Marguerite Térébenthine - Vendredi 13 juillet 2012 - chapitre 1

pascaldinot

L'arrivée imminente de Marguerite Térébenthine...

L'arrivée imminente de Marguerite Térébenthine...

Paris.

Nous somme le vendredi 13 juillet 2012.

Il est presque midi et il fait un temps magnifique. Une situation météorologique très étrange après les événements extraordinaires de la nuit. Une situation si étrange qu'aucun météorologiste n'avait prévu qu'il allait faire un temps radieux pour un mois de juillet. C'est dire. Pour eux, et après analyse, le temps de ce néfaste vendredi 13 devait être le même que celui de la veille : froid et pluvieux.

Car depuis le dimanche 6 mai 2012, il fait un temps pourri. Voici presque deux mois qu'une dépression climatique est venue s'installer au-dessus du territoire national. Cette dépression s'est installée de manière permanente, s'enroulant sur elle-même, bloquée entre deux anticyclones. Le premier sur l'atlantique, le fameux anticyclone des Açores, et le second sur l'Europe de l'Est. Une situation météorologique exceptionnelle,car aucune condition atmosphérique ne pouvait l'en déloger. Comme un odieux voisin satisfait de vous faire subir le pire, en sachant pertinemment que vous ne pouvez par l'en empêcher. Une dépression que certains ont surnommé ironiquement « Bernard ». Que dire de presque soixante jours de pluie au quotidien, faisant passer la mousson pour un arrosage automatique de jardin. Un temps à construire une arche. A choisir, certains citoyens auraient, sans nul doute, préférer une catastrophe soudaine, comme un tremblement de terre. Certes dévastateur, mais qui ne dure que quelques instants. S'il ne s'agit que de pluie, les conséquences des précipitations régulières sont devenues au fil des jours, une catastrophe au sens propre. Bien que la pluie n'ait pas l'impact sensationnel d'un tremblement de terre soudain, c'est dans la durée qu'elle détruit inexorablement. Elle lui manque le panache.

C'est pour cela que certains surnomment la dépression « Bernard ».

Terriblement usante. Même pas le temps de sécher, qu'il se remet à pleuvoir. Cette pluie se transformant en instrument de torture physique et moral. Soit cette averse soudaine, drue et aux grosses gouttes, qui ne dure qu'un court instant, mais qui vous laisse trempé jusqu'aux os. Soit cette pluie fine et interminablement longue, qui use les patiences et érode le moral. Lentement, inexorablement. Une véritable torture. Des précipitations record, causant d'innombrables inondations sur tout le territoire. Des villes entières se sont retrouvées noyées. En l'espace d'un instant, l'eau s'invitait et s'infiltrait partout, remplissant le moindre recoin. Comme un hôte indésirable que l'on ne peut repousser, sous le regard terrifié et impuissant des habitants. Des habitants obligés de laisser leurs biens derrières eux, contraints d'être évacués par les pompiers. D'autres, plus malchanceux, ont vu leur village dévasté par de violents torrents de boue, broyant tout sur leurs passages. Même certaines portions d'autoroute furent coupées par la soudaine montée des eaux. Les conducteurs saisis d'effroi, laissèrent leur véhicule à l'abandon. Jamais les français n'auront autant détesté la pluie.

La France, imbibée comme une éponge dans un évier, sous le robinet ouvert de l'eau froide.

Froide comme les températures. Températures ne dépassant que très rarement les 16° en pleine journée. Des conditions climatiques exécrables. De quoi plomber définitivement le moral des Français. Français qui, avec une certaine ironie, accueillent précocement l'arrivée de l'hiver suivant, en consommant des plats « de saison ». C'est-à-dire, raclettes et tartiflettes.

Seulement voilà. En ce vendredi 13 juillet 2012, il fait un temps radieux. Un temps magnifique. Un temps de saison. La surprise a été totale pour tout le monde. Le thermomètre indiquait 23 degrés à 7 heures du matin, et non pas l'inverse. C'est-à-dire 7 degrés à 23 heures, comme prévu. Pas un nuage à l'horizon. Un ciel bleu immaculé. Pas un brin de vent. Il allait faire très chaud et très sec à la stupéfaction générale.

Il fait enfin beau pour un mois de juillet, mais étrangement, personne ne peut expliquer pourquoi et comment.

Pas même les météorologistes, encore sous le coup de ce qu'ils ont vécu la veille au soir de ce vendredi 13 juillet 2012. Une chose inattendue, époustouflante, en constatant que leurs prévisions ne correspondaient aucunement à ce qu'ils observaient. Un plantage total, frisant le ridicule, faisant évoluer le terme de prévision, à prédiction météorologique. C'est bien connu, la météorologie est une science qui permet de connaître le temps qu'il aurait dû faire. Et pourtant, ce ne sont pas les moyens qui manquent pour prédire... Pour prévoir.... le temps qu'il fera le lendemain. Ces mêmes météorologistes ont recours à des informations provenant de multiples sources. La principale étant l'observation par satellite, les autres sources provenant de stations au sol, de radiosondage, de balises marines dérivantes et de capteurs placés sur les navires et sur les avions. Toutes ces données sont ensuite assemblées pour établir un état initial de l'atmosphère. De cet état initial, les prévisionnistes en tirent une simulation de la situation en cours, à partir des lois physiques qui déterminent l'évolution atmosphérique. Cela leur permet de détecter et de corriger d'éventuelles erreurs de prévision. Toutefois, ces erreurs sont minimes de leur point de vue. Mais rarement pour ceux qui les suivent, et qui se prennent des seaux d'eau sur la tête en maudissant la météo médiatique. Car si les météorologistes tirent un état global de l'atmosphère, sur une surface aussi étendue que l'Europe, Ils ne peuvent prévoir un changement de climat local, voire très local. Donc, pour les prévisionnistes, il ne pouvait pas y avoir d'erreur. Le vendredi 13 juillet 2012 allait être comme le jeudi 12 juillet 2012 : Mouillé. 

Donc, à la veille de ce vendredi 13 juillet 2012 et en découvrant ces simulations, les présentateurs et présentatrices des émissions de prévision météorologique des chaînes de télévision, avaient tous fait ce même constat édifiant. Pas le moindre signe d'une accalmie prévue pour les prochains jours. Malgré leurs larges sourires, leurs tenues vestimentaires estivales et colorées, censées rappeler la chaleur et la gaieté de l'été, il allait falloir annoncer, encore une fois, la mauvaise nouvelle aux téléspectateurs, en ramant sur un océan d'abattement. En sachant que les émissions de la météorologie, sont les plus regardées de toutes les émissions de télévision. Ils usaient de toutes les circonvolutions verbales pour éviter de dire trop brutalement la vérité, en usant de la richesse de la langue française. Ondées ou giboulées, pour ne pas dire simplement pluies. Températures en légère hausse par rapport au mois dernier, pour ne pas dire : Chute catastrophique des températures jamais enregistrées depuis 1878... 1878 étant l'année de la création du Bureau Central Météorologique, ancêtre de la météorologie nationale.

Même la très belle Prudence VERGLA, présentatrice franco-turc, à la longue et abondante chevelure noire et aux yeux malicieux, en avait perdu son désarmant sourire de fin d'émission. Exerçant sur la chaîne de télévision généraliste France 1, Prudence en était arrivée à présenter des excuses publiques, tellement sa lassitude se conjuguait à son impuissance. Car finalement, l'exercice devenait de plus en plus difficile, pour les présentatrices et présentateurs, des émissions de météo de toutes les chaînes. Au fil des jours, la présentation de la carte restait la même. Il n'y avait aucune évolution. Pas l'ombre d'un changement du climat. Les mêmes températures froides. Rien n'aspirant à la joie de l'été. Des nuages noirs, de la pluie, même sur le pourtour méditerranéen. Car au-delà de l'information, l'aspect économique se faisait ressentir pour la chaîne. La publicité en l'occurrence. Les fameux sponsors. A plus de 100 000 euros le spot de 30 secondes. Comment rendre la météo attractive pour garder un téléspectateur jusqu'au sponsor de fin d'émission, si ce téléspectateur constate aucun changement avec la veille ? En un clin d'œil, il sait et il zappe. Surtout si ce sponsor est un vendeur de piscine. Difficile pénétration de marché, quand certains citoyens ont vu leur salon, se transformer en bassin olympique de 50 mètres, avec plongeoir, en sautant de leur commode. Intenable.

Prudence avait usé de toutes les ficelles pour ne pas se répéter. Pour être créative. Elle était arrivée au bout. Elle avait épuisé toutes ses ressources : Le dictionnaire des synonymes, la poésie, la littérature, les sciences, pour garder le téléspectateur capté. Les audiences chutaient autant que les averses et les températures. Rien n'y faisait. Constatant les indices à la baisse, le directeur des programmes avait convoqué Prudence et ses collègues, la veille de ce vendredi 13 juillet, pour insuffler une nouvelle énergie. Il fallait vendre de la météo.

- Je ne vais quand même pas leur montrer mes nibards ? Se surprit-elle à répondre, excédée, au directeur des programmes.

Ce dernier envisagea sa réponse comme une nouvelle opportunité.

- Prudence, ma chérie... Notre sponsor menace de mettre fin à sa campagne, car les chiffres ne sont pas bon. Alors si tu pouvais faire un petit effort sur le décolleté... proposa-t-il en minaudant.

Prudence s'offusqua.

- ça ! Je refuse ! Ce qui plonge, ce sont les audiences, mais certainement pas mon décolleté. Répondit-elle sèchement.

