Mamie m'a dit....
Jean Claude Blanc
Mamie m'a dit…
« Tu sais pauvre chochotte, nous autres de notre temps
De vos amusements, on n'en avait pas tant
Pas de télévision, encore moins d'internet
Occupant nos veillées, repriser des chaussettes
Pour se passer les nerfs, rien de mieux que la pioche
Arracher le chiendent, planter les pommes de terre
En guise de récompense, un billet de cinoche
Et des cadeaux utiles pour notre anniversaire
Samedi au bal musette, pomponnées et timides
Les jupes jusqu'aux genoux, pas filles intrépides
Bavardant, reluquant, un simple brave garçon
Pour danser la bourrée, sur l'air d'accordéon
La plupart paysannes, devaient quitter la classe
A peine 14 ans, déjà la fin d'études
Remonter en estive, aller garder les vaches
Sur les sommets ventés, de la bise des altitudes
On ne nous déposait pas à la porte de l'école
Quelques kilomètres à pieds, bricole pour nos guiboles
Même qu'on n'attrapait pas, comme vous la moindre pécole (maladie)
Couvertes de révulsif, de ventouses qui collent
On vivait tous ensemble, dans la ferme du Pépé
Mais lui, plus vieux gradé, c'est lui qui commandait
Ma Mère (la belle-fille), n'étant pas de la lignée
Devait fermer sa boite, se servir en dernier
Mon Père (donc ton grand-père), en chef de famille
Présidait le souper, fallait pas qu'on resquille
Ne pas bouder la couenne, de la peau du cochon
Combien même qu'un moustique, vienne tomber dans le bouillon
Sous la tourte de pain, il croisait son couteau
Pour conjurer le sort, invoquer le Très Haut
Un rite pour préserver ses gosses de la disette
Pensant aux miséreux, jamais jeter les miettes
A moi, c'était mon rôle, de mettre le couvert
Bonne fille, la servante, pour les miens, solidaire
Les hommes riaient entre eux, de leurs parties de chasse
Et nous femmes dévouées, au fourneau notre place
Je devais m'occuper de l'aïeule estropiée
Ton arrière-grand-mère, qui souvent « penêchait » (somnolait)
Devant la cheminée, toujours la goutte au nez
Revenue en enfance, évoquant son passé
Vous qui avez si peur, du verglas, des congères
Tournant que le bouton de votre radiateur
Nous, on prenait la pelle, par ces glacials hivers
Déblayant les chemins, on ne comptait pas nos heures
Restions pas au plumard, comme vous gros flemmards
Allumer la cheminée, moi, j'en ai fait ma part
Sans déjeuner de croissants, encore moins cacao
Qu'une potée de choux-raves, de bidoche en morceaux
Régal, selon mon Père, lui-même sacré costaud
Pour reprendre le manche, s'en bâfrait jamais trop
Un petit coup de rouge, par-dessus la cravate
Ainsi ragaillardi, il se sentait d'attaque
Quand je vous vois trier, le gras dans votre assiette
Les haricots à fils, vous autres enfants gâtés
Me pense, s'ils revenaient, par hasard les ancêtres
Vous botteraient les fesses, ce serait mérité…
Depuis ces temps anciens, ce qu'on en fait du bruit
Nous est même interdit, de suriner les truies
Pourtant faut bien se nourrir, à voir ton appétit
Tu parles d'une histoire, de ces bêtes qu'on sacrifie…
Tu crois qu'on ne ferait pas mieux, de s'occuper du monde
Des curés pédérastes, des migrants qui abondent
J'sais pas ce qu'on verra, mais ne serai plus là
Préfère pas le savoir, je l'ai portée ma croix…
Si c'est ça le progrès, veut bien être damnée
Micro-ondes, tablettes, drôles de nouveautés
Sais pas comment ça marche, serais bien avancée
J'ai mon vieux poêle à bois, pour cuire mon diner
Vous êtes nés avec ça, pour vous c'est naturel
Réflexe automatique, pour laver la vaisselle
Carte bleue ou verte, facile de pianoter
Pour moi qui perd la tête, suis sûre de me tromper…
Parait y'a de ces robots, qui font tout ce qu'on leur dit
Pas besoin de se lever, t'apportent le café au lit
Par ces savantes machines, pourriez être dépassés
Se pourrait qu'à l'avenir, commandent votre destinée »
Ma Mère veuve trop jeune, pour sa modique retraite
Ecarte son rideau, et scrute à sa fenêtre
Que la route déserte, les genêts, les sapins
Parfois un écureuil, s'invite en clandestin
