour un verre, et, de toute façon, trouvant son métier assez monotone, il ne tient pas à en reparler dans son temps libre. Par contre il a plus important, et plus passionnant à faire : en effet, quand il ne travaille pas, Etienne s’occupe de sa petite entreprise à lui, qui propose des services de protection et d’investigations, si une personne est inquiétée par un tiers, ou pour toute raison réclamant une enquête discrète. En fait il est une sorte de détective privé.

            En ce moment, il travaille sur le cas d’une jeune femme qui, après une relation amoureuse puis une rupture compliquées, se sent menacée par son ex-petit ami, celui-ci ayant mal accepté la fin de leur histoire. La jeune femme a naturellement d’abord fait appel à la police, mais celle-ci n’a rien pu prouver, et Etienne fait donc maintenant son possible pour protéger la jeune femme qui travaille en fait dans la même compagnie d’assurances que lui, mais à un autre étage. Du coup ils ne se connaissent que de vue et ne se sont jamais vraiment rencontrés autrement que lors de rassemblements spéciaux de tous les employés de l’entreprise, pour Noël, ou l’une de ces manifestations d’autocongratulation de l’entreprise que déteste Etienne, car tellement hypocrites à ses yeux.

            L’une de ses principales qualités est par ailleurs la discrétion, il ne tient pas à déranger ses clients lors de ses investigations, et encore moins à les obliger à changer leurs habitudes par sa présence, qui, même si c’est pour leur protection, pourrait s’avérer à leurs yeux vite envahissante. L’« Ange gardien », comme il aime se surnommer, fait également preuve d’une grande prudence, autant vis-à-vis de ses clients, pour lesquels il est plein d’attentions, mais aussi et surtout pour éviter toute erreur, et ne pas effrayer ceux qui leur en veulent, afin de parvenir à les piéger. Etienne n’a pas suivi de formation particulière, ce hobby lui est venu petit à petit. Déjà enfant, il aimait observer les gens qui passaient sous sa fenêtre, et guetter ses voisins. Adolescent puis adulte, il a été bercé par de nombreux longs métrages et surtout par des séries lui donnant quelques clés pour ce passe-temps particulier. Par contre, contrairement à nombre de ses modèles, Etienne travaille seul. Après tout, c’est une sorte de service supplémentaire qu’il rend, il n’est pas détective à plein temps.

            Ce soir sa cliente ne rentrera pas tout de suite, elle a prévu un ciné avec une amie, histoire de se changer les idées. Etienne souhaite donc profiter d’un moment où il ne dérangera pas pour aller chez elle installer des détecteurs de mouvement, au niveau du portail d’entrée, mais aussi dans le jardin, pour prévenir toute intrusion anormale. Il a lui-même bricolé et perfectionné ses petits appareils qui lui permettent ainsi d’avoir l’œil, à distance, sur ce qui se passe chez sa cliente. Il peut alors s’éloigner, pour aller manger, ou le temps de quelques courses.