Malgré son joli minois, Prudence a son petit caractère. Mais quand elle ouvrit les volets de la fenêtre de sa chambre en ce vendredi matin, elle découvrit l'inattendu. Elle fut accueillie par les chaleureux rayons du soleil roi. La douce chaleur matinale, et pas un brin de vent. Une surprise et un soulagement. Puis, lui vint une angoisse. Comment allait-elle expliquer ça aux téléspectateurs ? Finalement, espiègle, elle se ravisa. Elle allait quand même le mettre, son décolleté.

S'il n'y avait plus de vent sur le territoire, c'est au centre de la météorologie nationale de Toulouse que ça a soufflé fort. Particulièrement dans les bronches. Les plus éminents météorologues s'étaient réunis d'urgence pour essayer de comprendre ce qui n'avait pas fonctionné dans leurs prévisions. La mesure de la pression atmosphérique est la principale donnée pour comprendre l'évolution du temps. En l'occurrence, les hautes et basses pressions, respectivement nommés anticyclone et dépression. Elles jouent un rôle sur le réchauffement et le refroidissement de la terre et de la mer et ces deux phénomènes conditionnent, à leur tour, le comportement de l'air. Mais pour faire simple, anticyclone est synonyme de beau temps et la dépression est synonyme d'antidépresseur. 

Pour la France, la situation était simple. La dépression qui sévissait sur le territoire était bloquée entre deux zones de haute pression, l'une sur l'atlantique, le fameux anticyclone des Açores, et une autre sur l'Europe de l'Est. Ce scénario climatique est responsable d'un temps particulièrement perturbé. Mais la stabilité et l'équilibre de cette situation, ainsi que les très faibles variations de pression, ne permettaient pas d'envisager un quelconque changement pour les jours à venir. Pourtant, dans la soirée du jeudi 12 juillet 2012, vers 21 heures, après l'émission de la météo de Prudence VERGLA, une multitude d'alarme retentirent dans le bureau central de la météorologie nationale, à Toulouse. Sur toute la façade atlantique, les pressions, relevées localement dans les stations, se mirent subitement à monter en flèche. Simultanément et sans raisons apparentes, défiant les lois de la physique et de la mécanique des fluides. L'anticyclone des Açores annonçait une entrée en force sur le territoire, en dissipant les nuages. Mais le plus fabuleux, pour les ingénieurs et scientifiques, a été de constater la faramineuse vitesse de dissipation de la dépression. Comme la buée se dissipe sur le miroir d'une salle de bain, sous l'action du sèche-cheveux. Sur les relevés radar, les nuages disparaissaient sur une ligne nord/sud quasi rectiligne, en direction de l'Est, et à vue d'œil. Les plus éminents spécialistes français du climat, réveillés dans la nuit pour l'occasion, étaient tous stupéfaits de la régularité avec laquelle, les nuages se dissipaient. Une chose proprement inimaginable et surtout impossible. Ce n'était plus de l'étude du climat. Ils entraient dans un autre domaine, bien obligés de se rendre à l'évidence, que la nature facétieuse, pouvait encore leur réserver bien des surprises. Il fallait donner une explication au phénomène le plus improbable, et après avoir étudié plus précisément le schéma, ces scientifiques durent se rendre compte qu'ils n'avaient pas le moindre début, du commencement d'une explication logique. Le réchauffement planétaire ? On lui colle tout sur le dos. C'est pratique mais pas suffisant pour expliquer ce revirement de situation soudain. « El Niño » ? Le fameux et complexe courant chaud du pacifique. Facile de coller cela sur une chose dont tout le monde se fout, et qui, en plus, se trouve de l'autre côté de la planète. Personne n'ira vérifier de toute manière, mais aucun facteur de cause à effet relevé avec certitude. H.A.A.R.P ? Le programme américain de recherche sur les aurores boréales en haute atmosphère ? Dont certains conspirationnistes convaincus affirment qu'il s'agit d'une arme censée contrôler le climat ? Soyons sérieux...

Un miracle ?

Quoi qu'il en soit, Il n'y avait aucune explication à fournir. C'est arrivé. C'est tout. 

Si les scientifiques cherchent des explications, les technocrates, eux, cherchent des responsables. C'est à ce moment que le vent a soufflé fort. Car la Météorologie Nationale, dépend directement du Ministère de l'environnement. Et la Ministre de l'environnement n'est pas connue pour son objectivité, ni pour sa qualité d'écoute. Tout est une question de point de vue. Pour les scientifiques émerveillés, il s'agissait d'un phénomène inexpliqué extraordinaire. Pour la ministre, il ne s'agissait que d'un fiasco. Un plantage total, qui risque de la ridiculiser publiquement. Et ça, elle ne le permettra pas. Des sanctions allaient tomber. Arbitraires, comme il se doit.

Pour la majeure partie des Français, peu importe. Il fait beau, c'est l'essentiel. Les chapelets de merguez et chipolatas vont se vendre au kilomètre, le charbon de bois à la tonne, et ça va sentir le barbecue tout le weekend, à en faire saigner par le nez, sa signature carbone. Chacun ira de son commentaire, sur le fait qu'il n'y a plus de saison, lunettes de soleil sur le nez, les doigts de pieds en éventail dans ses tongs, une bière à la main. Les hypothèses les plus farfelues verront le jour, comme à cause du trou de la couche d'ozone, ou de la pollution atmosphérique, ou de l'envoi de satellite dans l'espace ou, plus communément, à cause de la politique du gouvernement. 

Ou des quatre simultanément.

Mais l'explication la plus simple étant toujours la meilleure, les Français mettront cela sur le compte de la politique du gouvernement.

S'il y a bien une seule personne  en France, dont les variations météorologiques, n'affectent en rien le mental, c'est Antoine-Hubert. Qu'importe les conditions, qu'importe les circonstances et qu'importe l'environnent, il se doit d'avoir l'esprit clair. Il se doit d'être opérationnel. Ce n'est certainement pas une légère brise de catégorie 4 sur l'échelle de Beaufort, qui bousculera le train de marchandise de ses décisions.  Inoxydable et "waterproof", aussi solide qu'un bollard monobloc en acier moulé, vissé sur le quai d'un port maritime. Il effraie son entourage par la maîtrise de ses émotions dans adversité. Flippant. Certains en arrivent même à dire que la panique paniquera avant Antoine-Hubert. Et le pire dans tout cela, c'est qu'il est joyeux et optimiste. En plus d'être flippant, il est aussi insupportable. 

Pourtant, en ce vendredi 13 juillet 2012, Antoine-Hubert laisse transparaître une certaine perplexité qui ne lui est pas coutumière. Il est assis de manière détendue, sur un des confortables et anciens fauteuils à accoudoirs, disposés en face du bureau de son patron. Antoine-Hubert attend, observant la grande étendue bleue ciel par les hautes fenêtres. Il sifflote par impatience, un air bien connu, tiré d'un opéra de Bizet, tout en tambourinant de ses doigts et en rythme, sur l'accoudoir. Ce n'est pas le changement radical de la météo, ni l'erreur des prévisions qui le rendent perplexe. L'objet de sa perplexité se situe dans une enveloppe en papier « kraft », qu'il tient du bout des doigts de sa main droite. Il attend que Bernard, son patron, daigne s'intéresser à lui. Ce dernier est plongé dans la lecture d'un dossier, qu'il aimerai bien terminer afin d'y apposer sa signature souveraine en page finale. Bernard dresse doucement son index gauche en l'air, sans relever la tête.

  - Tonio, s'il te plait... Tu pourrais arrêter deux secondes, lui demande-t-il.  

Antoine-Hubert s'arrête net.

- De siffler ?

Bernard lui indique de son index en l'air, sa main gauche

- Non ! Arrête de tambouriner avec tes doigts sur l'accoudoir. ça me soûle. 

- J'ai toujours su que tu adorais Carmen, lui lance Antoine-Hubert, très affirmatif.

Bernard soupire et répond :

- En fait, je lui préfère Iggy POP. Mais comme je te vois mal sauter partout dans le bureau, torse-poil ! C'est toujours moins énervant de t'entendre siffler Carmen, que de supporter ton tambourinement sur l'accoudoir.

Antoine-Hubert s'arrête de tambouriner, mais reprend son air joyeux de rossignol. Bernard redresse la tête et lui adresse un sourire. Il prend un stylo-plume de marque, au nom du point culminant de la chaîne des Alpes. Il en dévisse le capuchon et s'apprête à apposer sa signature sur le document officiel, finalement lu.

- Je m'attendais à te voir ce matin. Clémentine m'a annoncé que tu avais annulé la réunion de sécurité. 

Antoine-Hubert hausse les épaules.

- Il n'y avait rien de particulier. Puis le changement radical de météo a rendu tout le monde un peu frivole ce matin, donc j'ai laissé courir...

Bernard jette un regard par la fenêtre et s'étonne :

- Tu as eu raison. Et sinon, c'est quoi ton truc ? Demande Bernard en se préparant à apposer sa signature. 

Antoine-Hubert s'avance en posant son postérieur sur le bord du fauteuil. Bernard jette un œil à l'enveloppe. Il aperçoit un coup de tampon à l'encre rouge sur celle-ci, significatif de la fonction d'Antoine-Hubert.

- Un truc plutôt étrange. Complètement aberrant d'ailleurs. Ceci est un message à mon intention directe, mais, message que je dois te remettre en main propre et sans intermédiaire. Je ne savais pas que ce genre de disposition existait dans la chaîne de commandement. 

Bernard reste bouche bée et hésite :

- Je... j'en sais rien... Comment ça ? C'est quoi le sujet ? demande-t-il en fronçant les sourcils. 

Antoine-Hubert ouvre la petite enveloppe et en sort une feuille de papier.

- Justement, c'est du n'importe quoi ! Quoique tu vas me dire, je commence à avoir l'habitude ici, ironise-t-il.

