Marine Debris Division

coob

Ce texte a été écrit dans le cadre du club d'écriture Extraction-Désenfumage 16.

Le sujet donné était : "mordu par une araignée radioactive"

Marine Debris Division

"Si vous ne savez pas ce que c'est, n'y touchez pas, ne le déplacez pas.

Contactez les autorités locales, le 911 ou le National Response Center."

Steve s'appuya au panneau planté dans le sable pour refaire les lacets de ses

chaussures de course. Ces avertissements avaient fleuri tout le long de la côte de

l'Oregon ces derniers mois, depuis que les premiers débris étaient arrivés

en provenance du Japon, après le tsunami.

Aux informations, les journalistes laissaient toujours entendre que les débris

étaient extrêmement dangereux, qu'ils pouvaient abriter des colonies entières

d'organismes radioactifs, voire génétiquement modifiés, prêts à déferler sur le

pays et à éradiquer l'American Way of Life une bonne fois pour toutes.

Steve sourit à cette évocation.

Il regarda l'immense plage déserte, le déroulé majestueux des déferlantes,

les pins serrés les uns contre les autres, grelottant sous la pluie.

Remarque, ils n'étaient pas loin de la vérité quinze jours plus tôt quand toute

l'équipe s'était retrouvée à l'aube pour réceptionner un temple entier, un temple

shintô parti à la dérive et qui était arrivé outre-pacifique couvert d'araignées.

Ils avaient dû y aller au lance-flammes pour toutes les avoir et s'assurer qu'elles

n'atteindraient pas la côte.

Nathan était à cran ce jour-là, il avait fait envoyer un échantillon des bestioles au

labo et se serait bien passé de la présence de Mandy, la reporter du Capulet

Island Tribune.

Celle-là, moins on la voit mieux on se porte. Elle est toujours fourrée là où on ne

l'attend pas, à la recherche du moindre scoop ...

Nathan s'était énervé, après coup. Il avait demandé qui l'avait prévenue mais

personne n'avait cafté. John lui avait juste rappelé qu'elle était dotée d'un sixième

sens. Nathan avait balayé l'objection d'un grand geste de la main.

D'habitude, les débris étaient couverts de coquillages et d'algues, et les membres

de l'équipe les brûlaient au chalumeau.

Les araignées, c'était une première, quand même. Elles n'avaient rien de spécial,

pourtant, juste des grosses araignées noires, avec des reflets violets.

Steve sentit son portable vibrer dans sa poche.

Le boulot, justement.

- Quoi ? Je t'entends mal, y'a du vent ...

- Les analyses viennent de tomber. On a un problème, ramène-toi.

Le Capulet Marine Watch Center était une immense villa gothique accrochée à la

falaise face à la baie. Avec ses pignons, ses balcons blancs à colonnades et son

majestueux escalier central en bois, elle évoquait plus le décor d'un film de

Hitchcock qu'un centre de protection du littoral.

La salle de réunion était située au dernier étage, dans l'immense observatoire

vitré qui dominait la baie tel un vaisseau spatial.

Il se faufila jusqu'à sa chaise. Nathan lui fit un signe de tête et poursuivit le

briefing.

- ... résultats sont absolument confidentiels : je répète, vous ne devez EN AUCUN

CAS en parler à qui que ce soit. Et surtout, ne vous laissez pas embobiner par

Mandy, quel que soit le nombre de tournées qu'elle vous paie chez Buoy's ou la

nature des avances qu'elle vous fera.

Gabriel laissa échapper un grognement.

 - C'est bon, Nate. Viens-en au fait. Qu'est-ce qu'y disent, les résultats ?

Nathan baissa le regard vers la feuille qu'il tenait à la main. Même de loin, on ne

pouvait douter qu'il tremblait. Il s'éclaircit la gorge et reprit un ton plus bas:

- Les araignées étaient bien radioactives, comme on s'y attendait.

Un brouhaha l'interrompit.

- Mais il y a plus troublant : ces araignées n'existent pas. Nulle part. Dans aucune

base de données. Elles semblent avoir muté au cours de leur exposition aux

radiations, voire pendant leur traversée du Pacifique. Leur espèce est inconnue.

Nous avons tout à apprendre sur elles.

