Marianne(s)

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Quand j'ai quitté Marianne, j'ai compris que mon âme, mon amour, bel amour, et quelque chose d'autre encore lui manquerait un jour…

Oui, je dois plaindre cette pauvre Marianne…

C'est sûr qu'elle est si belle… chacun rêve d'être son ami, son amant ou son parent…
Quand on l'aborde, on la rencontre, elle répond par différents sourires. Mais si vous lui posez une question précise, alors vous comprenez…

(Mais ce n'est pas pour cela que je dois plaindre Marianne)

Bien sûr vous comprenez dès sa première réponse : Marianne, il est vrai, est horriblement bègue.

Elle m'a raconté son enfance avec ce handicap et son orthophoniste : la souffrance des séances qui n'en finissaient pas de se renouveler année après années et plusieurs fois par mois ; tout cela vainement malgré tous ses efforts.

Ses premières expériences d'influence de pensées quand elle mettait fin aux interrogatoires avant l'heure prescrite en simulant une fatigue considérablement supérieure à la réalité…
Et son échec volontaire à l'ultime examen qui devait ou non la déclarer incurable : le choix délibéré par un examinateur impartial de tous les exercices auxquels précisément elle était sûre d'échouer…
Tout plutôt qu'endurer cet enfer de l'espoir en la toute-puissance du "pouvoir médical".

Ses efforts pour capter des "messages en retour", et ses longues pratiques de la concentration.
Ses premiers résultats le jour de ses 22 ans : une véritable conversation télépathique avec sa meilleure amie chez qui elle avait lu la pitié pour ses dérisoires tentatives puis ce fut l'étonnement et l'océan de joie… Elle découvrait qu'ainsi elle ne bégayait plus.

Et ce fut sa fringale d'approches télépathiques… et puis le contre-coup de la grande solitude : quel homme un peu sensé, quel être humain sur terre peut accepter sciemment de partager sa vie avec une personne à qui on ne peut rien dissimuler ? Oui, qui peut décrypter chacune de vos pensées…

Juste avant mon départ, quelque chose s'est "détraqué" : Marianne ne pouvait plus contrôler ses réceptions télépathiques : elle percevait toutes les pensées des gens qu'elle côtoyait, des gens qu'elle approchait, des gens qui l'entouraient…
Plus question de prendre le métro ou le bus… Les pensées tortueuses des chauffeurs de taxi lui étaient un supplice.

Par la cacophonie des embryons d'idées de ses contemporains commença son martyre.

La nuit de mon départ, elle fit les mêmes rêves que moi. Elle s'est réveillée au même instant que moi.

Mais quand je me suis embarqué à l'aube pour aller servir la France, elle m'a crié "Adieu !" avec sa voix, son bégaiement : car à l'instant d'avant, tandis qu'elle m'adressait ses plus tendres pensées enrobées des mots doux n'appartenant qu'à nous… J'ai vu tous les gars du convoi qui s'entre-regardaient, étonnés, ammusés…

Et c'est vraiment pour ça que je plains Marianne :

Elle ne peut plus, non plus, contrôler l'émission de ses propres pensées vers une personne déterminée.
 
Oui, mes amis, vous l'avez peut-être compris, cette Marianne que je plains est une allégorie, c'est la culture française. 
Ma chère Marianne est-elle unique, est-elle multiple ? Elle est aussi unique que cette jeune femme, aussi unique que quiconque, mais elle a tant de facettes, tant de talents différents que la société de consommation n'a pas réussi à l'épuiser, personne n'était rassasié de sa créativité. Elle a su exprimer son originalité. Pourtant au fil des années certains l'ont persuadée qu'elle ne faisait que bégayer ; par la force de son esprit et l'humanisme de son cœur chaleureux, elle continua de rayonner. Assaillie de toutes parts, dans la société de communication, elle assimila les modes et les jargons, elle fit preuve d'inventivité et d'adaptabilité.
Or nous sommes à présent dans une société de consommation de communications et, au plus fort de sa crise d'identité, qui prend encore le temps d'évoquer son nom autrement qu'en affublant du qualificatif de “générale” ? 

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