Manifesto des Mots

naliyan

Hymne aux écrivains et aux lecteurs
Un écrivain est un génie assis sur un nuage au-dessus d’une bulle posée sur Terre, regardant à la loupe le microcosme qu’il a créé et où des personnages fictifs s’agitent comme des fourmis, leurs destins s’entrechoquant sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Pour écrire son livre, il esquisse une trame : une ossature sur laquelle s’enroulent des introductions musclées, des chapitres charnus et des épilogues tendus, et surplombée d’un titre entêtant. Son style englobe tout, recouvrant son texte d’un derme inimitable et inaltérable semblable à une empreinte digitale. Une peau perméable et malléable, dégageant parfum et saveur. Il sculpte les contours du récit : il moule ses textes pour qu’ils s’emboîtent, il polit ses phrases pour qu’elles glissent et il patine ses mots pour qu’ils brillent. Assemblant un patchwork de caractères et d’événements, déstructurant la chronologie, ressuscitant des souvenirs et extrapolant sur l’avenir. Les saisons s’effilochent, apportant espoirs et désespoirs, parant d’un arc-en-ciel des vies en pointillées, de rêves en réalités. Un auteur fait danser ses personnages au rythme d’une symphonie constituée d’une litanie de prénoms aux syllabes musicales. Des existences vibrantes de cris, de pleurs et de rires. Il interprète leurs sentiments tel un musicien sur une partition : piano, fortissimo ou adagio. Peignant au cordeau les formes géométriques de leurs terreurs, étalant à la spatule les couleurs vives de leurs joies et posant au pinceau de petites touches d’ombres et de lumières pour équilibrer une composition faite de monstrueux et de féerique. Un univers magique où se croisent rois et reines, princesses et souillons, bouffons et mages, hors-la-loi et justiciers, cowboys et soldats… Un narrateur bombarde de fléaux ses héros depuis les quatre points cardinaux. Sur leurs chevaux fougueux, ces cavaliers de l’apocalypse répandent mort, guerre, famine et maladie. Il s’érige en juge et avocat de ses protagonistes : se moque de leurs peurs, défend leurs ambitions et les punit de leurs péchés. Filmant leurs lieux de vie et zoomant sur leurs incertitudes, leurs ingratitudes et leurs lassitudes. Il raconte des histoires courtes comme un battement de cœur ou longues comme un enfantement. Il célèbre les trois âges de la vie, chantant des comptines d’enfants, brayant des chansons à boire et fredonnant des airs de vieil opéra. Maître de la suggestion, dompteur de métaphores ou jongleur d’oxymores. Un saltimbanque présentant un numéro d’acrobatie entre versification classique et philosophie contemporaine. Un écrivain bouscule son lecteur vers une identification, une comparaison, une immersion, une réflexion, une introspection… Un cheminement depuis la superficialité des vanités vers la profondeur des vérités. Il le frappe aux creux de l’estomac et l’embrasse sur la bouche, le roule dans la poussière et le propulse au septième ciel. Percutant et distrayant, suggestif et incisif, efficace et loquace, polémique et poétique, mélangeant grossièretés et expressions ampoulées. Comment exprimer tout cela et si peu à la fois ? Un chemin de croix, une profession de foi, un don de soi. Un lecteur est un spectateur installé au premier rang d’une bouffonnerie ou d’une tragédie, regardant les actes défiler au grès des pages et où des personnages théâtraux s’agitent comme des abeilles, leurs dialogues se percutant de scènes en chapitres. Pour pénétrer au cœur du livre, il change de monde : il suit le rêve éveillé d’un conteur et partage un moment d’intimité avec lui. Il plonge dans son univers décalé, nage dans son espace de créativité et se baigne dans sa nébuleuse foisonnante d’idées. Il s’évade vers des rivages plantés de fantaisie, s’arrête sur des îlots peuplés de chimères, aborde des continents à l’imagination fertile et grimpe en haut de sommets d’inventivité. Naviguant dans une mer de sarcasmes, s’enlisant dans des dunes de cynisme ou se perdant dans une forêt d’hilarité. Un roman est un périple fait de divagations et d’inspirations, de conjectures et d’imprévus, que ce soit une excursion dans une saga légendaire ou une incursion dans un songe intérieur. Une balade sur une route bordée d’étrangeté et pavée de familiarité, alternant croisements dangereux et aires de repos langoureux. Et au bout de la fiction : l’illumination, la découverte des autres et de soi. Un liseur avale des anecdotes pimentées et ingurgite des fables sirupeuses, picore des récits acidulés et déguste des chroniques amères. Il s’alimente de l’originalité du texte : il déguste le vocabulaire, se délecte des pléonasmes et s’enivre des allitérations. L’art nourrit son âme. Il contemple des destinées chamboulées par l’Histoire ou admire des surhommes sublimés par le hasard. L’ouvrage le surprend, le bouleverse et l’enrage. Il est transit de peur et d’amour. Il souffre d’un trouble de la curiosité, d’une infection aiguë de divertissement et d’une fièvre d’érudition. À moins que la lecture ne soit le remède à son quotidien morne, une existence entachée d’ennui et de stress, ou l’antidote à son aliénation mélancolique, une souffrance empreinte de drame et de tristesse. Comment ressentir tout cela et si peu à la fois ? L’errance d’une voix, le loisir d’un émoi, la quête de soi.
  • très joli hymne ,j'adore votre début "Un écrivain est un génie assis sur un nuage au-dessus d’une bulle posée sur Terre," cela me parle au plus profond de moi lorsque je couche les mots ...bulle de mots pour bulle de maux...bref j'aime beaucoup le choix de vos mots pour cette belle définition ..merci

    · Il y a presque 9 ans ·
    123321

    Plumette Du Coeur

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