Tandis que Bernard appose la pointe de sa plume sur le document, Antoine-Hubert dévoile le contenu de l'enveloppe. 

- Ce message provient du réseau de l'Intérieur, avec des accréditations dé-li-ran-tes. Il dit que je dois te prévenir de l'arrivée imminente de Marguerite Térébenthine...   

Bernard sursaute violemment de surprise. Comme un gosse pris en flagrant délit, la main dans le pot de bonbons. N'ayant pu maîtriser son spasme, dû à la surprise totale de ce qu'il venait d'entendre, Bernard écrase la pointe de son stylo-plume, en déchirant la dernière feuille qu'il devait signer.Antoine-Hubert se fige, alerte. Il vient de se faire surprendre par la surréaction de Bernard.  Ce dernier lâche son stylo-plume qui tombe sur le bureau "Cressent", qui en a vu d'autres. De grosses gouttes d'encre bleue perlent du stylo-plume qu'il vient de casser. Antoine-Hubert ne lâche pas son patron du regard, essayant de lire sur son visage, une réponse à sa soudaine angoisse. 

- Bernard ? ça va ? 

Mais Bernard reste silencieux, stoïque, le regard complètement vide. Il reste figé un instant, regardant son pouce et son index maculés d'encre bleue, puis un raz-de-marée d'abattement l'envahi, le submerge. 

- Oh... Putain de merde... Il manquait plus que ça, lâche Bernard, anéanti.

Il prend la dernière feuille de l'important dossier et s'essuie les doigts avec. Puis il chiffonne la feuille du dossier, avec laquelle il vient de s'essuyer les doigts et la jette dans la corbeille. Antoine-Hubert est plutôt préoccupé par la réaction de son patron et ami, sur-réagir ainsi lui indique qu'il vient de se faire surprendre dans un domaine inattendu. Antoine-Hubert reconsidère ses propos :

  - J'ai dit une connerie, mon Nanard ?  

Bernard prend une profonde inspiration, puis il redresse doucement la tête, pour planter son regard dans celui d'Antoine-Hubert. Fixement. Sans battre des paupières et sans se préoccuper de sa plume, d'où l'encre se répand sur son sous-main. Il le dévisage d'une manière assez déconcertante. Bernard, visiblement très ébranlé, lui demande confirmation, tout en essayant de contrôler sa respiration.

- Non, non... Répète-moi juste le nom de la personne concernée ? demande-t-il, insistant.

Antoine-Hubert reprend tous les éléments mentalement et effectue une rapide analyse. D'aucun des éléments n'aboutissant à une situation de crise du domaine les concernant, il en déduit qu'il s'agit d'une situation personnelle impactant son patron et lui seul.  Il esquisse un sourire narquois et croit deviner le pourquoi de la vive réaction de Bernard. Ce dernier est en train de lui cacher une relation honteuse et surtout tarifée. D'où le message aberrant et le minimum de contact. Il acquiesce tout en minimisant ses propos.

- Ouiiiiii ! bien sûr ! je viens de comprendre ! ça arrive à tout le monde, mon Nanard. Nous ne sommes que des hommes. Je peux comprendre que dans ta position, tu essaies de garder le maximum de discrétion. Mais : faire venir une femme de petite vertu; ici; se faire amidonner la bouche au sirop de burette; par ce moyen... ça devient de la paranoïa, dit-il en haussant les épaules et en posant la feuille sur le bureau de Bernard.

Bernard ouvre de grand yeux, ne croyant pas ce qu'il vient d'entendre. Il s'agace et dodeline de la tête. 

- Mais non, arrête de déconner ! Le nom ! Répète-moi le nom, reprend sèchement Bernard.

- Marguerite Térébenthine. Te prévenir de l'arrivée imminente de Marguerite Térébenthine, répète Antoine-Hubert, insistant.

Leur deux regards se croisent puis se focalisent sur la feuille. Bernard se précipite et la prend. 

- Putain ! s'exclame Bernard en écarquillant des yeux.

Antoine-Hubert modère l'injure de son patron, et tempère la situation, qu'il croit, à tort frivole. Il s'installe confortablement sur le fauteuil, allonge ses jambes en les croisant.

- Oh ! Un peu de tenue, mon Nanard. Certes, ce sont des femmes de petite vertu, mais elles ne méritent pas d'être traitées de putains. Depuis ta séparation, on ne t'a pas vu avec une seule gonzesse potable. Bon, d'accord... Il y a eu ton actrice que tu culbutais Avenue de Marigny, a qui tu rendais visite en scooter. Ceci-dit, depuis la tempête médiatique que tu as pris sur la cafetière avec cette histoire, je peux comprendre que tu utilises nos réseaux, pour être livré à domicile et en toute discrétion. Je suis sûr que c'est un coup d'Abdelkader pour éviter de te retrouver avec une des filles d'Erika ! C'est quoi sa spécialité à cette « Marguerite Térébenthine » Plaisante-t-il.

Bernard lâche un long soupire.

- Tu n'y es pas du tout, Tonio.

Antoine-Hubert fait la moue.

- Tu sais, je peux comprendre que tes envies dépassent le cadre de ta raison et surtout, de ta fonction, convient Antoine-Hubert en imitant le geste d'une masturbation, pour reprendre aussitôt :

- Je suis sûr que des guerres ont commencé à cause de ça ! Tu te réveilles un matin, ta nana te raille le casque avec ses dents et boum ! Tu claques un Blitzkrieg en Pologne !

Bernard s'emporte.

- Mais non. Tu n'y es pas du tout, se plaint-il, en se reposant sur le dossier de son fauteuil.

- Ah bon ? Ce n'est pas une histoire de cul ?

Antoine-Hubert a du mal à saisir l'expression qui s'affiche sur le visage de Bernard. Un mélange de gravité et de résignation, liées par une inquiétude qui ne demande pas grand-chose pour se transformer en peur. Il le connaît bien son patron. Il sait comment il fonctionne. Mais la situation qui se présente est nouvelle et inédite

- Quand est-ce que tu as reçu ce message ? lui demande Bernard.

- A l'instant. J'étais à l'apéro avec les copains.

Du message, Bernard en fait une toute autre interprétation. C'est concis. Mais ce qu'il lit le bouleverse au plus haut point et cela dépasse son entendement. Il laisse sa main gauche tenant le message abattre lourdement sur le bureau chargé d'histoire, tandis qu'il porte sa main droite à son front, oubliant l'encre encore fraîche. Antoine-Hubert saisit à pleine main les accoudoirs et se redresse vivement. Des signes alarmant viennent d'apparaître sur Bernard, un léger vacillement, un voile de transpiration luire sur le front et sous le nez. Une sueur froide. Bernard tente de se lever en s'appuyant sur le bureau. Difficilement. Comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. Mais à ce moment précis, ce n'est plus une métaphore. Sa respiration s'accélère et devient saccadée. Bernard hyperventile. Antoine-Hubert bondit de son fauteuil et se précipite sur le téléphone. Sans hésitation, il appuie sur la touche rouge. 

  - Laisse ! Tonio ! Ça va aller, le rassure Bernard. 

A peine 5 secondes viennent de s'écouler, que la grande porte du bureau s'ouvre, laissant apparaître l'huissier et le garde. Bernard pose sa main sur le rebord de la cheminée lui faisant dos. 

- Faites venir le toubib ! Ordonne Antoine-Hubert.

- Non ! C'est juste passager. Je me suis levé un peu trop vite. J'ai la tête qui tourne un peu, c'est tout. Vous pouvez reprendre vos postes.

Le garde et l'huissier échangent un regard, puis après un léger moment de flottement, Antoine-Hubert lâche prise. 

- Bon ! Il a décidé que ça va mieux, merci messieurs. Refermez la porte derrière vous.

Bernard se redresse et inspire profondément. Il dénoue sa cravate bleue marine puis déboutonne son col de chemise. Bernard respire profondément et retrouve un peu de vigueur. son air est grave. Antoine-Hubert ne le lâche pas du regard. Il en vient à croiser les bras en se demandant quel a quel cirque il vient d'assister. Bernard sent le poids du regard de son conseiller.

- Ne t'inquiète pas, Tonio... Je vais bien.

Antoine-Hubert gonfle ses joues et dodeline de la tête. Il lui répond :

- Ce n'est pas l'impression de que tu donnes, mon Nanard. Regarde-toi, tu ne tiens pas sur tes guibolles ! 

Bernard traverse le grand bureau, haut de plafond et richement décoré, d'un pas lourd et lent, pour se diriger vers la grande fenêtre. Point d'observation sans pareil pour apprécier le jardin de 2 hectares. Jardin d'habitude d'une grande étendue verte, sans défaut, coupée au millimètre. D'ailleurs, ce ne sont pas des jardiniers qui tondent la pelouse. Ce sont des coiffeurs chèrement payés. Mais avec les pluies, le jardin n'est devenu accessible que par des planches de bois disposées en longueur, et posées sur des parpaings. Le jardin est noyé sous une nappe d'eau qui lui donne l'étrange effet d'un miroir poilu. Antoine-Hubert comprend aussitôt que ce message pourtant anodin, contient un sens caché qui vient de secouer psychologiquement son destinataire. quelque chose qu'il ne maîtrise pas.

Nanard ? Tu es en train de me faire chier dans mon froc. Marguerite Térébenthine, c'est qui ?

Bernard se retourne pour lui faire face et soupire un grand coup, les mains jointes sur ses reins, la résignation à son comble.

- Marguerite térébenthine ce n'est pas qui, mais plutôt quoi, lui répond Bernard, apparemment abasourdi.    

