Marche au pas

belthane

Les montagnes étaient splendides, à l'ouest elles courraient ocres et sauvages vers l'Inde et le Pakistan. A l'est le chemin serpentait entre des roches sombres et des touffes d'herbes prisées par quelques yaks nonchalant. Assis sur un rocher je repose mes pieds. Nous devons encore être à plus de 4'500 mètres d'altitude, nous avons laissé la brume volage en passant le col (5'619 m) et j'ai toujours du mal à reprendre mon souffle. Il est vrai que nous avions décidé de franchir les derniers mètres de la passe en courant. Une idée non seulement dangereuse mais aussi stupide. Après quelques photos, une boite de thon et de l'eau nous avons entamé la descente. C'est là que mes pieds ont commencés à taper sur le cuir de mes chaussures. Rapidement l'irritation a cédé la place à la douleur. J'ai donc ralenti le rythme, mais rien n'y fait. J'ai mal. 

Je contemple le spectacle de l'Himalaya courant vers le couchant, l'appréciant à sa juste valeur. C'est tout simplement majestueux. Sans le savoir je touche à un des instant les plus fort de ce trek, de ce voyage. Mon esprit cesse de vagabonder sur les routes de la soies et mes pieds me font à nouveau souffrir. Il doit rester environ dix kilomètres jusqu'au village de Muktinat. J'ignore si je vais pouvoir y parvenir. Je reprend ma marche, calmement. Après quelques minutes je m'arrête à nouveau, épuisé. Des larmes coulent le long de mon visage, je veux hurler, me plaindre faire une crise, attendre que quelqu'un vienne me chercher, porte mon sac et m'aide à atteindre la fin de l'étape du jour. 

Pas de crise, juste la rage d'avoir mal. Jérôme me dit que nous avancerons à mon rythme, que nous mettrons le temps qu'il faudra pour arriver au village. Si seulement il pouvait porter mon sac, me porter pour ne plus avoir à marcher! Plutôt que de faire un caprice, je me calme, j'analyse la situation et la solution apparaît simple et unique. Je ne peux compter que sur moi. C'est tout. 

Alors plutôt que de me plaindre, je lance un mot, je me relève et je marche. Un pas après l'autre. Un pas après l'autre. Passé un certain seuil la douleur cesse de croitre. Passé un certain stade, la fatigue n'est rien d'autre qu'un état d'esprit. Alors je marche. Mon corps rechigne à avancer, il me fait savoir qu'il en a assez. Mon esprit n'écoute plus, il ordonne, la carcasse physique exécute. Je marche. Un pas après l'autre. Plus rien ne compte d'autre que cela. Peu à peu, je prends conscience de la force de ma volonté, de mon esprit. Jérôme me dit qu'il va prendre quelques clichés. Je lui réponds simplement que si je m'arrête je ne serai plus en mesure de repartir, alors je continue. Il me rejoindra plus tard. Je suis incapable de décrire la fin de mon parcours. Rien ne m'a traversé l'esprit outre cette pensée unique, continuer à avancer. Je ressens une certaine lassitude à marcher, la douleur me taillade les orteils à chaque pas, les sangles de mon sac à dos me scient les épaules, mais je continue. 

Dans un état de semi-conscience je réalise qu'il y a des enfants sur la piste, des maisons, du bruit. Muktinat enfin. Le village s'étend en longueur sur un kilomètre environ. Je pourrai m'arrêter à la première auberge, mais elle ne m'inspire rien. Encore un effort. Puis un autre. Malgré la fatigue et la douleur, je parviens à choisir une guesthouse potable et agréable. Jérôme me rejoint alors que je prends la clé de la chambre. Je n'ai toujours pas posé mon sac. 

La chambre enfin. Je m'affale sur le lit. J'enlève mes chaussures. Le bout des chaussettes est couvert de sang. Délicatement je les retire. Elles s'accrochent à mes orteils. Le tissus s'est collé à la chair à vif. Je n'ai pas le choix, je tire dans un gémissement de douleur. Dix cloques percées, des fibres accrochées aux plaies. L'air de la chambre est lourd malgré le ventilateur brinquebalant. Je dois nettoyer les orteils pour éviter une infection. De l'alcool un coton tige et patiemment je m'active en grinçant des dents. Et moi qui pensais que je ne pouvais pas avoir plus mal qu'en marchant. L'opération se termine dans un juron mais je peux enfin me reposer. 

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