Maman est restée coquette

sophia

Maman est restée coquette. Coûte que coûte. Devant le grand miroir de la salle de bain, elle se regarde fixement, sévèrement, même.

Moi, je l’observe sans qu’elle ne s’en rende compte, depuis le couloir obscur de notre appartement.

Elle se regarde sévèrement puis jure. Elle ne sait pas que je l’espionne. « Putain de chimio ! » je l’ai entendue soupirer. Mon ventre se tord et me fait mal. Dans un geste agressif, elle applique son fard à joue, avant de laisser tomber le pinceau avec lassitude tout près de l’évier, dans un bruit sec.

Maman est un subtil mélange entre Lady Di et Meryl Streep. L’air doux et penché que Lady Di avait sur certaines photos de Paris-match, et les traits fins, si réguliers, du visage de Meryl Streep. Quand elle était toute jeune, un homme lui a même demandé un autographe à l’aéroport, n’en revenant pas de voir de ses propres yeux l’actrice de la maîtresse du Lieutenant français mais maman - sûrement flattée et rougissante - lui a assuré qu’il se trompait et a continué son chemin.

Malgré cela, ma mère ignore à quel point elle est belle. Je crois qu’elle ne s’est jamais trouvée belle d’ailleurs. Alors moi, je m’assure de faire en sorte qu’elle en prenne conscience au plus vite et je lui dis au moins une fois par jour que tu es belle maman, parce que je trouve terrible qu’elle ne le croie pas ou ne s’en rende pas compte. Je trouve terrible qu’elle soit si seule à cinquante-cinq ans, sans un homme à ses côtés pour le lui répéter cent fois et la rassurer quant au temps qui passe - alors que toutes ses amies ont un compagnon avec qui l’affronter à deux, le temps.

Maman est restée coquette. Coûte que coûte. Devant le grand miroir de la salle de bain, elle se regarde fixement, sévèrement, même.

Il n’y a pas si longtemps, j’adorais notre salle de bain. Ces flacons de toutes les couleurs, il y en avait des petits, des grands, des fragiles rapportés de Venise et des tous simples en plastic. Et puis les pots aux étiquettes affriolantes : la crème sublimatrice instantanée, l’huile révélatrice de beauté, le soin de nuit euphorisant et même le sérum planant à l’orchidée. La salle de bain, pour moi, c’était un peu la grotte d’Ali Baba.

Aujourd’hui, la grotte s’est transformée en cachot. Les pilules ont chasés les promesses d’une jeunesse éternelle. La perruque a fait la peau aux shampoings. La cortisone a massacré le sérum planant… La guerre civile a éclaté dans notre salle de bain.

J’admire l’ovale du visage de maman, si délicatement dessiné. Elle soupire puis applique son rouge à lèvre, les yeux un peu rouges.

Soudain, elle surprends mon reflet dans le miroir et se retourne dans un sursaut, changeant complètement d’expression.

Voilà qu’elle me demande, l’air joyeux : « Alors ma puce ! On se fait un ciné entre fille ce soir ? ».

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