Manu, où es-tu?

elka

Récits d'un vécus douloureux.

Ta rencontre:

A l'époque j'étais au lycée et la plupart de mon temps, je me posais régulièrement la question, "mais que fais-tu en cours ma pauvre?", j'avais prit option tourisme, donc je ne venais que lorsque j'avais envie de secouer la classe et d'agacer les profs et éventuellement lorsque le temps était pluvieux et froid, les radiateurs des classes sont toujours poussés au maximum, c'est plus facile pour une petite sieste.

Mes jours de jeune adulte de 18 ans passaient et se ressemblaient, je sortais récemment d'une rupture qui m'avait sacrément usée le coeur, je décidais de mettre un embargo momentané sur mes sentiments et émotions..." Le prochain ne m'aurai pas autant!"

Avec ma meilleure amie de l'époque, Karine, nous allions tous les vendredi soirs dans les boites de nuit environnantes, non  pas que nos étions fans de l'ambiance mais c'était les seuls endroits susceptibles de nous apporter un peu de folie, oui quand on vit à la campagne, les seuls moments de vertiges que l'on puisse rencontrer se classe dans la rubrique des chats écrasés.

Ce soir là, nous avions choisis une boite qui se composait en trois partis ... premier bâtiment de gauche, salle de billard et de babyfoot. Bâtiment du milieu, le restaurant, et bâtiment de droite, la piste de danse, ou se trémoussait les trois nanas les plus sexy de la région devant les quarante paires d'yeux de sexe fort, tendus.

Nous rentrions dans la salle de droite en espérant trouver rapidement deux pigeons prêt à nous ramener en voiture en fin de soirée, ce qui nous épargnerait la corvée de l'auto-stop perdue d'avance du dimanche matin.

Alors que mon amie se chargeait de nous trouver "le taxi" tant espéré, j'étais dans les toilettes, même pas intime puisque la mixité du lieu nous obligeait à contempler les hommes se vidanger pendant que nous les femmes ont se lavaient les mains ... Bref, j'étais seule, tranquille pas d'urineurs dans les environs, je me repassais un petit coup de gloss sur mes lèvres, que j'avais exceptionnellement, maquillées.

Il fit son entrée à gros de bottes dans la porte, ce qui me fit sursauté, il pensait surement qu'il était seul dans cette urinoir de fortune, au vue de la surprise de son regard sur le mien. Il s'excusa pour cette entrée fracassante, et m'expliqua en deux mots qu'il avait souillé son pantalon et ses mains, avec une assiette mal tenue ou mal donnée, le résultat étant le même, sauce épaisse sur la jambe gauche de son jean's noir.

Il était grand, très grand, pas loin de frôler les deux mètres, je me sentais encore plus petite que d'ordinaire en sa présence. Il était brun, avec deux grands verts émeraudes, et un teint mat à faire pâlir toutes les midinettes sur la plage en été. Il s'entait bon le parfum de grande qualité, "je sus par la suite qu'il mettait du Kouros". Il avait un sourire si doux qu'il me fit l'effet d'une caresse sur la joue. Mon dieu qu'il était beau, un charisme à damner toutes les saintes de la terre.

Je décidais de faire ma grande indifférente, car autant être réaliste, un mec comme cela, ne s'attarderait jamais sur une gamine de 18 ans comme moi. Je sortie en lui envoyant un dernier regard ponctué de mon plus beau sourire, et autant vous dire, il est rare.

Je rejoins Karine, qui pour l'occasion du transport, nous a dégoter les deux plus beaux pigeons de la soirée, sorte de vieux garçons, laids et sans intérêt si ce n'est une voiture et de l'essence. J'avoue, pas très sympa mais après tout c'est de bonne guerre.

Et là je vois mon inconnu au Kouros sortir des toilettes, se diriger vers le bar, je le suit du regard avec tant d'insistance que je pourrai redessiner la grâce de ses gestes plombée par le poids de ses bottes de motard.

Il s'arrête net dans son élan, je m'interroge, et je le vois se détourner vers moi, gravir les trois marches qui nous séparent ... " t'as l'air de t'emmerder? viens avec moi et mon pote si tu veux, on va manger ce que je n'ai pas eu le temps tout à l'heure." Je ne sais pas pourquoi, je suis comme hypnotiser, je me relève, prends mes affaires, fait un petit geste à Karine avant de la laisser sur son radeau de la méduse en compagnie des frères dupont, et suis mon inconnu dont j'ignore tout de lui, y compris son prénom.

