Marc Aymon, un artiste nature et mature: la rencontre

Gyslain Lancement

Quelques semaines avant la sortie de son nouvel album, Marc Aymon nous reçoit chez lui, à Sion. Le terme chanteur Suisse a parfois ses inconvénients, alors concernant Marc, on utilisera simplement le mot artiste. Je n’aime pas le mot artiste, il fout le camp, il est biaisé, ça devient le job du dimanche. On est mardi, tout va bien se passer.

 Les yeux rivés sur son agenda, il nous laisse observer ce qui l’entoure au quotidien. De l’art, rien que de l’art, des bouquins sur Cash, Magritte, Boltanski, des romans de Houellebecq… Des livres, beaucoup de livres, de l’essentiel et pas de superficiel. A l’aise, il nous met dans la confidence angoissante d’un chanteur qui sort son disque dans un mois. Tu vois, le planning d’un artiste passe du coq à l’âne. Des périodes où il ne se passe rien ou pas grand chose, puis un rush promo presque irrespirable. Tout ceci avec la hâte indescriptible que tout aille bien, que la magie opère, que tout s’envole. Marc est chez lui comme dans un endroit qu’il découvre, il s’émerveille de tout, en chien fou, nous parle de sa rencontre insolite avec Patti Smith: On était au vernissage de sa biographie (« Just Kids ») à Paris. Elle avait prévu un showcase devant vingt pelés, c’était digne d’une Fnac de province, le manager nous poussait même à nous resserrer pour donner l’impression qu’il y avait du monde, c’est dire! A la fin du spectacle, un truc très humble et maladroit, je m’avance pour choper une dédicace de Patti, et elle me sort: « nous nous connaissons n’est-ce pas? ». J’étais pétrifié, aucun son n’a pu sortir de ma bouche, et là, l’interprète lui fait « No ». J’aurais juste voulu allez boire une cup of tea avec elle, imagine! D’anecdotes croustillantes en mise à nue de sa garde-robe de guitares toutes plus gorgées d’histoires les unes que les autres, il en vient au secret bien caché, mais d’entrée révélé pour notre plus grand bonheur, d’un des titres de son nouveau disque (« Creuser la mémoire de la boue »), un vieux livre de bibliothèque à l’appui. Tu vois, le titre de ce bouquin m’a toujours interpellé, je l’avais fauché il y a des années, avec la conviction que jamais je ne le retrouverais. Je n’ai pas fait ça avec l’âme d’un truand, car aujourd’hui il se transforme en chanson; c’est vraiment un ouvrage qui te fait aimer la nature, le souvenir, c’est l’idée de base de ce titre. Ma culture musicale est assez pauvre, mais une fois dans sa vie, il faudrait partir indéfiniment avec les bouquins que l’on a envie de lire, les disques que l’on a envie d’écouter, prendre le temps.

Marc nous emmène ensuite sur les hauteurs de sa ville, un endroit calme et magnétique, une manière de dominer le surplomb en douceur. En chemin, on en apprend plus sur ce trip qui l’a poussé à traverser les Etats-Unis en bus greyhound. C’était vraiment un choix de voyager avec le moyen de locomotion le moins cher, un vrai truc de traveller, pour se sentir plus proche des gens, être encore plus spectateur des choses. Ce n’étaient pas des vacances, vraiment pas, le fait de se demander chaque jour où tu va dormir le lendemain… Jai adopté des rythmes de vie qui cassent complètement avec ce que l’on connaît en Valais! Marc s’est ainsi retrouvé happé par un tourbillon de troc émotionnel, un jour chasseur d’alligators au Texas, un autre jour immergé dans le milieu gay New-Yorkais, jusqu’à se rêver en Johnny Cash à jouer de la guitare sur le perron de sa maison d’enfance, perdue au milieu des plaines de l’Arkansas. Un endroit à l’abandon mais où résonne l’essence du Rock, ce pourquoi je suis parti en fin de compte. En chemin, il va se heurter à l’Amérique rugueuse, en évitant précautionneusement les trompe-l’œil touristiques, en artiste. On m’appelait le frenchy, et les plans les plus fous venaient directement à moi! A chaque fois que je m’asseyais dans un bus, je pouvais être sûr que le mec le plus taré allait venir se mettre à côté de moi. Et au final, tu rencontre des gens hyper serviables mais avec des têtes de serial killer! J’ai vécu une ode aux non-préjugés, j’ai aimé me faufiler. En trois mois, tu as des promesses tenues, des promesses ratées, et je n’ai jamais autant cru en Dieu que dans ces moments-là. On cherche des trucs pour s’aider à vivre, tu sais, Johnny Cash a fini avec le christ gravé sur une bague… Tu rentres dans la vie de gens différents sans forcément cautionner, mais au final ça te fait te poser des questions. Le chemin s’est construit par rapport à ça, avec cette notion de « compadre ».

