Mamie Bleue

Möly

Défi écriture: un lieu + un personnage Cette fois-ci, petit challenge en plus, c'est un scénario.

Extérieur jour, une station essence :


Une voiture se gare, au volant une femme âgée. Elle jette un œil dans le rétroviseur, enlève la clé, détache sa ceinture, ouvre la portière et sort. Elle referme la portière. Elle se dirige vers la portière arrière, elle l'ouvre et en sort un petit sac à main en cuir marron décoré d'une grosse boucle en argent. Elle le met sur son épaule, ferme sa voiture à clé. Elle attend quelques secondes comme pour vérifier que tout va bien puis se dirige vers la boutique de la station essence.


Extérieur jour, sur une plage, dans les années 70 :


Un groupe de vingtenaires s'amuse sur la plage.


Voix off :


Été 1972. Je fêtais mes vingt ans. Je m'en souviens comme si c'était hier. Mes parents avaient une maison de vacances près de Lorient. La mer, le soleil, les amis. J'avais prévu de passer des vacances dignes de ce nom avant d'entamer un master en géopolitique, j'avais un an d'avance, des facilités que d'autres n'avaient peut-être pas. Mon avenir était tout tracé. Pour mes parents, du moins. Maryline était venue cet été-là, c'était ma meilleure amie. Une jeune femme magnifique. Je la jalousais. Mais je l'aimais...


Intérieur jour, dans la boutique d'une station essence :


La dame arpente les rayons et s'arrête au niveau des livrets de mots fléchés etc. Elle en prend un. Elle s'avance ensuite vers les caisses. Quelqu'un.e est en train de régler. La dame serre son sac à main contre elle, par réflexe. Elle repositionne ses lunettes correctement sur le bout de son nez.

Elle se trouve devant le caissier, un jeune homme aux cheveux plaqués en arrière, avec une chaîne autour du cou.


Le caissier, sur un ton blasé :


Bonjour.


La dame, d'un ton un peu mièvre :


Bonjour jeune homme. Pourrais-je avoir un thé, s'il vous plaît et, ho ! Un de ces... muffins. Merci.


Le caissier s'exécute mollement. La dame jette un œil dehors. Une voiture d'où sort une famille, se gare près de la sienne. Le caissier revient, elle ne l'entend pas.


Le caissier, élève la voix :


Madame !


La dame se retourne, son thé et son muffins se trouvent sur le comptoir devant elle.




Le caissier, sur un ton blasé :


Ça fera 6 euros 50, s'il vous plaît.


La dame, exagérant sa gêne :


Oh pardon ! Excusez-moi, où ai-je la tête ?


Elle lui tend un billet. Le caissier ne prête pas attention à sa remarque, il lui rend la monnaie.


La dame, enjouée :


Merci et bonne journée.


Le caissier s'est éloigné et s'affaire à ranger des paquets de cigarettes.


Le caissier, de dos, d'une voix étouffée :


Au revoir.


La dame sort de la boutique.


Intérieur jour, maison de vacances en bord de mer, années 70 :


Deux jeunes femmes discutent assises sur des transats. Des serviettes de bain sèchent sur la balustrade de la terrasse. D'autres jeunes font des allers et retours entre la maison et la plage.


Voix off :


Studieuse comme j'étais, j'avais apporté avec moi des livres et des cours à réviser, pour ne pas perdre mon objectif de vue. Je comptais faire un doctorat, je comptais être la meilleure dans mon domaine. Nous étions six, sept. Je ne me souviens plus bien... Ma mémoire me joue des tours. Et puis cet été-là, plusieurs personnes ont défilé pendant ces deux semaines. J'étais heureuse, ça je m'en souviens. Les journées étaient douces et légères, teintées de soleil, d'éclats de rire et de confidences par temps de pluie. Maryline m'avait avouée vouloir quitter la France, partir vivre aux États-Unis, avec un garçon qu'elle fréquentait depuis un an. Un étudiant. Elle était folle de lui. Savoir qu'elle et moi allions être séparées d'un océan et de plusieurs années, me fit mal au cœur. Mais je tentai de ne rien montrer.



Extérieur jour, parking station essence :


La dame se dirige vers sa voiture. Elle l'ouvre, elle dépose son sac sur la banquette arrière et prend place sur le siège conducteur, elle pose le thé et le muffin sur le siège passager. Elle enfonce la clé et démarre, se dirige vers les pompes à essence.


Intérieur nuit, dans le salon d'une maison de vacances, années 70 :


Maryline et David sont assis dans le canapé, dans les bras l'un.e de l'autre. Iels flirtent.




Voix off :


David nous avait rejoint, il voulait faire une surprise à Maryline. Je ne pouvais pas refuser. Ils passaient leur temps ensemble, et j'avoue que ça piquait un peu ma jalousie. J'avais envie de passer du temps avec Maryline. Comme deux sœurs siamoise, à rire, à se raconter nos rêves et nos craintes. Elle était tellement heureuse de le voir arriver. Il repartait deux semaines après pour les États-Unis. Pour être honnête, je l'aimais bien ce garçon. Je l'imagine, encore maintenant, après des années, le cœur lourd à l'autre bout de l'Atlantique.