Antoine-Hubert liste mentalement tous les événements qui pourraient porter un coup fatal à son patron. Mais rien qui puisse véritablement le mettre dans un état pareil. Il s'agit de quelque chose de nouveau, dont il n'a pas encore connaissance. Pour s'enquérir de son moral et de sa santé, Antoine-Hubert s'approche et pose sa main sur l'épaule de Bernard. Il le secoue doucement pour lui faire reprendre ses esprits.

Secouer, c'est un réflexe chez tout le monde. Quand quelque chose ne fonctionne plus ou quand cette chose n'a pas la réaction attendue. Le premier réflexe est de secouer. On espère provoquer un choc, la remise en place initiale d'une pièce défaillante, ou inopinément sortie de la mécanique. Une personne inconsciente : on la secoue pour lui faire reprendre conscience, à tort. La télécommande qui ne répond plus : on la secoue pour remettre les piles en place, à tort, c'est plus simple de les changer. Notez par ailleurs cette réaction tout aussi stupide, d'appuyer plus fortement sur les touches, quand les piles sont presque à plat. Un distributeur de confiserie : on le secoue quand la gourmandise se trouve coincée entre la vrille de distribution et le socle. C'est très énervant. Dans cette situation, on secoue. On secoue même très fort. A raison cette fois-ci, pour obtenir son dû.

- Oh ? Mon Nanard ? Reprends-toi. Qu'est-ce qui ce passe ? On dirait que c'est la fin du monde ? demande Antoine-Hubert, conscient de rater quelque chose.

Bernard glisse ses mains dans les poches de son pantalon. Il redresse la tête, le front maculé d'encre, visiblement troublé. Après avoir attendu quelques secondes, il lui répond sur un ton abrupt, teinté d'un zeste d'ironie :

- Bah... ça ne va pas tarder !

Il suffit d'un homme pour écrire l'histoire d'un pays. Parfois même, il suffit juste d'un homme pour écrire simplement l'histoire. Une déclaration, une révolution, une élection, une avancée sociale, une découverte, etc.

L'histoire se souviendra de ces hommes.

Mais au moment où Bernard DELALLOUZE, Président de la République Française, voit se décomposer le visage de son chef d'état-major particulier, le général de corps d'armée Antoine-Hubert DARTILLERY DE CAMPAGNE, il ne sait pas s'il restera des hommes pour perpétuer l'histoire.


..., comme tous les Français, Antoine-Hubert fut surpris de constater qu'à la place d'un rideau de pluie froide et démoralisante, se dressait fièrement l'astre du jour, sur un ciel bleu immaculé, par la fenêtre de sa chambre. Il s'était demandé comment la météorologie nationale avait pu se planter à ce point, en se souvenant de la carte de France de la météo de la veille, totalement grise et parsemée de nuages noirs. Se tromper à ce point ne pouvait relever que d'un grave dysfonctionnement matériel, ou d'un prévisionniste sous psychotropes. Où les deux à la fois. Finalement, il s'en foutait éperdument. Il quitta sa résidence de Meudon pour rejoindre l'Elysée, à bord d'une voiture avec chauffeur. Par la fenêtre de la portière, il put constater le bienfait de la chaleur et du beau temps sur ses concitoyens. Les jupes avaient raccourcis. Les lunettes de soleil étaient de sortie. Sourire et plénitude sur les visages. C'est bon pour le moral, comme le dit la chanson. Et le moral est aussi une affaire de militaires. Le changement radical de météo alimentait toutes les conversations. Dans la matinée, il avait expédié les affaires courantes avec une légèreté qui ne lui était pas coutumière. Il s'était fait prendre par l'atmosphère générale, de corps d'armée, mais surtout joyeuse et enfin détendue. Un soulagement pour tous. Même les paraskevidékatriaphobes en avaient oublié leur superstition, en ce jour supposé de malheur, balayé par la joie du beau temps revenu. Il avait hâte d'être au déjeuné. Antoine-Hubert tenait à respecter les traditions. Celle du déjeuner chez Raoul, ancien légionnaire, qui tenait le restaurant « L'ordinaire » rue Boissy d'Anglas. Un entraînement gustatif avant la réception au ministère de la Défense. Réception qui devait se dérouler le soir même. Le point d'extraction se situait au bar de l'Elysée, pour l'apéro. C'est à cet endroit précis, le point de rendez-vous stratégique, qu'Antoine-Hubert se rendit, le képi sous le bras, portant fièrement son uniforme beige, et habillé d'une chemise blanche ainsi que d'une cravate noire. Le Contre-amiral Pierrick LEBULOT l'attendait un verre à la main, accoudé au zinc d'époque et lustré à outrance. Outrance n'étant pas une plage du débarquement en Normandie. Pierrick LEBULOT est né le 25 juin 1955, à Brest. Diplômé de l'École navale, il est affecté sur sous-marin d'attaque et lanceurs d'engins. Il effectue tous les types de missions. Il suit les cours du collège interarmées de défense, pour prendre les fonctions de commandant en second, du sous-marin nucléaire lanceur d'engins de dernière génération : " l'Inébranlable ". Ses capacités sont remarquées. Cependant et pour d'obscures raisons, il ne prendra pas le commandement de ce bâtiment. En 2002, il rejoint l'état-major de l'amiral commandant la force océanique stratégique et des forces sous-marines. En 2005, il est auditeur de l'Institut des hautes études de la défense nationale et du centre des hautes études militaires. Institut où il croisera Antoine-Hubert DARTILLERY DE CAMPAGNE. Le courant passe facilement entre les deux hommes. En 2006, il est nommé sous-chef d'état-major « opérations » à l'état-major des armées. Début 2008, il est vivement recommandé à Antoine-Hubert DARTILLERY DE CAMPAGNE par le chef d'état-major de la Marine, l'Amiral Omar LABISQUE-KOULIBIAC DE LOTTE, pour intégrer l'état-major particulier du Président. Malgré un âge mûr, Pierrick est un homme aux traits fins, les yeux bleus azur, portant avec fierté la Bretagne dans son cœur, comme il porte ses décorations sur son uniforme. En particulier, la médaille d'argent de la Défense nationale avec agrafe « Sous-marins ». Antoine-Hubert s'approcha et déposa son képi sur le bar.

- Alors, la marine ? Paré à manœuvrer ? Lui lança-t-il gaiement.

Pierrick leva son verre, en signe de salut.

- Tu m'étonnes ! Répondit-il en le portant à sa bouche.

- Tu es tout seul ? Où sont les autres ? Demanda Antoine-Hubert, étonné.

- Ils ne vont pas tarder. Euh... Par contre, Jean-François risque d'être, lui, un peu plus en retard. Il est allé faire un petit tour au service des archives et de la documentation. Histoire de faire des recherches « approfondies », lâche malicieusement Pierrick, en haussant les sourcils, plusieurs fois de suite.

Antoine-Hubert devine soudain l'intérêt des archives pour Jean-François. Le général de division Jean-François LEAUBUDE-MORTIER, représentant l'armée de Terre à l'état-major particulier du Président, avait fait connaissance avec une des employées du service des archives.

- Il tente toujours de draguer la petite blonde quinquagénaire, coupe de cheveux au carré, col « Claudine », un peu ronde avec des...

Antoine-Hubert ne termina pas sa phrase et mima de ses deux mains, une volumineuse poitrine.

Pierrick posa son verre et prit une profonde inspiration.

- Il faut te tenir au courant Tonio ! Il est passé au niveau supérieur, le « Jean-François ». Depuis trois semaines, les deux tourtereaux s'envoient en l'air dans les rayonnages des archives, avoua-t-il.

Antoine-Hubert ouvrit de grands yeux étonnés.

- Non ? Ici ? A l'Élysée ? S'étonna-t-il.

Pierrick s'esclaffa, puis reprit plus sérieusement.

Tonio... Qu'est-ce que tu veux que Jean-François aille faire aux archives ? Lui répondit-t-il.

Antoine-Hubert fit la moue.

- D'accord ! Et qui est au courant ? Demanda-t-il, curieux.

Pierrick s'avança à distance de conversation intime. Puis s'assurant que personne ne l'écoute :

- A part toi et moi ? Bah, les huit cents personnes qui travaillent à l'Elysée, s'esclaffa Pierrick, de plus belle.

Antoine-Hubert souffla d'étonnement.

- C'est que la bâtisse est vieille, mal insonorisée, et Jean-François à le coup de rein dévastateur. 

- Voyons, un homme marié...

- Jean-François est un guerrier, tant qu'il y a des territoires à conquérir, il agitera son bâton de maréchal.

- Et bien lui, au moins, il s'éclate, conclue Antoine-Hubert.

Une conversation se fit entendre à l'entrée. Les autres généraux arrivèrent pour rejoindre l'équipe. Le général de brigade aérienne Francis LESCADRE, représentant l'armée de l'air. Un homme plutôt jeune, un tantinet prétentieux et dragueur, blond avec des yeux bleus. Il est suivi du général de division Maurice LE PREVOT, représentant la Gendarmerie. Ce dernier est rondouillard, plutôt jovial, avec un fort accent du sud-ouest. Il porte une inévitable moustache fournie et grisonnante, perpétuant ainsi une tradition dans cette arme. Et pour finir, le Médecin général inspecteur François-Xavier LERNIE-DISQUALLE, représentant les services de santé des armées. Un guadeloupéen plutôt bien bâti, grisonnant et des petites lunettes rondes sur le nez. Ce dernier venta la vigueur de Jean-François. Ce qui fit rire les deux autres.

- C'est elle qui l'a chauffé ! remarqua Francis.

- Tu rigoles ? Il lui tourne autour depuis trois mois. Il faut dire qu'elle a des arguments, continua François-Xavier, en faisant référence à la poitrine proéminente de la conquise.