            Il est près de 23 heures quand Etienne finit son café dans un petit bistro du quartier, l’un des rares commerces encore ouverts, dans cette partie de la ville plutôt résidentielle. C’est alors que retentit dans sa poche l’alarme de ses détecteurs. Soit sa cliente est rentrée sans prendre garde, soit il s’agit d’un intrus, voire d’un animal. Dans tous les cas, Etienne doit se hâter pour vérifier. Laissant un billet pour régler son café et son sandwich, il se précipite vers son véhicule afin de se rendre chez la jeune femme au plus vite. Cependant, il fait bien attention à ne pas arriver trop précipitamment dans la rue déserte à cette heure, afin de ne pas attirer l’attention et surprendre trop tôt un éventuel rôdeur. Arrivé à pied à proximité de la maison qu’il surveille, il constate que tout à l’air normal. Il compte cependant bien rester un moment, afin de s’assurer que tout va bien. Après un coup d’œil à droite et à gauche sur le trottoir faiblement éclairé, il s’engouffre sans bruit dans le jardin. Il ne voudrait pas passer lui-même pour l’agresseur ! Faisant le tour de la petite maison particulière, il ne trouve aucune trace de passage suspecte, toutes les ouvertures sont bien fermées, pas d’effraction à signaler. Levant la tête, il s’aperçoit que de la lumière jaillit de la chambre de sa cliente, d’où s’échappe également de la musique. Les volets n’ayant pas été fermés, Etienne entrevoit la silhouette de sa jeune collègue jouant avec les plis des rideaux translucides. En regardant bien, il peut même mesurer ses mouvements, et son cœur d’un coup se met à battre plus fort lorsqu’il s’aperçoit que la jeune femme est en train de se déshabiller. Alors qu’elle passe tout près de la fenêtre, Etienne discerne assez nettement ses formes délicates et ne peut s’empêcher de continuer de regarder, troublé par cette vision. Il est vrai que la jeune femme a un certain succès auprès des hommes dans l’entreprise ; d’ailleurs, n’est-ce pas à cause des crises de jalousie dont elle était la victime qu’elle a rompu avec son amant ? Tout en laissant filer son imagination, Etienne ne s’aperçoit pas que la musique s’est arrêtée et que la lumière s’est éteinte ; il se décide donc à faire un dernier tour, avant de lui-même regagner son appartement. Mais soudain, il entend une fenêtre s’ouvrir brusquement, et il n’a que le temps de se faufiler derrière un arbuste pour ne pas être surpris. En effet, la jeune femme n’apprécierait certainement pas de surprendre le détective en train de l’épier, alors que c’est précisément pour éviter ce genre de mauvaise surprise qu’il a été chargé de cette mission de protection. Comme le calme est revenu dans le jardin, le visage inquiet de la jeune femme disparaît de nouveau, et lorsque la fenêtre est refermée, Etienne, après s’être rapidement assuré que son matériel était en place et en état de marche, rentre chez lui, un peu honteux, mais aussi l’esprit troublé par le spectacle auquel il a assisté.

            Au bureau le lendemain matin, il est étonné de constater que sa jeune cliente est absente, car elle ne l’a pas prévenu d’un retard éventuel. A la pause de midi, alors qu’il est assis avec des collègues, il surprend une conversation des employés de l’étage en dessous ; il est question de l’une de leurs collègues qui a de nouveau surpris un intrus chez elle, et elle est en ce moment même au commissariat pour déposer plainte. Etienne est abasourdi. Et, avant qu’il n’ait pu aller demander des détails, ses collègues l’entraînent de nouveau au bureau, en se moquant de ses rêveries. En effet, le détective est perdu dans ses pensées, et un sentiment de culpabilité jaillit en lui ; pourquoi est-il parti la veille, pourquoi n’est-il pas resté à surveiller la maison de sa cliente ? L’intrus devait probablement se cacher quelque part, après avoir actionné l’alarme ; mais il ne s’est pas enfui, a eu tout le loisir d’observer Etienne manipuler ses gadgets électroniques, et a attendu qu’il s’en aille avant d’aller tenter d’agresser sa victime… Ou bien il avait réussi à s’introduire dans la maison avant l’installation des détecteurs ? Etienne va devoir avoir recours à d’autres procédés de surveillance.

            Comme il a ce mois-ci la possibilité de rattraper quelques heures supplémentaires, il utilise cette opportunité pour aller chez sa cliente, en espérant qu’elle soit là. Il compte cette fois installer non seulement d’autres détecteurs de mouvement, mais aussi des micro-caméras de surveillance dans la maison. Cependant, une fois de plus, le jeune assureur trouve porte close. Sans attendre, il prend l’initiative de s’introduire chez sa cliente ; il compte opérer rapidement, de façon à devancer l’intrus, qui ne manquera pas de revenir. Mais comme cette fois ce dernier est allé vraiment trop loin selon Etienne, il s’agit de le surprendre, et d’appeler la police à temps, afin de l’interpeler.

            Il installe donc quelques détecteurs, cette fois au niveau des ouvertures de la maison elle-même, tout au moins à celles qui semblent le plus propice à une intrusion indésirable, y compris devant la porte d’entrée, au cas où le malfaiteur utilise directement la force, ou une imposture, en se faisant passer pour un membre d’une association caritative, ou autre. En tout cas, personne ne franchira le seuil de la porte sans qu’Etienne ne soit au courant ! L’investigateur en herbe cache en outre quatre petite caméras, très discrètes, dans la cuisine, le séjour, le couloir en haut de l’escalier, et enfin, même s’il s’en sent gêné quoique mû par un instinct particulier, dans la chambre à coucher. Mais après tout, c’est une question de sécurité, même si les images troublantes de la nuit dernière lui reviennent en mémoire…

