Maroussia

Jean Claude Blanc

Pour cette Ukraine qui résiste, courageuse, m'a inspiré ce texte, jeunesse fauchée à fleur de l'âge, à l'amour naissant, par milliers perdent la vie pour la liberté, nous faut en prendre de la graine

                            MAROUSSIA

 

Je vais vous raconter, une fable qui me hante

L'histoire de Maroussia, petite fille d'Ukraine

Elle vient me visiter, toute la nuit dans ses bras

Des années que ça dure, elle ne renonce pas

 

Me demande parfois, si je suis pas issu

De l'Europe de l'Est, jadis, appartenu

Mes rêves, je vous livre, peut-être farfelus

En tout cas, j'en suis sûr, autrefois, j'ai vécu

 

Dans mon crâne se dessine, le portrait d'une gamine

Qui dans son coin d'Oural, a servi mes délices

Sourcils veloutés, et brunie de soleil

Gracile aux yeux noirs, et aux cheveux de soie

 

Pour situer l'intrigue, faut vous imaginer

Qu'il y a bien longtemps, dans les steppes glacées

Des cahutes de pierre, désertes, subsistaient

La belle Maroussia, c'est là qu'elle était née

 

Partout c'était la guerre, les cosaques se battaient

Turcs, polonais, tartares, russes et ukrainiens

Mais ces derniers pourtant, voulant l'indépendance

S'allièrent à la Russie, commençaient leurs souffrances

 

Des foules de déserteurs, affluaient sur les routes

Se terraient à l'abri, des armées en déroute

Yvan simple soudard, paysan affamé

Faisait comme les autres, recherchait un foyer

 

Tous de la même engeance, de la Terre des Tsars

Comment se faire la guerre, quand on n'a pas les armes

Ni l'âme de trucider, ses voisins, ses copains

N'avait que seul choix, celui de déguerpir

 

C'est par un soir d'hiver, qu'a débarqué sans bruit

Un homme grand et fort, aux grands yeux en amande

Noble et fier guerrier, apaisé et serein

Cependant effrayé, d'entrouvrir son cœur

 

Le Père l'a invité à s'asseoir à la table

Personne ne disait mot, déjà on le plaignait

Fallait l'apprivoiser, ce pauvre misérable

De nourriture, gavé, se sentit rassuré

    

Qu'allait-on faire de lui, sûrement le cacher

Dans le foin embaumé, on lui fit sa litière

S'endormit pesamment, sans demander son reste

Maroussia l'intrépide, allait s'en occuper

De nature discrète, la fillette se confiait

L'étranger sans bagage, sans doute lui plaisait

Elle qui voyait personne, nouait ses amitiés

Ultime dépositaire, des secrets bien gardés

 

Dans la cour de la ferme, le ménestrel chantait

Virtuose visionnaire, des amours naissants

L'encourageait en douce, à lui tendre la main

De la boule de cristal, s'extrayait son destin

 

Lui qui n'était qu'adresse et dure témérité

Un combattant austère, au regard sévère

Caressait les cheveux, de la divine princesse

Frêle oiseau palpitant mais pétri de bonté  

 

Leurs regards se mêlaient, au ciel s'envolaient

Deux gosses remplis d'amour, de ferveur pour l'Ukraine

Reprenant des anciens, les délicieuses rengaines

Pas besoin de parler, d'un geste, se comprenaient

 

Dès lors, c'était juré, jamais se quitteraient

Parcouraient la bruyère, Maroussia, susurrait

Mon père, il m'appelle, son petit écureuil

Suis au fond de son cœur, toujours s'émerveille

 

Les steppes embaumées, océan de verdure

Emaillées de bleuets, de divine solitude

Dans la rivière sombre, se miroitait l'azur

Panel de volupté, offert par la nature

 

Fallait se décider, s'enfuir ou bien rester

La troupe se faufilait, sur les moindres sentiers

Elle aurait bien voulu, repousser les ordures

La douce Jeanne d'Arc, n'avait pas la carrure

 

Son petit cœur battait, à rompre sa poitrine

Voulait l'accompagner, pour être sa complice

Dangereuse cavale, son ami hésitait

Voulait pas la livrer à sa seule destinée

 

Maroussia, sa maison, était toute sa patrie

L'aimait, la vénérait, ici, aucun souci

De sa terre d'Ukraine, comment s'en séparer

Mais il fallait partir, autre vie l'attendait

 