- Ils ne font de mal à personne, modéra Maurice, en haussant les épaules. Vous n'avez jamais cédé à l'appel du personnel féminin, bande d'hypocrites ?

- Jamais ! ajouta promptement Francis. C'est le personnel féminin qui cède à mon charme naturel. Nuance ! Dit-il, en se passant nonchalamment la main dans ses cheveux.

Maurice posa sa main sur son front.

- La prétention de ce mec ! Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd ! reprit-il.

- Et puis entre nous, Jean-François a besoin d'exercice physique. Il a pris du ventre ces derniers temps. Il s'empâte. Donc des galipettes de temps en temps, c'est bon pour son cœur, au sens propre comme au sens figuré, termina François-Xavier.

Pierrick et Antoine-Hubert se retournèrent pour leur faire face.

- Alors ? demanda Antoine-Hubert.

- Jean-François va avoir un peu de retard, conclut François-Xavier.

Éclat de rire général des généraux.

- Alors buvons un coup à sa santé ! proclama Antoine-Hubert en posant ses mains à plat sur le zinc.

Le barman arrive. Un jeune homme lisse, sans aspérités, tiré à quatre épingles.

- Que puis-je vous servir, mon général ? demanda le jeune homme.

- Pour moi, un whisky.

- Pour moi, la même chose que Pierrick, ajouta François-Xavier.

- Un Armagnac ! ordonna Maurice.

- Pareil que le patron, demanda Francis.

- Scotch ? Bourbon ? demanda le Barman en ouvrant la porte métallique du meuble bas derrière le comptoir.

Pierrick étouffa un rire derrière son verre. Antoine-Hubert afficha un large sourire.

- Tu es nouveau toi ! dit-il au barman en le pointant du doigt.

- Euh... Oui, mon général, balbutia le barman.

- Tu n'as pas encore tes marques ! Comment tu t'appelles ?

- Nestor, mon général.

- Très bien, Nestor ! Voilà comment ça fonctionne ici. Qu'est-ce que tu vois sur mon épaule ? demanda Antoine-Hubert en se penchant en avant et en tapotant de l'index sur sa veste.

- Euh... De la passementerie dorée, mon général.

- Quand tu vois ce genre de truc apparaître, tu ne sers pas le tout venant. Nous avons notre propre réserve. Elle se trouve derrière, l'informa gentiment Antoine-Hubert.

- Je ne savais pas, mon général.

- C'est normal. C'est une information classifiée secret défense, plaisanta Francis.

- Et puis ne t'avise pas de désobéir aux ordres, sinon c'est la cour martiale, conclut Maurice.

Nestor s'exécuta. En pénétrant dans la réserve, il trouva ce à quoi les militaires faisaient référence. Un trésor pour amateur. Des bouteilles rares, contenant chacune un précieux nectar venu des quatre coins du monde, finement travaillé et patiemment vieilli. Tandis que Nestor prenait ses nouvelles marques, Pierrick s'enquit de la situation du Président.

- Tu as vu Bernard ce matin ? Demanda-t-il à Antoine-Hubert.

- Non. Comme il n'y avait rien dans le rapport de défense, j'ai jugé bon de ne pas le déranger. Il a une journée chargée, puis de toute manière, on le voit à la réception, ce soir.

Maurice intervient, plus grave.

- Ce que Pierrick voulait dire c'est : Est-ce qu'il est en état de diriger la France ?

Antoine-Hubert fit la moue.

- J'avoue que c'est un peu tendu en ce moment.

- Tendu ? Tonio ! S'il te plaît ! Redescends sur terre, c'est carrément intenable : la France navigue à vue. On est en roue libre ! Maugréa Maurice.

- On se demande qui tient la barre. Parole de marin, ajouta Pierrick.

- C'est Bernard DELALLOUZE qui tient la barre, lâcha Antoine-Hubert un brin agacé.

- La barre d'un navire qui est en train de sombrer. C'est le Titanic ton affaire, continua Pierrick.

- Messieurs, je tiens à vous rappeler que Bernard a été réélu au suffrage universel. Aussi surprenant que cela puisse l'être. Les français lui font confiance. Nous devons faire la même chose, ordonna sèchement Antoine-Hubert.

François-Xavier dodelina de la tête.

- Admets quand même que, depuis début mai, nous sommes dans le noir le plus complet, foi de guadeloupéen, renchérit-il.

Antoine-Hubert convint que la situation politique de la France n'était pas au plus haut, en lâchant un long soupire par le nez.

- D'accord. J'admets, c'est vrai. C'est du jamais vu. Mais finalement, ça marche quand même, remarqua-t-il.

Pierrick LEBULOT retint un rire contenu.

- Tu es un optimiste, se surprit-il à dire.

- Tu parles du bateau ? Plaisanta Antoine-Hubert.

- Non, je parle de ta manière d'aborder la situation. Nous sommes dans une crise politique sans précédent, à l'arrêt complet, et tu arrives à y voir quelque chose de positif ?

Nestor arriva de la réserve avec un plateau sur lequel, les verres sont disposés sur de petites serviettes en papier, dentelées. Exclamation de satisfaction des généraux. Chacun s'approcha pour prendre son verre. Antoine-Hubert reprit le fil de la conversation.

- C'est parce que je suis réaliste, Pierro. Je constate simplement que sans la politique, la France s'en sort plutôt pas mal, depuis deux mois.

- Tonio, même l'homme le plus réaliste de France sait que Bernard garde sa légitimité, grâce à Abdelkader. C'est Abdelkader qui est vraiment aux commandes.

François-Xavier souffla d'étonnement.

- Tu m'étonnes ! Je me demande encore comment il a bien pu faire, pour supporter toute cette pression. Indéboulonnable le Kader !

- Parce qu'il y croyait certainement plus que nous tous réunis, suggéra Antoine-Hubert, plus grave, en portant son verre à sa bouche.

- C'est surtout grâce à l'inattendue réélection de Bernard. Désormais, il tient tout le monde par les roubignolles, constata Maurice en alliant le geste à la parole.

- Si c'est un coup de poker, c'est sacrément bien joué ! Continua Francis.

- Si c'est un coup de poker, ça confirme qu'Abdelkader est un grand malade, tempéra François-Xavier.

- Ou un grand stratège dont on doit s'inspirer, conclut Antoine-Hubert, du bout des lèvres.

La dernière phrase cloua un silence dans le bar pendant quelques secondes. Il reprit.

- Enfin bref ! Ça ne bougera plus avant septembre maintenant. Bernard ne fera aucune déclaration durant la période estivale. Cela n'a aucun intérêt.

A l'angle de la pièce réservée au bar, le secrétaire général de l'Elysée, Riszard SZAVACHEMARR, apparaît. L'homme est grand, élancé, les tempes grisonnantes et dégage un charme slave.

- Alors les filles ? On discute chiffons ! S'exclama-t-il en voyant le groupe.

- Ah ! Voilà le polack ! Nestor, un trait de Vodka pour monsieur, ordonna Antoine-Hubert.

Riszard approuva, en indiquant au barman, une dose réduite entre son pouce et son index. Nestor s'exécuta.

- Oui, mais alors une dose à coller un léger mal de crâne à une fourmi... J'ai un métier, moi... Je bosse ! répondit-il en plaisantant.

- Tu dois être en plein boum ? devina Francis.

- Je n'arrête pas. Je les ai tous sur le dos, se plaint Riszard.

- Tu viens becqueter avec nous ? proposa Pierrick. On va chez Raoul, comme chaque année.

Riszard avala  son verre d'un trait et déclina l'invitation d'un signe négatif de la tête.

- Non. Désolé les gars ! J'ai le service du protocole qui me colle aux fesses avec l'arrivée du Président du parlement européen. Et je ne vous parle pas du reste.

Le téléphone du bar se mit à sonner. Nestor décrocha.

- Oui... Oui... Oui ! Il est effectivement ici, je vous le passe.

Nestor s'approcha d'Antoine-Hubert et lui tendit le téléphone sans fil.

- Mon général, la communication est pour vous, lui dit-il.

Antoine-Hubert fit la moue. Il prit le combiné.

- DARTILLERY DE CAMPAGNE, parlez !

- Mon général, ici le chiffre. Nous avons reçu un message prioritaire crypté à votre attention exclusive.

Antoine-Hubert ouvrit de grands yeux stupéfaits.

- Ah ? Très bien, envoyez-le à mon secrétariat qui traitera.

- C'est votre secrétariat qui nous a informés de votre présence ici. La procédure associée nous ordonne une remise en mains propres, à venir retirer dans nos bureaux, sans délai, mon général.

Antoine-Hubert fronça les sourcils.

- Bon, j'arrive... termina Antoine-Hubert.

Le chef d'état major particulier du président but son verre d'un trait et attrapa son képi, après avoir rendu le téléphone à Nestor.

- Messieurs, le devoir m'appelle...

- Un problème ? Releva Francis.

- Un impondérable, corrigea Antoine-Hubert.

- Tu nous retrouves chez Raoul ? demanda Maurice.

- Non, attendez-moi ici,j'en ai que pour quelques minutes. Ça ne va pas être long.    

Antoine-Hubert quitta ses collègues. Il se demanda ce qui pouvait bien nécessiter une remise en main propre. Normalement, ce sont les messages qui viennent à lui. Pas l'inverse. Faisant totalement confiance au système, il rejoignit le service des télécommunications et de l'informatique. Sa présence fit redresser les têtes, quand il apparut devant le comptoir du bureau de distribution.

- Mon général ! Voici le message.

L'employé lui délivra une enveloppe en papier « Kraft ». Puis il lui présenta le registre de remise des messages. Antoine-Hubert le signa avec un stylo à disposition. Puis, en lançant un regard interrogatif à l'employé, il lui demanda :

- Vous êtes sûr de ne pas vous être trompé ?

