Marguerite Térébenthine - Prologue 7 - Survivre

pascaldinot

born to be alive....

« Pour le jugement dernier, en premier, il vous faudra du jugement. » 

Pascal DINOT (de 1969 à aussi longtemps que possible !)

Se préparer matériellement pour la fin du monde ne rime à rien. Je ne veux pas démonter le marché économique que représente ce domaine, cependant, il faut que les choses soient claires. Vous pouvez dépenser votre argent en achetant des « packs fin du monde », comme faire construire un bunker enterré au fond de votre jardin. Vous pouvez acheter des masques à gaz, ainsi que des combinaisons étanches. Vous pouvez emmagasinez dans votre maison, des boîtes de conserve, du sucre, de l'huile, de la farine, des piles, des préservatifs, des postes de radio, etc.

Qu'adviendra ce stock si vous devez quitter précipitamment votre domicile ?

Certes, il y aura un effet rassurant, mais en aucun cas, ils ne seront utiles pour votre survie. Ils ne feront que la richesse de ceux qui vous les vendent. Vous aurez un sentiment de sécurité, d'être paré à toutes éventualités. Cependant, posséder un élément qui contribuera à votre survie, aura un effet pervers. Sous couvert d'être rassurant, la possession de cet élément vous confortera dans ce sentiment de sécurité. L'effet pervers réside dans l'obligation d'être toujours avec ou à proximité. S'en éloigner, s'est s'exposer au danger ou au risque. Seuls quelques paranoïaques trouvent normal de se balader avec un canot pneumatique gonflable dans leur attaché-case. Seuls quelques illuminés trouvent commun de circuler dans les transports en commun, justement, habillés d'un gilet de sauvetage. Seuls quelques prédicateurs apocalyptiques hystériques trouvent ordinaire, la possession de deux mille huit cent boîtes de conserve de saucisses aux lentilles.

Même pas halal.

Ce n'est pas matériellement qu'il faut se préparer.

C'est mentalement.

Et je parle par expérience...

Ce qui suit est rigoureusement authentique.

Guadeloupe.

Dimanche 21 novembre 2004.

07 H 30 du matin.

Mon épouse et moi étions en vacance, dans une station balnéaire sur haute-Terre. Nous nous étions levés tôt, afin de profiter de la fraîcheur relative et nous avions comme projet pour la journée, de visiter l'île en louant un 4x4. Le bureau des locations de véhicule n'ouvrant qu'à 08H00, nous avions profité de ce temps, pour prendre un café. Il était trop tôt pour s'attaquer au « Ti-punch ». Nous étions seuls dans la grande salle ouverte sur la mer, profitant du magnifique panorama, ainsi que du vent marin, venant nous titiller les narines. Nous étions assis sur des petits fauteuils, goûtant à notre bonheur. Ma femme se faisait une beauté, tandis que moi, je souriais niaisement, profitant plus que de raison de l'instant, les doigts de pieds en éventail dans mes tongs. Puis, imperceptiblement, un tintement singulier nous parvint aux oreilles. Il s'agissait de nos cuillères qui tintaient sur nos tasses, sans raison apparente. J'ai aussitôt pensé au démarrage du moteur d'un bus de touriste, dont les vibrations se faisaient ressentir jusque dans le bâtiment.

07H41.

Ce n'était pas un bus.

Ma femme et moi avions ressenti un choc sec et brutal dans les reins. Comme si une personne invisible, avait donné un violent coup de pied simultanément, dans le pied de nos fauteuils. Les tasses se mirent à trembler. Puis, soudainement, un grondement sourd se fit entendre, sans que personne ne puisse en identifier la source. Je m'étais vivement et instinctivement redressé, les mains sur les accoudoirs, prêt à déguerpir. Quelque chose ne tournait pas rond. Ma femme ne montrait aucun signe apparent d'inquiétude et continuait de se maquiller. Elle me dévisagea.

- Bah ? Qu'est-ce que tu as ? Me dit-elle.

- Tu ne sens rien ?

- Non.

Je n'eus pas le temps d'argumenter. Soudainement, nous nous retrouvâmes secoués dans tous les sens. Les tasses glissèrent de la table et tombèrent sur le sol.

- C'est un tremblement de terre, il faut sortir d'ici ! Lui dis-je, partagé entre la stupéfaction et la peur.

Le sol tremblait. Les lustres de la salle se balançaient, des gens criaient. Alors je me suis levé pour me mettre à l'abri, au dehors, à une vingtaine de mètres. Tant bien que mal. Là où j'étais sûr que rien n'allait me tomber sur la cafetière. À ma droite, les quelques palmiers se balançaient. L'eau de la piscine débordait, comme si l'on secouait une bassine remplie d'eau. Les parasols tombaient au sol, les uns après les autres. Et toujours ce grondement sourd. Puis soudain. Plus rien. Le séisme n'avait duré que quelques dizaines de secondes. Je me suis alors retourné pour m'enquérir de la santé de ma femme. Elle n'était pas derrière moi. Je vous avoue que j'ai pensé immédiatement au pire. Puis, je l'ai vu apparaître, avançant tranquillement, son sac à main en bandoulière. Il y avait dans sa démarche quelque chose de nonchalant, de défiant.

- Bah ? T'étais où ? Lui demandais-je.

- Oh ! Ça va ! Me répondit-elle, totalement détachée de l'événement.

J'étais stupéfait, sa réponse empreinte d'indifférence me laissa sans voix. C'est à ce moment que je me suis énervé.

- Il y a un truc que tu n'as pas compris quand je te dis : c'est un tremblement de terre, on dégage ?

Elle haussa les épaules.

- Ça va ! On n'est pas mort ! Me répondit-elle en soupirant, les yeux au ciel.