Le retour:

Ce soir là, il me propose bien évidemment de me raccompagner et franchement je vois pas pourquoi je refuserai. Il s'appelle Manu, il a 30 ans, vient de se séparer depuis peu avec la mère de son fils de trois ans, il gère un magasin de cadeaux-gadgets, qu'il vient d'ouvrir il y a à peine un mois, et il me dit être sous mon charme.

Je n'en reviens pas, moi la petite nana sans intérêt, qui vit encore chez son père, à tenter de suivre tant bien que mal des études échouées d'avance, moi la petite nana de 18 ans qui n'a rien à lui offrir ou lui apporter si ce n'est ma jeunesse et ma candeur,  je le fait craquer ... Je me sens unique, je me sens comme l'élue d'un bonheur inaccessible.

Il me ramène jusque devant chez mon père, peur de rien, il est d'une assurance incroyable, il me dit qu'il veut me revoir demain et que si je suis d'accord, il viendra me chercher en moto et que l'on ira se promener, ceux sont les derniers jours de beau temps, l'été indien se prolonge autant en profiter, j'accepte une fois de plus sans hésiter, et alors que je m'apprête à sortir de la voiture en prenant soin de le remercier, il m'attrape part la taille et plaque ses lèvres sur les miennes, Oh sensation sublime du gout de ses lèvres, subtile mélange de la chlorophylle du chewing-gum et des essences de son parfum d'homme, car c'est un homme, un vrai.

Notre amour:

Le lendemain comme promis il revient me voir, chevauchant une magnifique Goldwing noire, hurlant une musique de techno de ces enceintes. Il m'a ramener un casque, et m'invite à l'aventure. Cette journée restera à jamais gravée dans ma mémoire, le soleil doux de fin d'automne, les couleurs chaudes des feuilles mourantes des arbres, le dégradé de nuance de rose et de gris dans le lointain du ciel, et la musique de Gainsbourg remplaçant les acoustiques de la techno, bienvenue au paradis. Le confort de la moto est tel que je peux m'adosser dans les moments de vitesse réduite et je prends plaisir à passer mes bras autour de sa taille quand il accélère pour me prouver la force de sa mécanique. Cette journée, je la sent encore sur mon visage, dans mon cou, dans l'intérieur de mes entrailles, jamais elle ne me quittera, car cette journée m'a démontré ce qu'était que le bonheur et le plaisir de la liberté.

Notre histoire d'amour entamait doucement son deuxième mois, l'hiver avait remplacé les dernières chaleurs de l'automne, la voiture avait remplacé la Goldwing, mais nos moments d'évasion étaient toujours plus présents, plus forts, plus intenses.

Nous partions ainsi, tous les samedi, après la fermeture de son magasin, sac léger dans le coffre, cigarettes à volonté, retrait d'espèce effectué et réservation de chambre d'hôtel programmé pour notre courte escapade amoureuse en bord de mer, sur les plages d'étretat.

Notre relation était purement basée sur un amour réciproque et passioné, je lui offrait ma jeunesse, ma fougue, ma folie, mon énergie, il m'apportait son calme, sa sérénité, sa sécurité et surtout sa grande connaissance du sexe que je n'avais pas encore eu le temps de pleinement découvrir au vue de mon jeune âge. Il se montra patient, tendre, doux et coquin juste ce qu'il faut, ainsi il m'emmenait sur les chemins de l'érotisme, m'enseignant ainsi le plaisir, l'orgasme et le lâcher-prise que les désirs des corps peuvent apporter. Il était mon mentor, j'étais son élève très disciplinée.

Nous passions des moments forts sans limites, et chaque séparation était vécu comme une douleur, un déchirement de l'âme, je me devais de vivre chez mon père puisqu'il me payait mes études, Manu vivait en colocation avec un ami de longue date, et chaque dimanche soir nous nous séparions en larmes sur un fond musical "d'élodie Nelson".

Pour Manu, cela devenait insupportable et pour moi invivable. Mon père ne comprenait pas que je puisse avoir perdu la totalité de ma petite motivation d'enseignement de lycéenne, je ne souhaitais plus qu'une seule chose me retrouver auprès de l'homme que j'aimais, il était ma raison de vivre, il était mon projet de vie, il était ma drogue et je devenais une toxico accros à lui, un peu plus chaque jours.

