MARIETTE
Sylviane Blineau
MARIETTE
( d'après le tableau :Intérieur -
Femme en bleu fouillant dans une armoire)
Je ne veux pas montrer mes larmes. Je ne veux pas non plus les sécher. Je resterai dans ce placard. Longtemps. Toujours. Je vous laisse à votre vie ordinaire, à vos besoins quotidiens, à vos bavardages, à vos rires, à vos amours.
A vos pleurs .
Mariette a vingt ans, belle comme une clématite. Il y a trois petits mois, on fêtait ses noces. Elle épousait Paul, gratte-papier promis à un bel avenir au Ministère de la Guerre.
Paul, son héros en noir et en couleurs. Rien que de voir ses doigts caresser finement sa moustache rousse, elle fondait, Mariette.
Elle l'avait fréquenté longtemps, son amoureux, mais sans lui accorder la moindre faveur. Et pourtant ! Pourtant, comme il avait été difficile de lui résister...Ses baisers chauds dans le cou, sur ses frisettes, le frôlement de sa cuisse au bal. Et ses yeux ! Elle se serait damnée pour un seul de ces regards énamourés.
Aujourd'hui, elle n'en veut plus rien savoir. Plus rien être. Seulement rester dans sa longue chemise de pilou bleu. Ne pas se laver, ne pas se coiffer. Disparaître dans l'armoire grise.
Et pleurer, pleurer là, debout, entre la porte et les étagères.
Ce soir, lorsqu'il va rentrer du bureau, comment pourrait-elle bien l'accueillir ? Ah non, impossible de croiser son regard, de tendre ses mains, encore moins ses lèvres Non, pas comme les autres soirs.
Les soirées d'avant, comme elles étaient douces dans la lueur de ce printemps qui l'avait faite sienne. « Ma mienne » comme il aimait à l'appeler, lui prenant vigoureusement la taille. Et elle criait, Mariette, et elle riait, faisant semblant de lui résister.
1
Depuis le mai de leur mariage, ils s'étaient beaucoup et bien aimés. Un très beau couple. La concierge les appelait « mes amoureux », une brindille de joie dans le regard, lorsqu'ils passaient dans la cour à leurs pas accordés.
Mariette avait tout appris de Paul. Avec patience et passion, il avait su vaincre toutes ses résistances de jeune vierge. Avec confiance et passion elle s'était entièrement donnée.
Mais, là, ce matin, quelle importance ?
Dans sa robe bleue un peu trop longue, elle reste dévastée. Une toute petite chose de rien du tout et qui sanglote entre deux reniflements.
Elle avait fait des confidences à Clothilde, son amie d'enfance, femme libre et délurée. Mais Clothilde, l'enviant en silence, n'avait pas hésité à lancer en l'air des petites phrases pas vraiment innocentes. Un fameux galant, que ce mari-là ! Et qui avait dû en avoir, des aventures...Et qui, et qui...
Paul rentre. Paul est rentré. Il a franchi joyeusement la porte en criant à pleins poumons « elle est où, ma mienne ? »
Il vient de stopper net.
Au salon, sous la lampe, Mariette se tient raide, les paupières rouges encore d'avoir tant pleuré.
Sur le tapis de laine, un gamin joue avec des cubes en bois.
Paul a un pressentiment, se souvient du paquet de lettres enfouies dans le placard gris avec ses papiers militaires et ravale un juron.
Un geste vers elle – pas vers l'enfant – qu'elle arrête vivement en se levant. Ayant planté son regard de foudre dans le sien, elle lui assène : « puisque tu as un fils, Paul, un fils conçu pendant nos fiançailles, il est grand temps que tu apprennes à te comporter en père. »