Mariage...

sisyphe

Voilà, c'était dit. Ça trottait sous nos yeux depuis un bon bout de temps mais l'officialisation faisait quand même un brin mal. Il croyait s'être ainsi affranchis de son existence. Il voyait déjà en l’alliance, une sorte de vertu qui éloignerait de lui les pépins. Non content de rester dans sa merde qu'il ne considérait plus, il y traînait Jane avec lui...c'était finement joué. Il se disait amoureux...c'est pire que trois fois rien si l'on y regarde au début. C'est tenir ensemble qui est dur...Je les voyais pas bien soudés. Quand on est revenu au pub, ils ont fait claquer leurs langues et se sont collés un baiser. C'était l'habitude. N'empêche que cette fois, cette petite comédie a prit un goût sacrément dégueulasse, et jusque dans ma bouche. Je me débarrassais pas de l'aigritude qui me prenait à les voir s'enlacer ainsi. Il savait donc pas que la merde nous suit..? Inexorablement...Qu'on est pas fait pour cette vie là, que la bourlingue nous attend et nous rattrape au tournant, en dépit de tout ce qu'on peut faire ou souhaiter...en dépit même d'hier.
    Il l'aimait...la belle affaire !
    Tout le hameau le sut bien vite et on organisa une sacrée fête en leur honneur, qui se tenait depuis le pub et se prolongeait jusque dans tout le village. Dans l'après midi, il s'y étaient mariés. Le prêtre officiait derrière le comptoir et les alliances furent apportées dans un fond de whisky. Je comprenais le capitaine qui s'était tiré avant cette mascarade...A la fin, la plupart avaient totalement perdu conscience du prétexte à la fête. Ils se tenaient juste, horriblement lourds, le litre à la main et désarticulés tels de grotesques pantins. Tout ça prenait une résonance sacrément moyenâgeuse. Quelques vieux types à la barbe clairsemée de bière clamaient haut et fort qu'on se souviendrait encore longtemps de la 'nuit aux cent fûts percés'. Au milieu du tumulte et des clameurs lourdes, il y eut, tout de même, une petite étoile qui vint briller, l'espace d'un instant lors de cette nuit. Pour une fois, le pub fut témoin d'autre chose qu'une rixe alcoolisée. Jane avait invité une vieille connaissance, une amie chanteuse qu'elle n'avait plus vu depuis longtemps. Elle était arrivée enthousiaste. Norah qu'elle s'appelait. Elle était flanquée d'un vieux guitariste pouilleux qui paraissait avoir traîné sa gratte dans toutes les miteuses scènes de Grande-Bretagne. Le type même de l'artiste talentueux et raté à la fois. Il laissait pendre des mèches grasses sur son front suant, Norah, à côté de lui, avait l'air d'une irrésistible beauté. Elle se tenait droite et gênée sur une petite estrade, installée derrière le comptoir, elle aussi. Son guitariste s'était assis dessus, au milieu de quelques bouteilles en vrac qu'il contribuait à vider, mélancolique. Alors que les rires sales et jaunes donnaient à la salle un échos rance, elle s'élançait dans une petite mélodie...Une douce litanie qui s'éleva dans la salle, au beau milieu des porcs qui s'affairaient autours des jambes de la mariée, qui s'envolait, presque inaudible et pleine de peines.

    The falling leaves...Our souls we've sold...
    The autumn leaves...All red and gold...
    Summer's songs, winter agonies
    Seasons of my memories
    But remain your lips
    Those shadows I used to kiss
    Up in the sky,
    Rainy day, 'til tears go by,
    Up In the clouds I can read...
    It's you that I need.
    
    And while the rain and leaves fall,
    I hear 'living' like 'alone'...
     