Moi à la soixantaine, cervelle d'étourneau
Pour la faire enrager, lui conte des balivernes
Alors se met en boule, monte sur ses grands chevaux
Veut surtout rien n'entendre, de cette vie moderne
« Dis-toi qu'avec ton Père, on était pas Crésus
On se déplaçait à pattes, y'avait guère d'autobus
Plus tard qu'on a pu se payer une auto
Une guimbarde d'occase, coccinelle Renault
Vous envoyer au Bac, que d'efforts consentis
On vous a bien élevés, pas comme ces saloperies
Qui courent par les rues, à la recherche d'un nid
Un vieux à estourbir, pour ses économies
En plus de ça crasseux, rastaquouères malpolis
Tu sais notre maison, s'est pas bâtie toute seule
A fallu du courage, se serrer la ceinture
Amasser sou à sou, pas question faire la gueule
Pas de vacances au soleil sur la Côte d'Azur
Déjà bien beau pour nous, on avait le terrain
On savait bricoler, se servir de nos mains
Vous n'étiez pas très grands et trouviez ça marrant
Manier la truelle, les sacs de ciment
Papa après le boulot, n'allait pas au bistrot
Changement de costume, à l'ouvrage aussitôt
Plus qu'à la nuit tombée, empilait des moellons
A la lampe de poche, maçonnait sa maison
Quand je vois aujourd'hui, ces jeunes désoeuvrés
Acheter clé en main, meubles et propriétés
En se roulant les pouces, servis sur un plateau
Je me dis qu'autrefois, on était des nigauds
Si j'ai des rhumatismes, c'est que j'en ai bavé
Pas derrière un bureau, assise sur un fauteuil
Fallait prendre la charrue, labourer et semer
De ces années de galère, j'en ai pas fait mon deuil
C'est la mode désormais, acheter sans un denier
Emprunter bien joli, mais gare aux intérêts
A peine mon chéquier, proche du découvert
N'en dors plus mes nuits, tellement ça m'exaspère
Sûrement arriérée, comme vous n'ai pas la chance
De pas me faire de bile, et aucune conscience
Que le fric c'est du vent, qui se déplace ça et là
T'en as ou t'en a pas, le même résultat
Alors profitez, tentez la providence
La ferme du Pépé, ton oncle la reprise
Sûrement sera vendu, c'est pas une surprise
Tu les vois ses gamins, déjà à 50 ans
Partis gagner leur vie, revenir paysans….
Non, non la messe est dite, les prés sont en jachère
Quant à moi j'ai mes bois, qui valent plus très cher
Car pour s'en occuper, y'avait bien que ton Père
Je pense que là où il est, doit être en colère
Aussi, t'as ta bicoque, mais croulants tes voisins
S'y pointent pas souvent tes 2 chers gamins
Tout seul, t'y vois pas, qu'à la belle saison
Jadis animé, le village se morfond
Paye-toi un appart, en ville c'est plus pratique
T'y as tous tes copains, tranquille comme Baptiste
Aller faire tes courses, bouffer à la cantine
Moi, je t'envie vraiment, la campagne ça me mine
C'est beau quand c'est l'été, les montagnes, les forêts
Mais l'automne venu, c'est beaucoup moins gourmand
Les amateurs de bronzage, fuient comme des dératés
Résidences secondaires, ouvertes une fois l'an
Veux pas te dégoûter, par contre t'avertir
Tout en prenant de l'âge, que vas-tu devenir
Tes gosses loin de toi, te ronger les méninges
Bouffer seul sur le pouce, et écarter ton linge…
Enfin, moi ce que je dis, ce n'est que pour ton bien
Fini taper la belote, sont morts les anciens
Tu ferais mieux JC, faire les magasins
Rencontrer une bourgeoise, qui de caresses à faim
Et repasser tes nippes, qui ne valent plus rien »
Que rajouter à ça, de ce que Mamie m'a dit
Pas poursuivre son histoire, j'ai mes propres manies
19 ans nous séparent, déjà toute une vie
L'écoute qu'à moitié mais triste j'en souris
En cette soirée d'avril, ce n'est pas un poisson
Ma Mère à sa façon, m'a fait amère leçon
Un message à transmettre comme une confession
A l'usage de mes mômes, raisonnables et pas cons
Etant entre 2 âges, le passé, le futur
Balance en conscience, gravité, aventure
Puiser dans nos racines, quelle noble philosophie
Mais faut se confronter à vie d'ignominie
Alors d'espérer, je vais faire comme si
Sans oublier jamais les avis de Mamie JC Blanc octobre 2022 (leçon de sagesse)