Extérieur jour, pompes à essence :


La dame sort de sa voiture. Elle passe ses mains sur sa jupe comme pour repasser des plis imaginaires. Elle avance à petits pas vers la pompe, ouvre la portière du réservoir. Elle insère sa carte bancaire, tape le code. Elle se tourne pour attraper le tuyau de la pompe et l'insère dans le réservoir. Elle surveille attentivement le montant qui défile. Une fois terminé, elle replace le tuyau, referme le réservoir.


Extérieur jour, entrée d'une maison de vacances, années 70 :


Laurent sort de sa voiture. Le cousin de celui-ci s'approche de lui pour le saluer. Le reste du groupe attend dehors, près de la porte d'entrée. Les filles sourient et échangent des regards entendus.


Voix off :


Le cousin d'un ami est arrivé au bout d'une semaine. Je n'étais pas enchantée de prime abord, par sa venue. Nous étions tous et toutes dans notre bulle, heureux, sans se soucier du lendemain. Grand, musclé, le teint hâlé, une chevelure caramel ondulant sur ses tempes. Laurent était à tomber, sans aucun doute. Maryline douta presque de son amour pour David à la vue de ce bellâtre. Mais à la surprise de tout le monde, et de moi-même, Laurent n'eut d'yeux que pour moi. Je ne cherchais pas à séduire, trop préoccupée par mes études. Je songeais à peine à vivre des amourettes. Mais Laurent. Comment résister ? Mon esprit pragmatique et borné me fit lutter à peine deux jours...


Extérieur jour, parking station essence :


La famille monte dans la voiture, puis quitte la station essence. Le parking est maintenant vide.


Extérieur jour, pompes à essence :


La dame entend un bruit, comme quelque chose qui gratte, elle sursaute. Elle observe la boutique, le caissier a la tête penchée sur son téléphone. Elle regarde vers la route, les voitures défilent sur la voie express. Elle se retourne vers le parking derrière elle, et n'y voit personne. Elle remonte dans la voiture, s'installe au volant et démarre. Elle entend à nouveau un bruit.


Extérieur nuit, la plage, années 70 :


Laurent et l'héroïne font l'amour. Maryline les surprend, elle part en courant en direction d'un sentier.




Voix off :


Ce fut un coup de cœur, un coup de foudre, un amour brûlant. Je passais le plus clair de mon temps avec Laurent, me pavanant sur la plage à son bras, épiant les regards envieux des jeunes femmes aux alentours. Maryline devenait piquante, susceptible. Je crois qu'elle n'apprécia pas que je tombe éperdument amoureuse. Je ne sus jamais pourquoi. Elle m'évitait. Elle nous surprit, un soir, avec Laurent, en train de faire l'amour sur la plage. Elle rebroussa chemin, en courant. Le lendemain, je m'en souviens encore avec tellement de détails...Le lendemain, elle n'était plus là. Elle n'était pas rentrée se coucher, elle avait laissé ses affaires dans la maison. On passa la journée à ratisser le voisinage, la plage, les sentiers côtiers. Aucune trace d'elle. Terriblement angoissée, David et moi étions allés au commissariat. Les voisins avaient été alerté. Et puis, elle fut retrouvée. Morte. Sur une plage à quelques kilomètres de notre maison de vacances. Noyée. Je ne m'en remis jamais.


Extérieur jour, parking station essence :


La dame se gare juste en face des pompes à essence, près de la sortie. Elle coupe le contact, enlève sa ceinture. Elle attrape le thé et le muffin posés sur le siège passager, elle croque dans le muffin, boit une gorgée de thé. Elle termine l'un et l'autre. Le bruit se fait de nouveau entendre.Elle sort de la voiture. Elle se dirige vers le coffre, tout en jetant des coups d'œil autour d'elle, à la station déserte. Elle repasse sa jupe de ses mains. Replace ses lunettes sur son nez. Elle ouvre le coffre et fixe l'intérieur.



Intérieur jour, dans une salle de bain, années 70 :


L'héroïne se change dans sa chambre, on distingue qu'elle a grossi un peu. Elle enfile un pyjama et une robe de chambre et s'assoit devant son bureau. Sur celui-ci, on peut voir des livres, des feuilles, des notes etc. ainsi que des boîtes de médicaments.