- Sûr et certain, mon général. Nous avons reçu ces directives précises par le « chiffre ». À remettre en mains propres, donc sans intermédiaire.

La curiosité piqua Antoine-Hubert. Il arracha l'enveloppe et en sortit une seconde plus petite, tamponnée à l'encre rouge : FLASH et SECRET DEFENSE.

Il s'éloigna du comptoir et avança vers le local du « chiffre » situé à côté du bureau des distributions. Antoine-Hubert glissa son index dans le trou du rabat de l'enveloppe et la déchira d'un coup. Quand il découvrit le contenu du message, il fut premièrement estomaqué, puis il crut à une blague :

       

- Mais ? C'est quoi, ce bordel ? S'exclama-t-il dans le couloir.

Il fourra sa main dans sa poche de pantalon pour en sortir son badge d'accès. D'un pas décidé, il se présenta devant la porte du bureau du « chiffre » verrouillée par un système de condamnation électromagnétique. Antoine-Hubert passa son badge devant le boîtier de reconnaissance illuminé d'un voyant rouge, qui passa au vert, tout en faisant entendre un cliquetis mécanique dans la porte. Il la tira. Il se retrouva en face d'une seconde porte verrouillée. Cependant, l'accès ne peut avoir lieu que si une personne présente à l'intérieur du local, en commande l'ouverture, via une petite caméra située dans le sas. Antoine-Hubert n'eut pas à attendre longtemps. Car lui-même était attendu. C'était entendu. Quand la porte s'ouvrit, les militaires présents dans le local sécurisé se levèrent, au garde-à-vous.

- Repos, repos... Je suppose que vous savez déjà pourquoi je suis ici ? dit-il en présentant le message.

Le lieutenant responsable du service s'approcha et se présenta à son supérieur.

- Nous nous en doutions, mon général.

- Alors expliquez-moi, comment ceci a-t-il bien pu arriver ?

Le Lieutenant l'invita à s'approcher de son écran et commença à lui expliquer.

- Toutes les transmissions transitent par notre service en départ et en arrivée. Elles sont cryptées, décryptées, puis traitées en fonction de leur importance en termes de distribution. C'est le système informatique qui classe de lui-même les messages après décryptage, selon leur importance. Un message FLASH viendra automatiquement se placer en première position en traitement. Puis ensuite, ce message est distribué en fonction de sa classification, diffusion restreinte, confidentiel défense, secret défense,  et les autres...

- Je connais tout ceci, Lieutenant.

- Cependant, mon général, nous ne gérons pas les accréditations. C'est un autre service qui les donne. Alors quand nous avons reçu ce message, correctement formaté, émanant d'une source non militaire, avec la classification Ultra Zéro, je vous avoue que nous avons eu d'énormes doutes.

- Vous pouviez, Lieutenant, vous pouviez...

La classification spéciale Ultra Zéro détermine un acte d'agression contre le territoire français et contre la population, par des troupes militaires entraînées et équipées, sous bannière. Cet acte d'agression a pour objectif l'envahissement d'un espace pour s'en rendre maître, parce qu'il représente un intérêt stratégique pour la nation belligérante. Cette alerte peut être déclenchée par plusieurs réseaux : le réseau diplomatique, les services de renseignements militaires et les forces armées. Bien que hautement improbable en 2012, et ceci depuis la fin de la guerre froide, cette classification est resté active. Antoine-Hubert resta dubitatif. Le lieutenant ne put donner plus d'explications. Il reprit.

- Que le ministère de l'Intérieur soit habilité à utiliser la classification Ultra Zéro nous dépasse totalement. Alors durant le traitement du message, j'ai pris la décision d'appeler le service des accréditations, en pensant toutefois à un plantage du système informatique.

Antoine-Hubert soupira et croisa ses bras.

- Et ? demanda-t-il, impatient de la réponse.

- Et le croisement des accréditations est valide et opérationnel.

- Vous êtes en train de me dire qu'un service lambda du ministère de l'Intérieur, a accès au réseau chiffré des militaires ?

Le lieutenant secoua vivement la tête de bas en haut, approuvant totalement les propos du général.

- Oui et en particulier la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crise. C'est totalement aberrant. Mais vous en avez la preuve sous les yeux, mon général.

- Encore un coup d'Abdelkader... Il va m'entendre celui-là... pensa Antoine-Hubert.

- Dernière question : Qui a approuvé cette accréditation ? reprit-t-il.

- Cette accréditation a été approuvée par le Président lui-même, répondit le lieutenant.

Antoine-Hubert écarta ses bras et les lassa lourdement tomber sur ses cuisses.

- Bah voyons ! Maugréa-t-il.

Cela ne pouvait être qu'une mauvaise plaisanterie. Le général de corps d'armée tourna les talons. Il glissa le message dans l'enveloppe et quitta le local du « chiffre ». Un ordre étant un ordre, il devait informer Bernard de l'arrivée imminente de Marguerite Térébenthine. En espérant que cela n'allait pas le mettre en retard pour le restaurant.


..., Bernard semble totalement déboussolé. Antoine-Hubert le dévisage longuement, tente de comprendre sa dernière phrase en en minimisant involontairement la gravité.

- Comment-ça ? Ça ne va pas tarder ? Qu'est-ce qu'il se passe ? demande Antoine-Hubert, soudainement grave.

Bernard lâche un long soupir, puis sans répondre, il retourne vers son bureau. Il appuie sur une touche du téléphone pour appeler sa chef de cabinet.

- Clémentine ?

- Oui, Monsieur le Président ?

- Je descends au QG JUPITER avec Antoine-Hubert, je ne suis disponible pour personne. 
Annulez tous mes rendez-vous jusqu'à nouvel ordre.

- Bien, Monsieur le Président.

Antoine-Hubert ne saisit pas la portée du message, mais en perçoit la gravité par l'attitude de son patron. Quelque chose vient d'arriver. Quelque chose qui implique la sécurité nationale, sans qu'aucune alerte ne soit remontée par les autres services. Antoine-Hubert sort de ses gongs.

- Mais, bordel de dieu, tu vas me dire ce qu'il se passe ? L'invective -t-il en écartant ses bras de son corps.

Bernard se retourne, terriblement accablé. Il reste silencieux. Antoine-Hubert est à des années-lumière de se douter de ce qui l'attend.

- On descend par l'escalier de mes appartements, ordonne Bernard. Je t'en dirai plus arrivé en bas.

Bernard laisse vagabonder son regard dans le bureau présidentiel, une dernière fois, comme si désormais, tout n'avait plus d'importance.

On accède au bunker de l'Elysée par deux entrées. Soit celle des jardins, soit par les appartements particuliers du Président, dans l'aile « Est », en descendant un escalier exigu. Ces deux accès mènent au sous-sol du palais. On ne sait véritablement pas à quelle profondeur se situe le bunker. Secret de fabrication. D'ailleurs, personne dans les années 70 n'a vu le résultat de l'excavation. L'excavation de ces tonnes de terre, arrachées au sous-sol élyséen, a été méticuleusement encadrée. Travaux cachés par des bâches des regards satellitaires indirects. Camion-bennes protégés eux aussi par des bâches et déchargeant leur cargaison sur des sites militaires. Aucune information ne devait filtrer. Pas même le résultat de l'excavation qui, pour un agent du KGB de l'époque, aurait donné des informations de premier ordre, telle la composition des terres, pour en évaluer la profondeur du site. Ou en calculant le volume extrait, pour mesurer la taille du bunker. De nombreuses fois, des camions repartaient à vide, pour leurrer l'adversaire. Bernard et Antoine-Hubert empruntent l'escalier exigu qui les mène au premier sous-sol, point de convergence de l'entrée par les jardins. Antoine-Hubert et Bernard arrivent au seuil d'une porte blindée. Cette dernière ressemblant à un sas de sous-marin, d'un gris foncé, sans aucune indication ni hublot, arrondie en haut et en bas, épaisse, et fortement rivetée. Il n'y a aucune poignée d'ouverture, juste un boitier de lecture de carte avec un clavier numérique encastré dans le mur sur la droite. Une caméra positionnée en hauteur complète le dispositif. C'est Antoine-Hubert qui présente sa carte et entre son code. Bernard est plongé dans ses pensées tandis que la lourde porte blindée s'ouvre. L'ouverture est automatique et est assistée par deux gros vérins hydrauliques. La porte blindée s'ouvre sur un escalier qui s'enfonce dans les profondeurs de la terre. A chaque palier, des portes coulissantes sont prêtes à se refermer, complétant le dispositif d'isolation totale. Leurs talons résonnent sur le béton. Bernard n'a pas lâché un mot, Antoine-Hubert est dans l'attente. Arrivés enfin en bas, les deux hommes se retrouvent dans une petite salle très éclairée et blanche. Devant eux, le secret le mieux gardé de la République. En face de l'escalier se trouve le premier sas de protection, massif et hermétique. Il s'agit d'un sas coulissant blindé. Sur ce dernier est reproduit le visage de Marianne, entre deux lettres : 

- R et F

Et au dessus, en police d'écriture lourde et militaire, aux angles biseautés :

- JUPITER

Le sas s'ouvre dans un grondement sourd. Bernard et Antoine-Hubert passent le sas et attendent qu'il se referme sur eux. En face, le second et dernier sas. Sur leur droite, un local vitré laisse apparaître trois gardes républicains armés. Ils se tiennent debout, au garde-à-vous. Antoine-Hubert adresse un petit signe de la tête au capitaine. Ce dernier ordonne le repos aux deux autres. Le capitaine enclenche l'interphone.

- Veuillez respecter la procédure d'identification et vous positionner sur le marquage au sol, je vous prie.

Bernard s'avance et se place devant un large trait rouge.