Dans ce milieu qui n’est pas forcément juste, où le mérite fuit trop souvent ceux qui n’auraient pas à en rougir, Marc a suivi le chemin des érudits, à côtoyer des bluesman légendaires. Captain Luke, je l’ai découvert sur youtube, dans une vidéo incroyable où il expliquait la meilleure façon de conserver une voix de baryton: à savoir boire et fumer. Quand je suis retourné à sa rencontre en Caroline du Nord, on n’était même pas sûrs de pouvoir le choper. On est arrivés chez lui, il était plus en forme que la première fois, il y avait ses quinze girlfriends dans son salon, on n’avait presque plus de batterie pour enregistrer et là, Captain pose une impro du tonnerre. Je te jure que dans ces moments, le mot mythique prend tout son sens. Je lui laisse quelques dollars, du chocolat, et on se quitte peut-être jusqu’à une prochaine fois. Le paradoxe était saisissant! Le mec est fatigué, fauché, mais se fait encore appeler Captain! Un peu plus tôt à Nashville, Marc avait pu mettre le doigt sur son rêve. Un mirage qui prend forme et qui a pour nom les Studio d’Ocean Way. Une ancienne église centenaire, et réaménagée pour une bousculade d’artistes aussi prestigieux que Jack White ou Robert Plant. A Nashville, les gars ce sont de bosseurs. Soit tu as du fric et tu loues le studio sur un mois, ce qui n’est clairement pas mon cas, soit tu fais un pari et tu boucle le truc en 2 jours. Les musiciens de là-bas sont au taquet, d’une efficacité sans pareil, je n’avais jamais vu ça de ma vie. Et pour une fois que je suis content d’un disque… La pédale steel donne une couleur nashvillienne, on leur a juste dit « no country please ». L’idée était de donner un bon coup d’épaule, pour ne pas s’endormir.

On se souvient du Marc Aymon des deux premiers albums, parfois incompris, qualifié de trop gentil ou trop triste à qui osait s’aventurer dans les arrangements boisés d’un « amandier en hiver » (2009), un album où certes je parle de la mort mais c’est parce que j’aime la vie, j’aime cette idée de s’accrocher aux branchages et d’oser fleurir alors que tout meurt autour de soi. Marc a changé, grandi, mûri, aidé par ce fantasme instinctif et ce trésor d’anecdotes simples, cet éloge des chemins de traverse, et ce disque le propulsera sans doute là où il doit être: en haut de l’affiche, avec une fureur de vivre made in USA, by bus. J’ai envie d’être reconnu, que les personnes voient que j’avance. Je veux les surprendre et me surprendre, définir chaque disque comme une identité. Être attaché aux valeurs terrestres, quelque chose de très Johnny Cash, malgré les pressions des majors et du pognon, arriver à un résultat sain, de partage, qui parle au gens, le fruit du travail d’un mec qui fait ce qu’il aime.

La démarche en elle-même confère à ce disque éponyme une légitimité rock dont Marc transpire par tous les pores, galvanisé et réchauffé par ce que l’on peut appeler le rêve américain, pour un chanteur, du moins. On veut toujours se faire passer pour plus aventurier que ce que l’on est, mais je suis contre la demi-mesure. Tu fous tout ce que tu as dedans, tu peux tout gagner comme tu peux tout perdre, et ça, les gens ont de la peine à s’en rendre compte. La frustration est que parfois on balaye d’un revers toute une aventure, et ma démarche, je n’ai pas envie qu’elle soit balayée. Tu sais que le fond, tu l’as, parce que tu as eu le courage de partir. Partir est quelque chose à laquelle on est tous confronté, s’en tenir à une route et y aller. Les mecs les plus rock que je connaisse ne sont pas des gens qui parlent mais des gens qui font. Et la fierté c’est d’y arriver alors que les conditions sont difficiles. La satisfaction est là. J’ai aimé avoir des phares sur la route mais j’ai adoré me perdre.

Marc assimile le temps qui passe, le dur métier auquel il s’est essayé et qui pour l’instant lui réussi plutôt bien. Les questions ont changé, les ambitions aussi, dans un esprit de non compromis évident. Ce mode de vie a une tendance adolescente où on a envie que tout soit possible. J’ai toujours eu envie de plaire, mais sur ce disque, je me pose moins de questions. Les gens que j’aime sont ceux qui se prennent les pieds dans le tapis. A la question « penses-tu au futur », question à laquelle ce nouveau disque éponyme répond aisément, les mots de Marc Aymon résonnent presque comme un couplet. J’ai beaucoup plus de raisons de continuer que d’abandonner. Si ça n’était pas mon truc, il n’y aurait pas l’étincelle à la fin, il n’y aurait pas autant de signes. Tu es seul, tu es là, tu as des choses auxquelles tu t’accroches, tu as un projet où tu a des attentes et ce qui t’arrive au final est mille fois plus beau. Si au cours de ton existence tu as un million de rêves, peut être que dix vont se réaliser et ça, ça va t’aider a vivre.

Celui que l’on surnommait « le petit Renaud » il y a déjà quinze ans – tout gamin, je prenais plaisir à chanter avec la même intonation que lui, une prof m’a encouragé dans cette voie musicale et ça a payé. En plus de pouvoir sortir avec la plus belle fille de la classe…- est plus que jamais conscient que c’est chez les autres, aussi différents soient-ils, que passe le salut de l’artiste. Ma source est simple: aimer et être entouré le mieux possible, vivre quelque chose d’assez pur. Si dieu existe, il a envie que l’on fasse l’amour et que l’on boive du vin, en étant le plus chouette avec les autres. Les choses de la vie peuvent bien te tomber sur le coin d’la gueule alors que toi, tout ce dont tu aurais envie, c’est de courir à poil dans les champs avec des nanas.

Avec Marc on se sent bien, on se sent à la fois chez nous et ailleurs, comme dans ce nouvel album qui est bien plus qu’un nouvel effort. Partir pour mieux se retrouver? Son public le comprendra très vite. Un artiste qui fait ses disques, c’est sa vie, ça n’a pas de prix. Je suis confiant, j’aime ce disque.  A vous de vous laisser facilement convaincre par cet album riche d’une histoire américaine comme on en voit trop peu dans le paysage musical Suisse.

Propos recueillis par Gyslain Lancement

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