Marguerite Térébenthine - Prologue 4 - Sale temps pour les gros...

pascaldinot

Une expression discriminatoire et crétine au possible, sauf en pleine préhistoire...

Nous sommes rares.

Une espèce douée d'une intelligence unique.

Nous régnons en maître absolu sur toute la surface de la Terre grâce aux technologies. Nous sommes devenus les « super-prédateurs » trônant fièrement en haut de la chaîne alimentaire. Notre prétention à la domination n'a de limite, que celle que nous nous imposons. Notre capacité destructrice s'est vue multipliée de manière exponentielle au fil des siècles. Et si nous nous imposons des limites, c'est justement pour éviter de nous détruire nous-mêmes. Nous sommes notre propre menace finalement. Obnubilés par notre propre destin et totalement égocentriques. Devant l'étalage d'une telle puissance, certains invoquent la sagesse de l'homme. L'ironie d'une espèce vivante capable de mettre fin à sa propre lignée. Chose naturellement inconcevable. Un coup de canif dans le principe de la sélection naturelle. Cependant, notre toute puissance ne nous met pas à l'abri d'une extinction de masse. Naturelle ou non. Nous ferons le constat bouleversant, qu'être le plus fort ou être le plus intelligent, n'évitera aucunement le cataclysme que nous subirons un jour ou l'autre. L'histoire a une certaine tendance à se répéter et à nous revenir en pleine poire, comme un boomerang.

Et l'histoire s'est déjà déroulée.

C'est le mois de juillet, il fait beau, nous sommes vendredi, il est midi. Et je mets au défi, les plus grands paléontologues, de me prouver que l'événement tragique qui va se produire, ne s'est pas déroulé un vendredi. Plus généralement, nous sommes en pleine préhistoire, approximativement à moins soixante cinq millions d'années avant notre ère. En comptant plus ou moins un million d'années... C'est une période qui s'étale entre la fin du Mésozoïque et le début du Cénozoïque. Les dinosaures règnent en maître sur la Terre depuis cent quatre vingt millions d'années. Un règne que nous imaginons sans partage, à cause des trop nombreux documentaires, films fantastiques, qui, malgré une sensation de vrai, ne reflètent que très superficiellement la véritable faune de l'époque. Car peu de personnes savent que les mammifères ont cohabité avec les dinosaures. Vous en conviendrez, les mammifères rapportent moins d'argent à l'industrie du cinéma. Nous avons une vision très restreinte de ces périodes éloignées. Nous imaginons trop souvent, par tranches de millions d'années, une découpe trop franche et presque calendaire de la vie sur Terre, sans aucune transition. Passant de la vie aquatique à la vie terrestre en moins de deux.

En moins de deux... millions d'années, bien entendu.

Et pourtant, quand les dinosaures régnaient en maîtres absolus, les petits mammifères existaient bel et bien.

Jean-Luc est l'un d'entre eux. Jean-Luc n'a pas encore la conception du vendredi, il l'aura beaucoup plus tard. C'est pourtant ce jour que son destin va irrémédiablement changer. Jean-Luc est un petit mammifère pesant une petite dizaine de kilos. Il est agile et affûté comme une lame de rasoir. Lame de rasoir qui n'existait certainement pas à cette époque. Son régime alimentaire est principalement herbivore. Il se nourrit de graines, de racines, ne refusant pas, à l'occasion, de grignoter quelques insectes. Ces derniers lui apportant un complément alimentaire riche en protéines. Cependant Jean-Luc n'aime pas courir après son repas, ça lui donne des ballonnements. Comme il mange des racines, il est équipé de circonstance. Un museau tout fin, des petites dents acérées, et de longues griffes pour retourner la terre. Il fait partie de la famille des fouisseurs. Il creuse la terre pour se nourrir mais aussi pour se loger, ce qui signifie qu'il a un point fixe sur son territoire. Jean-Luc est sédentaire. Il partage son terrier avec sa femelle, répondant au doux nom de Virginie. Virginie qui est l'heureuse maman comblée d'une portée de cinq rejetons. Rejetons qui font la fierté non mesurée du papa. Ce dernier est donc sur les dents et sur les nerfs car à peine a-t-il ramené quelques provisions à la maison, que ces dernières sont totalement et goulûment englouties, par la famille nombreuse. Jean-Luc ne compte pas ses allers et retours, au péril de sa vie, pour satisfaire les besoins nutritionnels de sa famille. Cependant, il a été prévoyant. Son instinct de survie lui a ordonné d'amasser des graines en plusieurs endroits de son territoire.