    Elle avait fredonné tout ça de sa voix qui filait lentement, comme une petite rivière, pleine de douceurs et de mélancolie. Une de ces rivières qui partent s'évanouir dans le sud, où elles perdent leurs éclats sous un soleil vengeur. A ces côtés, la main décharnée de son guitariste caressait ses cordes comme un bluesmen fatigué. Il accompagnait sa voix jusqu'aux tréfonds de l'amertume, et les cordes ainsi pincées résonnaient d'un timbre nostalgique.
    Leurs petits échos ne tardèrent pas à mourir en petites notes disséminées dans la grossièreté des hommes. C'était peine perdue, la tristesse de Norah avait la destinée des flocons...Elle s'effaçait avant de tomber au sol...Ce n'était pas le bon atmosphère.    
    Il devait d'ailleurs assez étouffant d'entendre les brailler les soûlards qui s'affairaient autours de Gornac et de sa virginité enfin perdue. Le sujet n'était pas passionnant, bien au contraire de la chanteuse. Alors qu'elle s'était tue, les mâles en présence avaient enfin fini par la remarquer. C'était Ryan, un habitué des lieux qui lorgnait sur le derrière de Norah depuis le début, qui a donné l'alerte à ce sujet. Et, comme ils se retournaient tous vers elle, le désir leur sauta aux yeux. Chacun voulait toucher sa part du gâteau, chacun voulait y mordre à pleine dent ! Norah, bien sûr, prenait peur devant cette foule en rut. Son bluesmen accordait sa guitare et rythmait la scène. Ils se montaient tous dessus, se chevauchaient...courtes échelles précaires pour aller débusquer la belle, réfugiée à l'étage. Tous seins tremblotants, elle était partie se cacher dans une des chambres, s'enfermer à double tour. La marée masculine la suivait, agitée par les remous puissants des hormones. Une marée tout en chaleur, bouillante.
    Ils la poursuivent à l'étage, presque l'écume au coin des lèvres...Ouvrent toutes les portes, à la volée ! Et qu'on casse tout ! Pourvu qu'on la débusque la petite salope ! C'est pas cette chambre..? Tant pis, y'en a d'autres !
    A la longue, ils ont fini par débusquer les épousailles fraîchement consommées. Voir même en plein dans l'acte...allez savoir, les ragots...Ce qui est sûr c'est que j'entendais distinctement hurler Gornac à ce sujet, et encore plus la meute qui rigolait bien sur sa nudité fébrile. Ils sont finalement redescendus hilares, heureux pour la soirée. Les estimations allaient bon train, ça vannait à coup de centimètres ! Norah a pu s'en aller elle aussi, ils l'avaient définitivement oubliée. Pour une fois, la libido de Gornac avait fait une bonne action, bien malgré elle.
     Ce mariage tournait enfin concrètement au pathétique. Il était temps que je m'en aille. Bien que le hameau entier fut en fête, le devant du pub était désert, les autres préférant célébrer la chose dans les maisons ou les champs, là où on était plus à son aise et moins reluqués...
    J'ai posé mon derche sur le pavage encore chaud, et qui rechignait à rendre à la nuit la chaleur que le jour lui avait laissé en héritage. Je ne l'avais pas vu mais Jenny aussi était sortie. Elle avait visiblement eu sa claque de toute cette pathétique folie de circonstance. J'étais bien content de la voir, elle qui devait être la seule personne ici que j'appréciais réellement depuis le départ du vieux. Elle s'était faite de plus en plus discrète, de plus en plus légère, à mesure que son double vulgaire gonflait en importance, avec l'approche du mariage. Elle n'avait jamais été véritablement à son aise dans de telles ambiances, ça se voyait bien. Elle ne rêvait que d’escapades et de routes qui vont se perdre sous les feuilles de l'automne. C'était un brin de légèreté qui désespérait, mirant sans cesse sur ses entraves qui l'empêchaient de fuir...Elle m'a surpris en venant se blottir tout contre moi. Je ne me sentais pas vraiment capable, pas vraiment légitime, à recueillir cette petite bête...C'est ça d'être passé trop longtemps par la merde...on en oublie tellement le bonheur qu'à la fin on en veut plus. Et puis, de toute façon, on sait même plus quoi faire avec. C'est ainsi que je fut bien maladroit avec elle, j'avais tout l'air d'une mécanique pucelle.

  • Joliment écrit... et malgré un certain pessimisme amoureux , il y à la douceur d'une vraie tendresse qui pointe le bout de son nez à la fin, et l'espoir, que, peut être, quelque chose de beau soit possible entre deux êtres!

    · Il y a environ 12 ans ·
    Ciel d'%c3%a9t%c3%a9 1

    nonada

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