Gabriel émit un petit hennissement sans joie et se tourna vers son voisin :

- T'imagines le con qui se fait piquer, là ? C'est pas Spiderman qu'y devient, c'est

Nathan imposa à nouveau le silence :

- On a un autre problème  : les images satellites du Great Pacific Garbage Patch

montrent qu'un dock est à l'approche. 200 m2 au bas mot, un truc énorme. Il sera

en vue d'ici 48 heures. Les clichés révèlent de grosses taches noires à la surface,

on se demande si ce ne sont pas des phoques qui se seraient installés dessus.

- Faut s'attendre à voir débarquer des phoques mutants ? demanda Gabriel,

goguenard.

Personne ne releva sa plaisanterie. Les membres de l'équipe se dévisageaient en

silence.

............................

- Oh mec, j'y crois pas. Viens voir ça. C'est pas des phoques les trucs noirs …

Steve attrapa les jumelles.

La vedette tanguait sous ses pieds. Une brume épaisse les enveloppait, avec des

lambeaux plus épais encore qui s'accrochaient à la cabine de pilotage. Ils étaient

à cinquante mètres à peine du dock annoncé.

Steve tâtonna pour régler la mollette. Il déglutit.

Le dock était couvert d'énormes limaces violacées, quatre antennes, deux grandes

sur les côtés, deux petites au milieu, elles semblaient toutes vêtues d'un gilet à

fronces et d'une longue robe satinée, moulante. Elles se déplaçaient lentement,

se montaient les unes sur les autres. L'une pendait, à l'envers, la tête dans les

vagues.

Il repoussa son bonnet pour éviter la buée et recolla les jumelles sur ses yeux.

- Steve ... Alors ?

Gabriel soufflait dans ses mains rougies pour les réchauffer, le visage fermé.

- T'as vu ?

- Mmmmmm ... On dirait des énormes limaces.

- Des limaces plus grosses qu'un homme ?

- Attends ... Wow, Gabe, oh merde ... Gabe …

Steve se tourna vers son collègue, livide.

- J'ai l'impression qu'il y a un corps.

Gabriel s'empara des jumelles.

- Sur la gauche, au bord.

- Putain, mec ... Il est en train de se faire bouffer la gorge ! Il a deux limaces qui

le dévorent, on dirait qu'il hurle ... Il est encore vivant !

- J'appelle les secours, mets les gaz.

Lorsqu'ils approchèrent, ils purent distinguer les traits de la tête renversée en

arrière, les yeux révulsés, les cheveux emmêles collés pleins de sang noir. La

limace qui l'étouffait se redressa de toute sa taille formidable. Les écailles de son

cou lançaient des reflets cuivrés. Elle balança ses antennes en direction des intrus.

Une autre, énorme, plus foncée, avançait lentement sur son dos, comme en transe. Ils sont en train

de s'accoupler sur lui, pensa Steve avec horreur. Il appuya son coude au

bastingage et tenta de viser avant de vider le chargeur de son Glock dans la

poitrine moirée de la limace.

Elle accusa à peine le coup, d'un frémissement de ses petites antennes.

Steve mit ses mains en porte-voix et hurla:

- Tenez bon, les secours arrivent !

Il s'agrippa, et vomit par-dessus bord.

Déjà, on entendait le moteur d'un hélicoptère dans le lointain.

…..........................................

À trois heures du matin, dans son deux pièces de Portland, Steve se réveilla en

sursaut, il venait de se faire violer très douloureusement par une limace géante

qui lui avait pondu cinq larves mort-nées dans la bouche.

À tâtons, il trouva son téléphone qui sonnait au pied du lit. C'était Nathan.

Le cauchemar de la veille lui revint dans toute sa violence et il eut une vague de

nausée. L'homme sur le dock n'avait pas survécu à ses blessures. Il était connu

des services psychiatriques du comté. Ce cinglé n'avait qu'une obsession  : se

faire piquer par une araignée radioactive, comme son idole.

La voix de Nathan résonna dans le téléphone, atone, presque irréelle  :

- Steve, t'es où  ? … Fais gaffe …  Les limaces, elles ...

Lorsqu'il essaya de répondre, un filet de bave comme un bracelet de nouilles

molles tomba sur la moquette.

                                                                                                                    
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