En cas de coup dur, il fera comme tout le monde : il tapera dans le capital.

Mais Jean-Luc ne juge pas ce moment venu. Pour l'instant il doit montrer à Virginie qu'il est un père responsable et respectable, et surtout qu'elle a fait le bon choix de se reproduire avec lui. Son audace le pousse irrésistiblement à élargir son champ de recherche, en explorant de nouveaux territoires. Il sait qu'en agissant ainsi, il s'expose au danger et s'éloigne de l'entrée de son terrier. Et si maintenant, Jean-Luc court comme un dératé, haletant, les yeux exorbités et les poils hérissés, c'est qu'il vient de croiser la route d'un jeune tyrannosaure pas commode et un tantinet furibard. Dans cette course effrénée se joue la sélection naturelle. Pourtant le tyrannosaure n'est pas « Jeanlucovore ». Mais s'il veut absolument le bouffer, c'est que sa petite taille et son habileté, servent d'exercice de chasse au prédateur. Il apprend, il teste, il joue cruellement avec sa proie. A l'inverse, le prédateur force Jean-Luc à échapper à une mort certaine, en l'obligeant à faire le bon choix, au bon moment, dans un laps de temps très court. En sachant que la moindre erreur lui sera fatale. Et cela fonctionne. Jean-Luc tire une course saccadée, opérant de brusques virages, osant même tourner autour du danger. Il est fort sur ses appuis, solide sur ses fondamentaux, et peut opérer quelques « cadrage/débordement » bien placés. Même si la peur l'étreint au plus profond de ses entrailles, il doit donner le plus de fil à retordre à son prédateur et vendre chèrement sa peau. Le tyrannosaure sent la peur de Jean-Luc et compte bien sur cet effet pour prendre l'ascendant. Mais Jean-Luc est trop petit et trop rapide. Le jeune tyrannosaure ne sait plus où donner des crocs et des griffes, ratant à chaque fois de peu, son amuse-gueule. Jean-Luc est en train de tirer son épingle du jeu grâce à l'inexpérience de son prédateur. Il peut se diriger vers l'entrée de son terrier maintenant proche. Le jeune tyrannosaure est carrément furax, quand il voit Jean-Luc disparaître dans l'orifice de la galerie, menant à son terrier. Le tyrannosaure pète un câble. Cela a pour conséquence de le rendre ivre de rage. Être un super prédateur signifie qu'il ne doit jamais abandonner et être sans pitié. Sinon, il passe pour une baltringue. Jean-Luc se rend compte de son énorme bêtise, puisqu'en voulant se mettre à l'abri du danger, il vient d'offrir toute sa famille sur un plateau repas. Le tyrannosaure commence à gratter la terre avec ses puissantes pattes arrière et armées de terrifiantes griffes. C'est la terreur dans le terrier. Jean-Luc aperçoit l'œil reptilien les observer par l'orifice de l'entrée. Le prédateur juge de la distance à parcourir et continue de creuser. Jean-Luc tente de protéger sa progéniture en faisant barrage de son corps. Il sait la manœuvre inutile contre le tyrannosaure, mais espère atténuer la peur de son épouse et de sa progéniture. Le jeune prédateur n'arrêtera plus maintenant. Chaque coup de griffe dans le sol les rapproche de plus en plus de l'inéluctable fin.

Et puis soudain, un grand flash blanc illumine toute la chaumière.

La pupille reptilienne de l'œil du tyrannosaure se contracte vivement.

Suivi d'un grondement sourd et lointain se rapprochant rapidement.

Le tyrannosaure se redresse. Son attention est captée par quelque chose de spectaculaire sur l'horizon. La petite famille, n'ayant qu'un seul point de vue, observe le prédateur. Ils remarquent que la teinte gris verdâtre du saurien tourne de plus en plus vers le jaune orangé lumineux.

Très lumineux.

Le tyrannosaure et totalement absorbé. Mais ne sachant véritablement pas quoi penser de la gigantesque boule de feu qui enfle sur l'horizon, il préfère retourner à son occupation en suivant son instinct de chasseur. L'impact de l'astéroïde propulse une onde de choc qui ravage tout sur son passage. Jean-Luc voit ses dernières secondes arriver quand le tyrannosaure s'ouvre un passage suffisant pour déloger les mammifères. L'onde de choc est si violente, que le jeune prédateur disparaît instantanément sous les yeux de Jean-Luc. Le ciel, d'habitude bleu pour un mois de juillet, tourne à l'orangé, parsemé de boules de feu, d'arbres arrachés, d'autres tyrannosaures, etc. Jean-Luc tente hardiment une sortie afin de comprendre ce qui vient de se passer. Sortie brusquement avortée, en voyant un gigantesque mur de flamme lui arriver dessus. Un bloc de roche, arraché par l'impact, vient atterrir sur le trou béant conduisant au terrier. La petite famille est plongée subitement dans le noir.