- Bernard DELALLOUZE, Président de la République, code d'identification LIBELLULE.

Derrière la vitre, les systèmes d'identification utilisant la biométrie et la voix, se conjuguent à la lecture de la puce électronique contenue dans la carte d'accès. Antoine-Hubert remplace Bernard devant le trait.

- Antoine-Hubert DARTILLERY DE CAMPAGNE, chef d'état-major particulier du Président, code d'identification MARTEAU DE GUERRE.

Le second sas s'ouvre.

- Monsieur le Président ?

- Oui, Capitaine ?

- Excusez-moi, mais vous avez de l'encre sur le front.

- Je sais... Je sais...

Le Président et le chef d'état-major particulier pénètrent dans le bunker. Le bunker est un vaste complexe composé de plusieurs pièces. La principale est la salle de commandement. Puis, par un large couloir central et dans le prolongement de la salle de commandement, six autres pièces disposées symétriquement, trois à droite et trois autres à gauche de ce même couloir. On y trouve toute les commodités pour vivre reclus : un dortoir avec lits superposés, des sanitaires, une salle de repos faisant office de salle à manger, un local médical d'urgence, une réserve et la salle de l'état-major avec le matériel de communication ultra sophistiqué de transmission de l'ordre de tir du feu nucléaire. La salle de commandement est la plus grande, sombre et chichement éclairée par un éclairage indirect, suspendu au plafond. Au milieu de cette salle, est installée une large table ronde de couleur noire, la couleur prédominante. Sur celle-ci, des petites bouteilles en plastique contenant de l'eau, des bloc-notes, des crayons et stylos. En face de cette table et face au fauteuil du Président, un mur de cinq écrans géants. Ces écrans géants sont fixés à une armature métallique en hauteur, pour que tous les intervenants puissent les voir. Ces écrans sont reliés au dispositif de communication ultra-sécurisé de la force armée et des autres dispositifs de la défense et de la sécurité civile. Ces écrans sont commandés par un écran tactile intégré dans la table. Le président peut ainsi sélectionner les informations désirées par de simples manipulations et ses interlocuteurs peuvent faire de même. Dans la salle de commandement, il n'y a pas de mobilier superflu ou décoratif. Les seules décorations existantes à ce moment, sont celles qu'exhibent fièrement le chef d'état-major particulier du Président. 

- Bon ! A part jouer les taupes, tu peux me dire ce que l'on fout ici ? Je commence à avoir les crocs ! S'impatiente Antoine-Hubert en posant son képi sur la table.

Bernard traverse la salle de commandement pour se rendre dans la salle de l'état-major, où des officiers assurent la permanence pour le feu nucléaire. Quand Bernard entre, les officiers se lèvent.

- Monsieur le Président ! Lance avec déférence le plus haut gradé. 

Ce dernier remarque immédiatement la mine soucieuse de Bernard. Et sa tache d'encre sur le front. Ne se permettant aucun commentaire, il attend les ordres. Et ces derniers lui font l'effet d'une gifle.

- Vous et vos hommes allez quitter vos postes immédiatement, ordonne Bernard.

- Euh... Pardon ? Balbutie le chef de la permanence, proprement estomaqué.

Bernard ne s'énerve pas. Le regard vide, il se répète mécaniquement.

- Vous avez bien compris. Vous et vos hommes, qui assurez la permanence, allez quitter vos postes et rejoindre la surface. Je ne veux plus personne ici.

Les officiers s'échangent des regards inquiets.

- Monsieur le Président. Si justement nous assurons la permanence, c'est pour qu'il y ait toujours quelqu'un ici. Je...

Antoine-Hubert apparaît derrière Bernard, plutôt dépité.

- Mon général ! L'interpelle le chef de la permanence, pensant qu'il vient à son secours.

Antoine-Hubert souffle de lassitude.

- Ne cherche pas, petit ! Fais ce que le monsieur te demande ! Lâche-t-il abruptement.

- Bien...

Les membres de la permanence quittent le bunker, plutôt interloqués. En voyant la porte coulissante se refermer, Antoine-Hubert s'exclame ironiquement :

- Super ! Nous voilà à poil ! Nous sommes dans l'incapacité d'envoyer nos suppositoires atomiques. Alors, maintenant, tu vas arrêter tes conneries, et tu vas vite me dire ce qu'il se passe ! 

Mais Bernard reste silencieux. Il s'installe sur son fauteuil et fait glisser ses doigts sur l'écran tactile. Il sélectionne un menu d'où apparaît un organigramme. Organigramme dont la racine appartient au ministère de l'Intérieur. Il le développe jusqu'à la Direction Générale de la sécurité Civile et de la Gestion de Crise. A côté du carré final de cette direction, un autre carré est rattaché, dont l'identification est simplement MT.

MT pour Marguerite Térébenthine.

Le Président appuie dessus. L'écran central sort de sa veille et s'illumine doucement.

- Connexion en cours...

Bernard vient d'établir une communication vidéo sécurisée. Antoine-Hubert est resté debout, les poings sur ses hanches. Il tape du bout du pied en faisant la moue.

- Bernard ? Tu vas me répondre, oui ou merde ? S'énerve-t-il.

Bernard pose ses coudes sur la table et joint le bout des doigts de ses deux mains. Il va lui dévoiler le véritable sens du message qu'il vient de recevoir. Un message lourd de conséquence.

- Marguerite Térébenthine n'est pas une personne. C'est un code pour me signaler l'arrivée d'un événement catastrophique. Un événement catastrophique dépassant de loin toutes les capacités de secours, avoue Bernard.

Antoine-Hubert fronce les sourcils. Il rejoint le Président à la table en tirant son fauteuil et s'assoie, tendant une oreille attentive. Au même instant, l'écran central s'illumine et une image apparaît. Celle d'un homme bourru, visiblement la cinquantaine bien tassée, les traits fatigués, les cheveux grisonnants en bataille, ainsi qu'une barbe non entretenue toute aussi grisonnante. Il porte une chemise hawaïenne sous une blouse blanche de scientifique. Ses paroles portent le chant des habitants de la Provence. Il s'appelle Raoul POISSARD. Son visage est grave, désabusé. Ses yeux sont délavés et rouges. Des cernes bleutées et creuses complètent sa peine à voir. Autour de lui, flottent les volutes de fumée de cigarettes. Raoul tire une dernière bouffée et écrase son mégot dans un lourd cendrier en marbre débordant. Indice qui laisse deviner une journée particulièrement pénible. Raoul va faire la pire annonce que l'on peut faire à un homme d'état.

La fin du monde est inéluctable.

Mais pire : elle est imminente.

M'sieur le Président ! Lâche Raoul en accompagnant sa politesse d'un geste de la main, en joignant son index et son majeur droit sur sa tempe.

- Je ne souhaitais jamais vous revoir, Raoul. Dit Bernard.

Moi non plus... souffle-t-il, accablé.

- Je suppose que la menace est bien réelle...

Raoul ne peut retenir un soupir de lassitude. Puis, totalement déconfit, il lâche la phrase qui sonne comme une sentence :

On a maximum cinq jours. C'est global et terrifiant.

Antoine-Hubert se tourne vers Bernard et lui demande :

- Mais de quoi il parle ?

Bernard se tourne vers Antoine-Hubert et posément, en le regardant fixement dans les yeux, lui annonce l'improbable.

- La fin du monde, Tonio... Nous allons vers un scénario de la fin du monde.

Antoine-Hubert s'esclaffe.

- Tu déconnes ? 

Bernard laisse quelques secondes à Antoine-Hubert, afin qu'il prenne la véritable mesure des choses.  L'information infuse lentement dans son crâne qui lui sert de théière. Bernard ne plaisante pas. La situation est hors protocole. Antoine-Hubert ne sait véritablement pas quoi en penser. Puis Bernard reprend avec Raoul. 

- Vous avez évalué la menace ?

Oui. Nous faisons face à une crise sans précédent, M'sieur le Président. Ça dépasse nos pires spéculations.

C'est la spéculation qui a fait basculer le monde dans la crise et maintenant s'annonce une nouvelle crise sur laquelle il va falloir spéculer. « Crise » et « spéculation » dans une même phrase, sont des mots que Bernard ne souhaite plus entendre, depuis l'affaire des « subprimes ». Antoine-Hubert reste immobile, bouche bée. Raoul commence son terrifiant exposé. Les chiffres sont vertigineux, difficilement envisageables. Raoul fait défiler cartes, photographies, statistiques, données en tout genre. Puis il conclue.

Voilà, M'sieur le Président. C'est gros ce qui va se passer. 

Exprimant son fatalisme par un long soupir, Bernard se tourne vers son chef d'État-Major particulier. Il veut son avis. Le militaire n'a pas bougé. Il n'a pas cillé à l'annonce et encaisse froidement la nouvelle. Né le 6 juin 1950, à Paris, le général de corps d'armée Antoine-Hubert DARTILLERY de CAMPAGNE est un homme loyal, fiable et ignorant le doute. Tout petit déjà, Antoine-Hubert savait que son avenir était destiné à la grande muette. Comme Papa. Fruit de l'amour du général d'armée Xavier-Hughes DARTILLERY DE CAMPAGNE, résistant de la première heure et de Marjolaine CHERAC-HANON. Il intègre rapidement l'école spéciale militaire de Saint-Cyr pour se destiner aux plus hautes fonctions. Il participe à la mission militaire Française de liaison, près du haut commandement soviétique en Allemagne. Durant sa carrière, il participe aux opérations majeures engageant les forces françaises. Il rédige des rapports, qui le conduiront à rejoindre la formation militaire de Saint-Cyr. Plus particulièrement la mission opérationnelle de formation au comportement militaire (FCM) de la grande école,dans laquelle il excelle. Il participera à la préparation aux missions d'environnement du C.O.S, Commandement des Opérations Spéciales, dans le cadre de la formation, du conseil et de l'encadrement. A la Direction Générale de l'Enseignement et de la Recherche, ses études sur les processus d'évaluation et d'aide à la décision sur un théâtre d'opération, le font remarquer. À sa plus grande surprise, il sera « short-listé » pour répondre à la fonction de chef d'État-major particulier du Président Bernard DELALLOUZE, nouvellement élu en 2007. Il acceptera. Affichant désormais un certain âge, sa corpulence laisse transparaître une belle forme physique. Le cheveu coupé court, bien dégagé autour des oreilles. L'expression grave des stratèges et la tête disposée sur ses épaules, comme une tourelle de char « Leclerc » sur son châssis. Il est stoïque, immobile. Il est en situation. L'esprit affûté comme la lame d'un sabre.    