Voix off :


Un mois après la disparition de Maryline, Laurent me quitta. Je venais tout juste de commencer ma première année de master. Le monde s'écroula sous mes pieds. Reprendre les études et mettre de côté la mort de ma meilleure amie avait été une épreuve presque insurmontable. Laurent, cet homme dont j'étais folle, à qui je m'étais raccrochée pour surmonter l'immense peine qui me submergeait. Cet homme qui m'avait lâchement quitté pour se mettre en couple avec une autre. Au même moment, je commençais à avoir des douleurs abdominales terribles. Mais je me contentai de prendre des anti douleurs et de me noyer, à mon tour, dans mes études. Les douleurs se faisaient de plus en plus intenses, je grossis, j'avais des problèmes de constipation depuis toujours, je mis ça sur le compte de ce problème. Honteuse de ce corps déformé, je me cachais sous des couches de vêtements, je restai la plupart du temps dans ma chambre à réviser, ou avec mes parents à la maison. Mon ventre qui était resté facile à cacher, devint de plus en plus rond. Un jour, ma mère qui m'aperçut dans la salle de bain, en train de me changer se mit à hurler. Elle manqua de perdre connaissance à la vue de mon ventre. J'étais enceinte. Mon esprit avait occulté ça. Un déni de grossesse, le médecin me dit. J'allais accoucher le mois suivant, tout en ayant validé tant bien que mal mon master. Avec brio. C'est après que je relâchai tout. J'étais épuisée, affaiblie. Je vécus un enfer. Je refusai de garder l'enfant, j'accouchai sous X et n'en parlai jamais à Laurent. Je le fis pour mes parents. Eux qui attendaient de moi que je sois la fierté de la famille, que je poursuive une carrière brillante. Eux qui me voyaient n'importe comment sauf femme au foyer, sauf mère célibataire. Eux qui avaient travaillé dur pour financer mes longues études. Mais ils ne digérèrent jamais mon déni de grossesse et gardèrent une rancune vive envers moi, malgré ma réussite professionnelle. De mon côté, je traversai des années de dépression que je niais en m'enfermant dans mon travail. Je vécus seule, isolée, pendant des années.




Extérieur jour, coffre de voiture :


Un homme d'une cinquantaine d'années est ligoté, bâillonné et à demi conscient. Il a des bleus au visage, une éraflure sur la joue droite. Il entrouvre les yeux et se met à gigoter. La dame pose ses mains fermement sur celui-ci, comme pour le sommer de ne plus bouger. Elle vérifie que personne ne la voit et ouvre son petit sac à main. Elle en sort une seringue, discrètement. Elle enfonce la seringue dans le bras de l'homme qui tente de se débattre. En quelques secondes, les yeux de l'homme se referment, il est inerte. La dame le regarde quelques secondes, range la seringue dans son sac puis referme le coffre.

Elle trottine vers la porte avant, s'installe au volant, insère la clé dans le contact. Elle choisit une cassette qu'elle place dans l'autoradio, une musique se lance, elle augmente le volume. Elle démarre et quitte la station essence.


Extérieur jour, un jardin:


L'héroïne jardine. Son mari tond la pelouse. On distingue une jolie maison bien entretenue.


Voix off :


J'ai cherché toute ma vie la quiétude, la paix intérieure, une vie sereine. Je me suis mariée à 51 ans, avec un homme simple, doux et aimant. Je n'avais pas besoin de plus, et au moins besoin de ça. Je pensais pouvoir finir ma vie sur un chemin tranquille, enfin. Mes parents étaient décédés, et aussi horrible soit-il, j'avais été soulagée quand je les perdis tous les deux à un an d'écart. J'avais quarante ans. Ce soulagement, ce poids dont mon esprit se délesta soudain, me permit de commencer réellement ma vie.

Je jardinai, je profitai de promenades en forêt, nous passions des week-ends en bord de mer dans la maison dont j'avais hérité. Ma carrière professionnelle avait été brillante, j'avais écrit des articles, des livres, donné des interviews et encore, maintenant, on pouvait me solliciter et cela me plaisait.

Et puis, le destin décida de venir emmerder une vieille femme de 70 ans, enfin en paix avec elle-même.



Intérieur jour, dans d'une voiture, sur la route :


La dame, à voix haute, jetant des regards à l'arrière de la voiture, s'adressant à l'homme dans le coffre:


C'est marrant comme la vie te revient parfois en pleine gueule. Comme elle peut être sournoise, perfide. Comme on ne peut jamais, jamais être tranquille, pour toujours. Comme un jour, quelqu'un arrive sur le pas de ta porte, sonne et en une phrase te détruit à nouveau. En une phrase, te met KO. En une phrase, te fait vriller. C'était soit ça, soit je me tuais. Est-ce qu'un jour, UN JOUR, je vais pouvoir vivre sans remuer le passé, sans y penser, sans même avoir envie de me remémorer les bons souvenirs. Juste pouvoir être une femme à la retraite heureuse, comblée dont on attend rien et qui n'attend plus rien sinon respirer l'odeur d'une fleur ou sentir la mer sur le bout de ses pieds ?



Elle marque une pause, tousse. Elle fredonne les paroles d'une chanson qui passe à la radio.


La dame, à voix haute, énervée, toujours à l'adresse de l'homme dans le coffre :


Tu n'aurais pas dû revenir dans ma vie ! Tu n'aurais pas dû me chercher ! Tu aurais dû continuer ta vie de ton côté, c'était mieux pour tout le monde ! J'avais réussi à oublier... Tu dois disparaître, tout ça doit disparaître !


Extérieur jour, sur la route :


La voiture continue de rouler jusqu'à ce qu'on ne la distingue plus.







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