Énorme coup de chance.

Car parmi les centaines de milliers d'objets arrachés à la croûte terrestre, propulsés par la puissance de l'onde de choc, un seul est venu couvrir la tanière, la protégeant de la fulgurante et soudaine montée de la température en surface.

Jean-Luc, Virginie et leurs rejetons sont plongés dans l'obscurité. C'est l'inquiétude. Au-delà de la peur du moment, c'est l'avenir qui devient incertain. Que doivent-ils faire ? La petite famille s'organise et préfère minimiser les risques à prendre. Ils attendent le moment propice pour s'aventurer à l'extérieur. Temporisation mesurée par le reste des provisions amassées. Jean-Luc en profite pour creuser de nouvelles galeries, espérant se rapprocher, avec son sens de l'orientation, des réserves qu'il a constituées. Au bout d'une semaine d'attente, Virginie donne le top départ. Sa progéniture est en danger, il faut agir. La surface une fois atteinte, c'est un paysage de désolation qui attend le petit mammifère. Il fait sombre, froid, tous les végétaux sont carbonisés. La petite famille se met à la recherche de la moindre graine qui aurait survécu. Jean-Luc peine à retrouver l'emplacement de ses réserves car tout est dévasté. Et quand il en a localisé une, les graines se sont transformées en pop-corn, ce qui n'est pas pour déplaire aux enfants. Cependant, les parents font un constat terrible : 90 % des végétaux qui étaient la base de leur alimentation, sont carbonisés, cramés, impossibles à ingérer. Ils n'ont plus rien à manger.

Rien sauf...

Jean-Luc est attiré par une odeur étrange qu'il n'avait jamais sentie auparavant, presque agréable, une odeur de viande grillée. Pas loin du terrier, un tyrannosaure rôti à souhait attend, raide mort et les pattes en l'air. Virginie perçoit d'un mauvais œil ce changement radical de régime alimentaire, trop attachée qu'elle est encore, à ses habitudes végétariennes, pour le bien-être que cela procure, le sacro-saint équilibre du tube digestif et un certain style de vie, qu'elle aimerait transmettre à ses enfants. Mais voilà, la faim les tiraille. Et c'est timidement et avec une certaine appréhension, qu'ils commencent à se nourrir de viande sur le dos du super prédateur. Jean-Luc et Virginie ne le savent pas encore, mais ils viennent de gagner quelques échelons dans la chaîne alimentaire. Jean-Luc et Virginie sont les témoins du début de l'extinction du crétacé-tertiaire. L'extinction qui va définitivement mettre fin au règne des dinosaures, et propulser les mammifères au sommet de la chaîne alimentaire.

Bon...

Scientifiquement, ce n'est pas un astéroïde qui a causé directement l'extinction des dinosaures en un temps extrêmement court. Certes l'impact a très certainement été le point de départ causal, mais les raisons sont bien plus complexes. C'est un enchaînement d'événements qui a causé la fin des dinosaures sur une période très longue. Plusieurs hypothèses sont soulevées. Violents tremblements de terre, éruptions volcaniques dévastatrices, combustion de quelques milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère, élévation brutale de la température, hiver d'impact, bouleversement de la chaîne alimentaire, baisse du niveau des mers, brusque augmentation de la constante gravitationnelle « G », déplacement des pôles, inversement des pôles magnétiques, empoisonnement, maladie, famine, etc.

tout cela étalé sur des dizaines de milliers d'années...

Et pourtant, malgré tous ces événements cataclysmiques planétaires, la vie a suivi son cours. Imperturbable, prenant chaque opportunité pour explorer de nouvelles voies, de nouvelles évolutions, malgré les conditions environnementales terribles.

Comme pour Bernard.

Bernard cultive un certain fatalisme.

Il collectionne les catastrophes comme d'autres collectionnent les timbres.

C'est toujours au moment où il pense s'en sortir, qu'une nouvelle catastrophe arrive.

Mais cette fois-ci, la catastrophe est de taille.


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