Un lourd silence s'installe et les secondes qui passent sont de plomb. Bernard joint ses mains sur sa nuque. Antoine-Hubert réagit aux propos de Raoul.

- Concernant la Méditerranée, vous êtes absolument sûr de ce que vous annoncez ?

Raoul fouille sur son bureau et en tire une feuille qu'il regarde avec attention.

- Selon le relèvement des données et des trajectoires, oui. Maintenant... J'dis ça... J'dis rien !

- Comprenons-nous bien, Raoul. J'ai besoin de me baser sur des informations fiables, prévient Antoine-Hubert.

- Toutes les simulations que nous avons faites nous donnent le même résultat. Considérez-les comme fiables, finit par admettre Raoul. 

- Bien ! Nous sommes combien à connaître cette information, demande Bernard, conscient de la sensibilité de l'événement.

Je ne sais pas, M'sieur le Président. A présent, nous sommes quatre, vous deux et nous deux.

Antoine-Hubert réagit assez durement en écoutant la réponse.

- C'est capital de savoir combien de personnes sont au courant, Raoul. Nous devons maîtriser l'information.

- Dans le monde je ne sais pas. Je ne sais pas parce que...

Raoul se mord la lèvre inférieure. Il semble embarrassé. Antoine-Hubert capte son tourment. Une légère angoisse le prend.

- Parce que quoi ? demande-t-il sèchement.

Bernard se surprend à donner un léger coup de pied sous la table pour calmer Antoine-Hubert. Ce dernier comprend le message et laisse à Raoul le temps de donner une réponse.

Je ne sais pas parce que les dernières informations que nous avons reçues, n'ont pas de source authentifiée. Ces informations sortent de nulle part. Et nous n'avons pas de retour, ni de signes qui indiquent que d'autres pays ou organisations, soient au courant,  soupire Raoul en haussant les épaules, pour reprendre aussitôt.

- Cependant, elles correspondent totalement avec les relevés astronomiques. A ceci près que la précision d'observation y est gigantesque et la somme de données à traiter est énorme. Termine-t-il.

Antoine-Hubert secoue la tête, quelque chose lui turlupine furieusement l'hémisphère gauche de son cerveau, centre de la raison.

- Attendez, attendez, attendez... Quand vous dites, " pas de source authentifiée " L'information provient bien d'un télescope au sol ! Donc d'autres personnes sont au courant ! 

Bernard saisit soudain l'angoisse d'Antoine-Hubert. Il est désormais capital de savoir d'où provient cette information pour la contenir. En aucun cas, le grand public ne doit être informé, sous risque de transformer les grandes mégapoles en fêtes foraines. 

- Ces observations ont bien été faites depuis un observatoire avec un télescope puissant. Il ne doit pas y en avoir des dizaines, admet Bernard.

- Oui, c'est ce que nous avons aussi pensé. Mais le rapport d'observation à un angle de 90° par rapport à la trajectoire. Les clichés ont été pris sur le côté. Donc en aucun cas, il ne peut s'agir ni d'un télescope au sol, ni d'un télescope en orbite. Les clichés proviennent d'un engin spatial au confins du système solaire.

Antoine-Hubert se redresse.

- Ecoutez-moi bien : Dans ce cas, il proprement impossible que nous soyons que quatre à connaître cette information. Comment les avez-vous reçu ?

- Sur deux disques durs format SSD, ce sont des....

Antoine-Hubert le coupe sèchement

- On s'en fout, ce n'est pas ce que je demande. Qui vous a apporté ces disques durs ? 

- Chronopost !

Antoine-Hubert explose :

- Chronopost ! D'accord, J'aurai préféré que vous me disiez L'ESA, le CNES, voire le CNRS. Mais c'est Chronopost, OK ! Il y a bien le nom de l'expéditeur sur l'enveloppe ? Non ? 

Silence coupable de Raoul qui se tourne vers son mystérieux collègue hors champs. Bernard intervient auprès d'Antoine-Hubert, qu'il sent de moins en moins investi par le sujet, aux nombre des incohérences relevées. Bernard se veut convaincant, malgré le manque de sérieux que prend la discussion.

Tonio... Je peux comprendre que tu émettes de sérieux doutes. Mais crois moi sur parole. Ces informations sont réelles et il faut vraiment que tu fasses la part des choses. Nous ne sommes pas dans un cadre institutionnel, là. C'est plutôt transversal et hors protocole comme pratique. Si tu trouves le contenant exotique. Le contenu, lui, est bien réel. Je t'en prie, crois moi ! Le supplie Bernard.

Antoine-Hubert plante son regard dans celui du Président de la République. Il est dubitatif et se demande s'il n'est pas en train de perdre de l'adhérence sur la route de la réalité. Et si ce n'était qu'une caméra cachée ? Au même moment, Raoul présente l'étiquette de enveloppe devant l'œil de sa caméra. Bernard et Antoine-Hubert tournent leur tête simultanément vers l'écran.

- Ah oui ! Quand même ! lâche Antoine-Hubert, interloqué.

Sur l'écran, s'affiche un très large :

- Expéditeur : Boulangerie-Pâtisserie " Aux Belles Miches " Rue saint-Lazare Paris 9ème.

- Je t'avais prévenu, Tonio, c'est vraiment du transversal ! Il faut que tu me fasses confiance. Une confiance absolue. Une confiance qui dépasse ton entendement... Une confiance aveugle, termine Bernard dans un souffle.

Antoine-Hubert pose ses mains à plat devant lui. Il respire calmement.

- Tu me jures que ce n'est pas une connerie ? Demande-t-il.

- Je te garantie que tout ce que tu viens d'apprendre de la bouche de Raoul, est vrai, vérifiable. J'ai besoin du militaire, Tonio. J'ai besoin de toi. De tes conseils.

Dans le cerveau d'Antoine-Hubert, le doute disparaît. La machine décisionnaire se met en marche, inéluctable. 

- Donc, je reprends, concernant la Méditerranée, vous êtes sûr de ce que vous avancez ? 

Oui ! 

- Alors il va falloir agir vite... Déclare Antoine-Hubert

- Raoul, préparez-vous à faire un exposé de l'événement au directeur de la DGSCGC, ajoute Bernard.

- Bien, M'sieur le Président. Nous restons à votre disposition.

Bernard appuie sur une touche de la console et coupe la communication. Antoine-Hubert s'étend largement sur son siège en croisant ses doigts derrière sa tête. Il laisse échapper un long sifflement d'étonnement. Ce n'est pas tant la globalité de la catastrophe annoncée qui épate le CEMP, c'est le bouleversement géopolitique qui va s'en suivre. Dans un monde déjà au bord de l'effondrement, où les tensions sont volontairement alimentées, manipulées. Cet événement sera perçu de différentes manières. Mais pour certains, ce sera comme une libération. Cet événement sera très certainement utilisé à des fins politiques, religieuses, guerrières ou autres. Tout sera exploité pour justifier les plus haineuses pulsions humaines. Tout sera utilisé pour acquérir plus de pouvoir. Tout sera utilisé pour conquérir de nouveaux territoires par la force, ou s'emparer de territoires longuement convoités, historiquement revendiqués. Tout sera utilisé pour éliminer l'autre, celui dont la pensée diffère, celui dont la culture diffère, sans parler de la couleur de peau. Tout sera prétexte à la violence. À l'élimination de l'autre. Ce prétexte sanguinaire, animal. Cet événement redessinera une nouvelle carte du monde, pour les siècles à venir.

La remise à « zéro » des compteurs du monde.

Le « reboot » planétaire.

L'esprit stratégique d'Antoine-Hubert réagit froidement à cette finalité. Ce n'est pas l'extinction de l'espèce humaine qui l'inquiète. C'est l'extinction de la France, de sa culture, de son histoire, de sa langue, de ses institutions et de son peuple. Rien ni personne ne doit mettre en défaut sa souveraineté et son rayonnement.

La France est éternelle.

Point barre.

Bernard est abasourdi et silencieux. Antoine-Hubert est plongé dans une grande réflexion. Finalement le Président brise le silence. Il veut l'avis de son chef d'État-major particulier.

- Si tu as une idée géniale, je crois que c'est le moment, Tonio ! dit-il en regardant les taches d'encre sur le bout de ses doigts.    

À vrai dire, Antoine-Hubert ne sait pas par où commencer, tellement cela dépasse l'entendement. Il reste de marbre. Puis il commence à tapoter sur la table, avec les doigts de la main droite. Bernard sait que la réponse à ses problèmes va bientôt poindre le bout de son nez.

- Donc... Nous sommes dans une merde noire ! conclue froidement Antoine-Hubert.

Bernard grimace. Il ne s'attendait pas à une telle réponse. Mais il sait que son salut et celui de la France passera par Antoine-Hubert DARTILLERY DE CAMPAGNE.

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