Alors un soir, nous étions à l'arrière de sa boutique, Manu me fit la plus belle des propositions, la plus merveilleuses des demandes, celle que j'attendais et espérais tant que je ne pensais même pas qu'elle puisse se réaliser un jour ou l'autre. Il me proposa de venir vivre avec lui, il m'expliqua avec une excitation et impatience digne d'un enfant de cinq ans, tout ce à quoi, il avait pensé, et qu'il souhaitait planifier ... Nous allions prendre une location rien que tous les deux, une maison, pour pouvoir y recevoir son fils pendant les vacances, il souhaitait que je termine mes études et si cela devenait trop difficile pour moi, il me prendrai comme vendeuse en m'enseignant le métier sur le tas. Il avait tout pensé, tout préparé, tout était déjà écrit dans sa tête, je n'avais plus qu'à signer en bas de la page. " OUI! oui et oui, je te dis oui car je t'aime mon Amour!"

Le destin:

Comme je m'y attendais mon père n'avait pas du tout validé cette option de vie à deux, on rentra donc dans un conflit digne d'un drame grec, le père tout puissant se refusant à laisser partir sa jeune fille dans les bras d'un homme de 12 ans son ainée, fallait-il vraiment que je me soucis de ce que souhaitait mon père, alors qu'il n'avait jamais daigné poser son regard sur moi, subitement à l'idée de perdre la seule ressource d'allocation familiale je devenais à ses yeux aussi précieuse qu'une poule aux oeufs d'or.

"Je me passerai de ton accord papa, je partirai que tu le veuilles ou non, je suis majeure, j'ai l'âge de voter alors j'ai l'âge d'aimer".

Ce soir là, j'avais impatiemment commencer l'empaquetage de mes cartons, Manu visitait une maison le soir même, et d'après lui, c'était la maison de nos rêves, en même temps nous étions si  peu exigent que cela, il nous fallait juste, un toit, quatre murs, un lit et ainsi notre vie de couple pourrai commencer.

Je me sentais planer, je me sentais légère, je me libérais des chaines parentales, je le ressentais au plus profond de mes entrailles, et la joie de pouvoir me coucher chaque nuit de la semaine et me lever chaque matin de l'année auprès de l'homme que j'aimais plus que tout, ne pouvait que m'apporter ce bonheur si trop souvent rêver mais jamais atteint. La futilité de ma vie allait enfin prendre une tournure importante, l'insipide jeune adulte que je suis allais enfin pourvoir devenir une femme accomplie et heureuse. Le téléphone de la maison se mit à retentir.

C'était Manu ... Il était fou heureux de notre futur nid douillet, il parlait avec une rapidité digne d'un train de grand trajet, j'étais larguée sur les quais, je n'arrivais pas à comprendre tout ce qu'il me racontait. Je le stoppa un moment, le temps qu'il reprenne sa respiration et lui dit, que de mon côté, les choses ne s'étaient pas passées comme je l'avais espéré, je lui expliqua en deux mots que je n'avais plus que 24 heures pour faire mes valises et que mon père ne voulait plus entendre parler de moi.

Manu sauta sur l'occasion, il me proposait de venir me chercher maintenant, afin que l'on passe la nuit ensemble, notre première nuit dans notre maison, puisqu'il avait réussit à avoir les clés avant de signer, histoire de me faire visiter le lendemain. Je tentais de le calmer, il me semblait beaucoup trop agité, alors je lui proposa de se voir demain, dès 8 heure 30 devant son magasin et que nous aurions ainsi toute la journée pour effectuer la visite et laisser l'empreinte de notre amour dans notre petit paradis immobilier.

Manu insista, encore, et encore, plus fort, ses arguments devenaient des supplications, IL ne voulait pas passer la nuit sans moi, il avait besoin de moi et il savait que j'avais besoin de lui... il savait toujours ces choses là, il les ressentis toujours même parfois avant même que je n'ose me l'admettre moi-même. Alors j'ai accepté, "oui, viens me chercher mon coeur, je veux être avec toi ce soir, mais prends ton temps, je prépare le plus de sacs possible", il me dit simplement de prendre que le strict minimum, "on repassera demain pour le reste".