            Revenu à sa voiture, il allume sa tablette numérique, afin d’avoir accès aux caméras ; il possède un programme qui permet de visualiser ce que les quatre filment, simultanément, et même de tourner légèrement leur objectif, afin d’obtenir de meilleurs angles de vue ; ainsi cette fois, rien ne pourra lui échapper. Il retourne au bistro où il a pris l’habitude d’aller passer une partie de sa soirée à attendre ; assez confortable, des sandwichs comestibles, des prix raisonnables, c’est toujours mieux que de patienter dans sa voiture ! Et passer des heures à surveiller et protéger quelqu’un est toujours plus enviable que de rester tout seul chez soi, devant la télé ; Etienne n’a jamais eu beaucoup d’amis, et ses collègues de bureaux l’ennuient profondément, toujours à parler argent et finance…

            Alors qu’il entame un jambon-beurre-cornichons, sa tablette lui indique du mouvement chez sa cliente. Avant de se précipiter, le détective actionne les caméras afin de voir de qui il s’agit ; il ne souhaite en effet pas recommencer la même erreur et provoquer une nouvelle frayeur. Au bout de quelques secondes, il voit une ombre se profilant dans la salle de séjour ; son cœur bat plus vite : sa protégée, ou son agresseur ? Une longue et épaisse chevelure noire apparaît alors devant la caméra ; Etienne respire, il s’agit bien de la jeune femme menacée. Cependant, au lieu de couper les caméras, et de ne laisser en marche que les détecteurs de mouvement, il décide de les laisser en marche, au cas où…

            C’est toujours quelque chose d’étrange que de s’immiscer dans la vie privée des personnes ; ce n’est en effet pas la première fois qu’Etienne adopte ces procédés pour s’acquitter de ses missions de protection, sans être lui-même présent physiquement. Ils offrent des avantages certains, et apportent un certain confort à la victime et à son ange gardien. Ils lui permettent aussi de mieux connaître ses clients, leurs habitudes, tout ce que pourrait repérer, mais plus difficilement, un malfaiteur potentiel. Il peut encore ainsi vérifier si sa protégée prend toutes les précautions possibles, en fermant les volets, et en verrouillant toutes les portes, ce qui est ici le cas, après la frayeur de la veille. Etienne veut toutefois continuer de voir ce qui se passe dans la maison. Il semble que la jeune femme revienne d’une séance de fitness, elle est encore en tenue de sport. Les collants noirs moulent ses longues jambes fines, alors qu’en haut, une sorte de body lui aussi très près du corps met son dos à nus, dévoilant une peau légèrement cuivrée. Etienne se sent comme hypnotisé de nouveau, et ne peut se résoudre à éteindre ses caméras. La jeune femme, après une courte pause dans la cuisine pour prendre une boisson, se dirige vers l’escalier qu’elle monte d’un pas gracieux. Elle arrive enfin dans sa chambre, où elle enlève ses habits de sport. Le monde autour d’Etienne disparaît, son regard ne peut plus quitter l’écran. La jeune femme lui dévoile sans le savoir les attraits de son corps, avant de passer dans la salle de bain. Le charme trop rapidement rompu, le détective se rend alors compte que la serveuse se tient devant sa table, lui demandant s’il désire autre chose. Etienne balbutie que non, et demande l’addition, avant de quitter précipitamment le bistro pour rentrer chez lui.

            Quelle n’est pas sa surprise en découvrant un message de la police sur son répondeur, concernant son affaire avec la jeune femme ; voudrait-on enfin le prendre au sérieux chez ces fonctionnaires si arrogants ? Ils lui demandent de passer au commissariat le lendemain. Avant de se coucher, Etienne vérifie le statut des alarmes, et ne peut s’empêcher de repasser la vidéo montrant la nudité de sa cliente qu’il a machinalement enregistrée.