En entendant sa réponse blasée, j'ai pété un câble. Je n'arrivais pas à croire le détachement de ma femme comparativement au séisme que nous venions de subir.

- Ça ne sert à rien de s'énerver ! Continua-t-elle pour se justifier.

- Je ne m'énerve pas, je veux juste comprendre ce que tu n'as pas compris dans tremblement de terre ?

Elle haussa les épaules. Bien entendu, la journée « escapade en 4x4 » était compromise. Nous avions été les témoins d'un tremblement de terre d'une magnitude de 6,3 sur l'échelle de Richter, à l'épicentre, sur l'île de Sainte. Sur Haute-Terre, nous avions un ressenti de 4,3. C'est-à-dire « léger ». Un doux euphémisme. En quelques secondes, toutes vos certitudes s'effacent. Le sol, sur lequel vous posez vos pieds, ce sol se dérobe sous vos pas. C'est une expérience terrible. Nous ne sommes pas préparés pour vivre ce genre de situation. C'est une surprise et une découverte totale. Dans ma tête, un feu d'artifice d'émotions contradictoires venait se télescoper. D'une part, j'étais amusé, j'analysais les sensations ressenties, je retraçais ces quelques secondes, en me demandant, si j'avais eu la bonne réaction.

A priori, non.

D'une autre part, je compris que nous ne sommes rien, comparés à la puissance destructrice, quand mère nature se met en pétard. On ne peut faire que subir et attendre que cela passe. C'est terrifiant, personne ne peut lutter contre les éléments qui se déchaînent. Il faut juste se protéger. C'est le seul moyen d'agir.

Je ne le savais pas encore. Je n'avais pas agit de la bonne manière.

Nous étions cantonnés dans l'hôtel avec l'interdiction de sortir. Nous ne le pouvions pas, puisque les voies de circulation alentours, étaient inondées. J'en ai gardé des photos saisissantes. Il n'y avait plus d'électricité. La direction de l'hôtel décida de nous faire rejoindre nos chambres, après nous avoir expliqué la procédure d'évacuation. Si nous entendions l'alarme retentir, nous devions rejoindre des points précis dans le parc de l'hôtel. Nous devions attendre. Nous étions allongés sur le lit, dans notre chambre. Nous nous préparions à faire comme les New-Yorkais, durant la grande panne de courant de 1965. Panne de courant qui dura 24 heures, et qui provoqua un pic de la natalité neuf mois plus tard. Quand soudain, il y eut un choc violent. Le lit se déplaça d'une dizaine de centimètres.

Ce n'était pas moi. Je n'aime pas me vanter.

- C'est une réplique !

- Une réplique ? Me demanda-t-elle.

Une réplique est un tremblement de terre qui a lieu après un séisme majeur.

- Arrête de déconner, Pascal !

- Je ne déconne pas ! Regarde !

Je pointais de l'index, le placard ouvert, où pendaient nos vêtements sur des cintres. Ces derniers se balançaient mollement. Elle comprit rapidement que ce balancement ne pouvait être possible, que si le placard avait été lui-même secoué. J'ai vu ma femme se décomposer, devenir blême. Elle se cramponna à moi, terrifiée. J'ai su à ce moment qu'elle n'avait pas accepté le fait, d'avoir été la victime d'un tremblement de terre. Victime au sens psychologique. Depuis le matin, elle était dans le déni, dans le refus. Son esprit s'opposait de toutes ses forces à l'événement. Elle était choquée. Et je n'ai rien vu. Je n'ai pas su discerner son trouble.

Elle m'en voulait à mort.

Elle m'en veut toujours...

Et elle a raison.

Dès les premières secousses, j'avais deviné ce qui était en train d'arriver. Elle, non. Elle n'avait pas fait la relation. De mon point de vue, je l'avais immédiatement averti de la nature du danger et de ce qu'il fallait faire. Cependant, mon esprit était resté figé sur les secousses. Impossible de prendre une décision claire. Impossible d'avoir du jugement. C'est à cause de cela que je ne suis pas allé au bout de mon action. J'aurais dû faire abstraction du séisme et faire preuve d'une incroyable présence d'esprit, en attrapant ma femme par le bras, et l'emmener au dehors. Voici ce que j'aurais dû faire. J'ai cru qu'elle me suivrait. De son point de vue, je l'avais abandonné. Jusqu'à ce qu'elle prenne entièrement conscience du danger, mais à posteriori. Nous ne sommes pas tous égaux devant la prise de conscience et l'anticipation du danger.

Et si le tremblement de terre était arrivé à ce moment précis ?

J'étais à poil, à des milliers de kilomètres de mon domicile.

Faisons preuve de raison maintenant.

Aborder la fin du monde dans un livre n'est pas à prendre comme un guide de survie, ni une liste exhaustive de ce que vous devez posséder le jour fatidique. C'est un raisonnement général de façon à rendre votre esprit malléable et perméable à l'idée de survivre. Il n'existe pas de « bonne méthode » ou de « méthode unique ». Il n'existe que des conditions, des circonstances, et un environnement. Il faut acquérir la volonté de survivre. Survivre ne se prévoit pas, c'est une réaction instantanée. Survivre n'est pas une chance, c'est un défi. Vous devrez faire avec ce que vous aurez sous la main, à l'endroit où vous vous trouverez, au moment où vous l'apprendrez.

Pour une raison simple : vous n'aurez que très peu de temps pour vous préparer.

Sauf pour Georges.

Georges n'a plus envie de lutter pour survivre.

Mais quand ce n'est pas le moment...

Bah...

Ce n'est pas le moment !

Maintenant, nous pouvons commencer par le début de la fin...


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