Je savais qu'il en avait un peu près pour trente minutes de trajets, alors je me précipita dans la salle de bain, afin de prendre ce qui allait être la dernière douche chez mon père. Toilette finie, j'enfilai des vêtements très chauds, car je craignais que le chauffage ne sois présent dans notre nouvelle demeure. Manteau mit, sac à dos sur l'épaule, parfum offert part Manu dispersé sur ma longue chevelure brune, je trépignais d'impatience, même les critiques et attaques verbales de mon père n'arrivaient pas à m'atteindre dans ma bulle autistique.

Je sors pour fumer une cigarette, le temps est au grand froid, une fine couche de givre fait briller les ruelles, le temps est suspendue, je regarde le ciel qui parait blanc même de nuit, "ça sent la neige, Noël sous la neige, c'est tellement beau", mois de décembre qui s'annonce dur comme de l'acier. Les minutes me paraissent une éternités, je ne sais plus depuis combien de temps je suis dehors, alors je jette un oeil vite fait à la pendule de la cuisine que j'aperçois par la fenêtre, vingt minutes, cela fait vingt minutes que Manu aurai du arrivé. Il a dut parler à son colocataire pour lui expliquer qu'il ne serait pas présent ce soir, ou il est peut-être passé voir son fils pour lui annoncer qu'il pourrai enfin le prendre pendant les vacances, ou il est avec son meilleur ami à lui décharger sa joie euphorique... que de questions dans ma tête, que de questions sans réponse, "en ce temps là, les portables n'existaient pas, lorsque l'on avait du retard, il fallait juste s'armer de patience".

J'entends le bruit d'une moto au loin dans la campagne silencieuse, "oh non, il n'est pas venu avec la moto, on va se les geler!", et bien si! je vois le gros phare me pointer du regard, mais le son de la moto ne m'est pas familier ... l'éblouissement m'aveugle et m'empêche de confirmer l'arrivé de mon chevalier des temps modernes.

C'est Jean-Maris, le meilleur ami de Manu. Je suis surprise de le voir, mais je me dit très vite que Manu à dut me l'envoyer, beaucoup trop occupé à préparer notre "maison du bonheur". Je retourne chercher mon sac à l'intérieur, le temps que la moto coupe le moteur, je jette un dernier coup d'oeil à mon père qui me dévisage avec tellement de haine, que je sais que je ne peux plus faire marche arrière, un dernier regard sur la pendule, me fait prendre conscience que j'ai du passer un bon moment à rêvasser sous la froideur de l'hiver... Une heure et demie, Manu a eu une heure et demie de retard, enfin Jean-maris.

Pas grave, il est là, c'est le principal. Il coupe le moteur de sa moto, j'attends qu'il prenne mon sac afin de le caler sur son engin mécanique, je lui dit entre deux claquements de dents que l'on va avoir très froid et en le regardant je m'aperçois qu'il pleure. "C'est le froid du givre qui lui fait couler les larmes?"... Il ne dit pas un mot, il a visiblement du mal à me regarder et à me sortir un son audible, je ne comprends pas ce qu'il à, il n'est quand même pas triste que Manu et moi allons vivre ensemble? non ce n'est pas ça, je sais, je sens qu'il y à quelque chose de grave, mais je n'ai pas envie de lui demander, je n'ai pas envie de le savoir, je n'ai pas envie de l'entendre, je veux juste partir de cette maison qui m'est devenue étrangère et rejoindre l'homme de ma vie pour démarrer notre destin déjà pensé.

"C'est Manu ... il ... il a eu un accident... il est mort!"

Je le regarde fixement mais je n'entends plus rien, je n'entends pas la suite de son explication, "parle plus fort Jean-Maris, je ne t'entends pas!", je vois ses lèvres bougés, articulés mais les sons ne me parviennent pas ... pourquoi me dit-il que Manu, Mon Manu, Mon amour est mort. Il ne doit pas me dire cela, il n'a pas le droit, je sens mon corps s'écrouler sous le poids de ma douleurs, impact avec le bitume blanc et givré de l'hiver.

Et s'il est vrai que nous n'ayons qu'une seule âme soeur dans la vie, alors le mien m'a été enlevé avant même que je ne vive quelque chose de constructif avec. Et s'il est vrai, qu'un amour de grande force ne traverse qu'une fois votre vie, alors je sais que plus jamais je n'aimerai. Et s'il est vrai que le temps efface les douleurs, alors je sais qu'il y a en moi une cicatrice qui ne cesse de reprendre vie, à quelque jours de Noël.

Pour toi Manu.

ElKa.




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