            Le lendemain, en retard pour se rendre au travail, Etienne ne passe pas par le commissariat ; il se dit qu’il ira plus tard. Mais une fois au bureau, tout le monde ne parle plus que de l’affaire de Sandra, la directrice adjointe des ressources humaines quelques étages en-dessous. La police s’est déplacée la veille pour interroger ses collègues, et on dit à Etienne qu’il faisait partie de ceux que les agents voulaient rencontrer. Mais comme il était parti plus tôt grâce à ses heures supplémentaires à récupérer, il était absent au moment de la visite policière. Selon la rumeur, ce n’est pas l’ex-petit ami, mais un collègue de travail qui serait à l’origine du harcèlement. Le détective en est abasourdi ; comment n’y a-t-il pas songé plus tôt ? Cela semblait une piste envisageable, surtout dans une si grande entreprise, où il serait aisé au malfaiteur de passer inaperçu, tout en ayant suffisamment de possibilités de connaître les habitudes de sa victime. La police devait donc pour une fois compter avec l’enquêteur, même s’il n’était qu’un amateur passionné. Cependant, Etienne ne pense pas se rendre au commissariat dès la sortie du bureau. En effet, après avoir été dédaigné au début de l’enquête, il se dit qu’il serait à présent confortable de se laisser quelque peu désirer. Ainsi, plutôt qu’une visite à l’hôtel de police, il préfère se rendre chez sa cliente, qui ne devrait pas rentrer trop tard.

            Il trouve pourtant à nouveau porte close, avant de se souvenir que le jeudi, Sandra retrouve souvent des amies pour un verre ou une visite d’exposition. Il décide donc de s’introduire une fois de plus de sa propre initiative chez la jeune femme, afin de procéder à des vérifications sur son matériel électronique. Mais tout à son travail, il est surpris d’entendre le bruit de la porte d’entrée qui s’ouvre, lui-même se trouvant à l’étage. En sursautant, il renverse quelques outils qui tombent bruyamment. Puis plus un bruit. Etienne a envie d’appeler, mais se ravise aussitôt, car il ne sait s’il ne s’agit pas du persécuteur, ayant eu connaissance de l’emploi du temps de sa victime. Après être resté quelques instants immobile dans la maison calme, il se décide à descendre les escaliers, quand il entend le bruit de la grille du portail, suivi d’une voiture démarrant précipitamment. Le jeune enquêteur ne peut voir de qui il s‘agit, et ayant terminé ses vérifications, il décide de rentrer chez lui, fatigué par les précédentes veilles. De toute manière, son matériel est fiable, et préviendra en cas d’intrusion.

            Lorsqu’il allume sa tablette numérique un peu plus tard, en se préparant à passer une soirée télé, il a la désagréable surprise de ne voir s’afficher aucun des écrans de ses caméras, et même ses détecteurs semblent hors service. Aurait-il mal fait ou même oublié une manipulation, après l’incident apparu chez sa cliente, ou bien y aurait-il un problème de matériel ? Cette dernière solution semble assez peu vraisemblable, car comment tous ses appareils auraient-ils pu avoir le même souci en même temps ? Ce ne peut être l’œuvre du malfaiteur, donc pas de souci particulier à se faire. En outre, étant trop fatigué ce soir, Etienne se dit que la réparation attendra bien le lendemain.

            Mais quelle surprise lorsque la sonnette de sa porte d’entrée retentit violemment, son réveil marquant seulement 6h du matin. Etienne dormait encore profondément. Qui peut bien lui vouloir quelque chose à cette heure si matinale ? Il aurait presque envie de ne pas se lever, mais le son strident insiste. Etouffant un juron, il se dirige lentement vers la porte d’entrée, et annonce son arrivée en criant presque. De l’autre côté de la porte, il entend une voix forte lui intimer l’ordre d’ouvrir immédiatement : « Police ! » Etienne est décontenancé par ce comportement des forces de l’ordre, et se demande ce qu’on peut bien lui vouloir. Il n’a pourtant commis aucun crime, n’a pas eu d’accident de voiture, n’a agressé personne… Ou alors il est arrivé quelque chose à sa cliente ; finalement, les caméras éteintes hier, c’était peut-être bien le malfaiteur, qui l’aurait épié, et serait assez expert en la matière pour pouvoir les désactiver, sans pour autant donner l’alarme ; oui, c’est tout à fait plausible, et Etienne accélère le pas vers la porte d’entrée, en proie à une angoisse grandissante.

