Mantra

sophi-tseu

Comme c'est étrange. Voilà vingt et quatre ans déjà que je prépare ma beauté : cheveux lissés, dos frémissant, croupe arrondie sur le divan que l'air fais glace. Pour qui cet apparat et le déploiement de mes grâces ? J'attends, je suis vaillante, mais pas plus qu'un ange qui passe. Un nuage entre par la fenêtre et pleut sur ma nudité. Mes doigts se fripent. Mon ventre glapissant d'impatience attrape de malhonnêtes rêveries. Mon charmant ne menestrellera pas du bas de ma tour plus haute que les Mandaras du Nigeria. 

J'ai beau réciter ce mantra : "Viens, je suis à toi !", il me répond de son fantôme : "garde le froid". Comme j'aimerais lui obéir. Mais à la place, c'est une foi fiévreuse, étrangère maladie qui transforme mon désir en délire gris. Mon empire, à son apogée, ne loge plus qu'une résignée, qu'un soupir dont les sanglots abrogent le souffle même. Je sais bien que c'est idiot, mais je chevrote tout de même : "viens, je suis à toi". Moins efficace qu'une sirène. 

Qu'importe si mon père te dégraine. Si ma porte lourde se dégondait, j'irai moi-même te trouver. Je cueillerai les saules, les églantiers, les mélèzes et les cyprès, pour t'en faire des bouquets. Mais puisque je suis Cunégonde, je donne mes ans à Chasteté. J'attends. Qui du voile sur ma tête ou du visage sur ma tête est le plus blanc ? Pourquoi répondre ? je suis secrète. Viens, je suis à toi!

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