Les parents désolés, cachaient leur affliction

Car pour leur fille unique, ils auraient tout donné

Si elle s'en allait, jamais la reverrait

Savaient que leur gamine, un jour s'envolerait   

 

 

On fait bon gré, mal gré, comme si rien n'était

Ultimes péroraisons, des vieux, bien tourmentés

L'histoire de la maison, souvenirs du passé

On ferme à double tour, ses pleurs, ses regrets

 

On garnit la besace, son plein de friandises

Viandes et andouilles fumées, pâtés et saucissons

Le projet prenait forme, bouillonnait dans sa tête

En route pour l'aventure, droit devant l'horizon

 

Le barde sous son chêne, caressait son théorbe

La musique a le don, d'effacer les humeurs

Quand le temps est venu, de booster ses ardeurs

Au diable la mémoire, les soucis se dérobent

 

Enfin libres et heureux, se prirent par le cou

S'éloignèrent prestement, nantis de rêves fous

Au hasard des clairières, des forêts centenaires

S'arrêtaient un instant, s'enivraient de lumière

 

Maroussia, harassée, parfois s'assoupissait

Sa tête n'étant plus, qu'un frêle bâton de rose

Que la fatigue fait pendre, sur sa fragile tige

Ses yeux se refermaient, comme pétales de fleurs

 

Elle revoyait en rêve, la maison, les parents

Rimailleur barbu, penché sur ses accords

Chantait le rossignol, c'était signe de chance

En claironnant l'aurore, et aussi l'espérance

 

Chaque jour qui passe, un monde qui trépasse

Sur les maisons en ruines, calcinées par la guerre

Subsistaient suspendues des couronnes de fleurs

Des bleuets porte-bonheur, en guise de présage

 

« Tout va bien chez ceux que t'aimes,

Leur pensée te suit partout »

 

Pourquoi faut-il poursuivre l'histoire

Dans ses obscures réalités

Pourquoi tout dire, jusqu'au bout

Après l'euphorie, la fin sombre

 

Vous l'aurez bien compris, ma fable finit mal

Nos chers roitelets, en oubliaient les armes

Partout dans les fourrées, partout ça tiraillait

Surpris, terrorisés, ils restèrent prostrés

 

 

 

 

Yvan risqua un œil, s'écroula sur le sol

De son front s'écoulait, son sang de couleur ocre

Maroussia, affolée, tenta de ramener

Le corps de son ami, pour le mettre à l'abri

 

Deuxième coup de fusil, cette fois c'était pour elle

Son corps chancela, s'entrouvrirent ses ailes

S'affaissa doucement, sur le visage aimé

Dernier gémissement, son ultime baiser

 

A ce que dit la légende, elle aurait survécu

Sauvée par des bonnes Sœurs, au couvent est recluse

A revêtu le voile, porte croix et chasuble

Elle prie pour le salut, de son ami perdu

 

Aujourd'hui les enfants, viennent se recueillir

Fleurir de bleuets, la tombe des tourtereaux

Ont rempli leur mission héros contre leur gré

Maroussia et Yvan, libertaires avant l'heure

 

Au lecteur de choisir, sa propre conclusion

Celle qui convient le mieux, à son entendement

Des fois c'est ennuyeux, les funestes oraisons

C'est plus réconfortant, quand la justice triomphe

 

Le Dniepr déroule ses méandres

Reflets d'acier, viennent y mourir

Craignez les pleurs de l'innocent

Retombent toujours sur les tyrans

 

Y'a beaucoup d'éclopés, dans nos rues, allongés

Des foules d'étrangers, aux frontières, rejetés

Je cherche Maroussia, intrépide ukrainienne

Pour qu'elle me confie, la suite de ses peines

 

J'aime ces héroïnes, ces femmes effrontées

Qui font fi de la mort, pour défendre leur patrie

Dés fois qui s'alanguissent d'un clébard efflanqué

Tu peux être tranquille, te quitteront jamais

 

J'ai parcouru l'Ukraine, bien sûr par la pensée

Hommage à tous les slaves, ces gens un peu discrets

On les croit le sang-froid, mais prompts à s'enflammer

Pour peu que tu les aimes, te rendront amitiés

 

De ma première vie, qui surgit dans mes nuits

Je dois ces quelques lignes, tant soi peu romancées

Légère et silencieuse, Maroussia, égérie

Vient souvent se percher, sur mon œuvre de piété

 

JC Blanc   novembre 2022 (ce que m'a inspiré, cette martyre Ukraine , massacre des innocents

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