            Mais lorsqu’il ouvre enfin, plusieurs agents en civil le poussent violemment en arrière, avant de l’immobiliser contre le mur. Etienne, ahuri, demande d’une voix timide ce qui se passe. « Connaissez-vous Sandra Lepique ? » demande un commissaire de la police judiciaire. Le jeune assureur a à peine acquiescé que les agents lui passent des menottes, et l’emmènent avant qu’il n’ait eu le temps de protester. On le menace même de le passer à tabac s’il ne se tient pas plus tranquille. Il monte donc sans résistance dans le fourgon attendant en bas, et essaye de comprendre ce qui se passe : il a dû arriver quelque chose à Sandra, elle a disparu, ou pire, et comme il était en charge de la protéger, les enquêteurs croient certainement qu’il pourrait avoir quelque chose à voir avec cet évènement. D’un côté, il a peur d’être le « candidat idéal » sur lequel la justice va s’acharner, mais d’un autre côté, il espère avoir rapidement l’occasion de s’expliquer, et dissiper le malentendu.

            Le jeune homme est aussitôt placé en garde à vue, mais ce n’est qu’au bout de deux ou trois heures d’attente et d’une étrangement longue visite médicale qu’on l’amène dans une salle d’interrogatoire, où deux agents de police l’attendent déjà. On lui demande alors la nature de sa relation avec Sandra Lepique. Etienne, déjà énervé du temps qu’on lui a fait perdre, commence à raconter son passe-temps de détective, et en particulier son enquête autour du persécuteur de Sandra, comment et pourquoi elle a commencé, les mesures qu’il a prises pour aider à coincer le malfaiteur. Alors qu’il parle de ses détecteurs de mouvement, l’un des agents sort de la pièce et rentre peu après avec une caisse en carton de la taille d’une boîte à chaussures. Il en sort des morceaux de composants électroniques et de boîtiers que le jeune homme reconnaît tout de suite. Les agents échangent un regard avec un léger sourire de connivence. Etienne pense alors que le malentendu est sur le point de se dissiper et qu’il va pouvoir retourner à son travail. Mais l’un des agents prend alors la parole : « Monsieur, il semblerait que vous avez de gros ennuis, cela fait un moment que nous étions sur vos traces, sans pour autant pouvoir prouver quoi que ce soit, mais maintenant, c’est fait. » Etienne n’en croit pas ses oreilles, va ouvrir la bouche pour parler, mais l’agent lui intime l’ordre de se taire, et poursuit : « la seule personne qui ait harcelée Mme Lepique, c’est vous ; elle ne vous a jamais demandé de la protéger ; ces gadgets, détecteurs de mouvements, mini-caméras, par ailleurs du bon matériel, vous rendent coupable d’effraction du domicile de la victime, de voyeurisme, mais aussi de tentative d’agression sur sa personne. D’après ce que vous nous avez dit, vous reconnaissez vous-même vous être introduit chez elle, sans qu’elle vous y ait invité, où elle vous a également surpris, sans vous reconnaître formellement. Mais ce n’est pas tout : après quelques vérifications rapides, nous nous sommes rendus compte de vos détournements de fonds au sein de votre compagnie d’assurances, qui n’avait pas porté plainte jusqu’à maintenant, par peur de mauvaise publicité. Après tout, il fallait bien financer tous vos joujoux ! Cependant, à votre décharge, et confortant votre témoignage, la visite médicale que vous avez passée ce matin met en évidence une maladie assez rare se traduisant par des troubles de la personnalité assez graves. Dans votre cas, ce sont des problèmes de perception de la réalité, allant même jusqu’à entraîner des délires schizophrènes, quitte à inventer de toute pièce les chaînons manquants pour relier des parties de vos délires à la réalité, comme cette fameuse demande de Mme Lepique de vous engager pour retrouver son persécuteur… Vous allez avoir besoin d’un bon avocat, mais vous devriez passer votre peine en hôpital psychiatrique fermé. Votre victime, quant à elle, est traumatisée, et n’est pas prête d’oublier ce que vous lui avez fait subir ; votre « protection » était en fait un harcèlement physique, psychique et moral des plus sévères. »

            A l’écoute des explications du policier, Etienne se décompose, et il ne sait que répondre ; il lui semble que justice a déjà été rendue avant même que le procès n’ait débuté, et que les forces de l’ordre aient décidées de faire de lui un coupable idéal. Il pense alors à la pauvre Sandra, dont le véritable persécuteur pourra continuer de sévir, impuni…

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