Marque déposée - Extrait

bertrandb

 Jusqu'où peut-on suivre une idée ? Jusqu'où peut-elle nous emmener ? Monsieur C., publicitaire en panne de créativité, va emprunter un chemin que personne avant lui n'avait découvert.

EXTRAIT

   Marque déposée : Marque dont les caractéristiques ont été déposées auprès d'un organisme officiel, afin de les protéger. Le propriétaire d'une marque dûment déposée et enregistrée bénéficie d'un droit exclusif sur sa marque. Ce droit s'apparente à un monopole puisqu'il est absolu, spécialisé et perpétuel. 

 

   En général, les définitions ne servent pas à introduire les histoires. Elles s'attaquent à des domaines beaucoup moins divertissants. Et, en général, les histoires sont empreintes de moralité et de bons sentiments.
   Mais pas celle-ci. Pas cette fois.
   C'est, néanmoins, un grand honneur que d'avoir reçu l'autorisation de la relater.
   Elle commença ici, à 10 heures et 21 minutes, en plein cœur de la capitale, dans une salle cossue et feutrée d'une modeste, mais dynamique, agence de publicité dont le nom n'a eu aucune importance.
  L’auteur n’ayant pas reçu l’autorisation de dévoiler l’identité ni la description de l’individu, il sera nommé « Monsieur C. » dans les pages qui vont suivre.  
  Monsieur C., donc, était un publicitaire à la renommée anecdotique, puisqu'inexistante, à la jeunesse fraîche, la créativité bouillonnante et la motivation sans limite.
   Il se tenait droit, genoux légèrement pliés pour se donner l'air confiant, et présentait au reste de l'agence, avec toute sa conviction, trois propositions de noms révolutionnaires, de logos léchés et de slogans ourlés pour une nouvelle ligne de boissons gazeuses. Ultime étape avant la présentation au client, dont l’auteur n’a pas reçu l’autorisation de dévoiler le nom.
   Il usait de termes ciselés pour vanter la facilité d'utilisation et de déclinaison d'un logo circulaire, bleu et rouge, et la dynamique qu'il véhiculait. Il prônait les mérites du nom terminant en « i », qui portait en lui-même empathie et synergie. Puis, il sautillait de proposition en proposition, fier de semer l'embarras dans son public sûrement conquis, tant le choix serait difficile entre ses trois merveilles.
   Plutôt content de lui, il termina son argumentaire et, quittant des yeux les grands panneaux contrecollés arborant fièrement son travail et ses trouvailles, il se suspendit, tout sourire, aux lèvres de son directeur.
  Puis, il s'y agrippa, lorsqu'il perçut que sa prise n'était pas assurée.
   Enfin, il ballotta légèrement, comme son supérieur s'éclaircit la gorge en jetant un regard circulaire aux autres êtres humains présents. À savoir ; sa secrétaire de direction, la secrétaire de sa secrétaire de direction, la stagiaire de cette secrétaire, préposée au café, un illustrateur, deux créatifs quelconques et le neveu du plus gros actionnaire de son agence, âgé de treize ans, qui était là pour découvrir le monde de l'entreprise et éviter de perdre du temps pendant ses vacances, concentré à planter un crayon dans une gomme.
   Les échanges furent silencieux et brefs, mais le soupir qui ponctua le retour des yeux de son directeur à Monsieur C. lui renvoya l'image d'une enclume tombant sur le sable.
   - C'est très bien. Très beau travail, le surprit-il pourtant.
   - Merci ...
   - … Si l'on veut passer les six prochains mois en procès pour plagiat, et perdre tous nos clients.
   - Mais... Mes logos collent parfaitement à l'esprit du produit ! Et vous n'aimez pas le nom ? Le slogan ? Tenez, celui-là, il est génial, non ? Il génère de l'empathie, il est rassembleur...
   - Oui, C., oui. Tout est génial. Génial. Mais tous ces logos, ces noms... EXISTENT DÉJÀ ! Et tous appartiennent à des marques concurrentes ! Les droits d'auteurs, les marques déposées, ça te parle ? Et il faut tuer qui pour avoir un putain de café ?
   La secrétaire de direction jeta un regard évocateur à sa propre secrétaire, qui reporta ce dernier sur sa stagiaire, qui se leva d'un bond et alla s'affairer au fond de la salle. La seconde se pressa le nez de désespoir quand elle entendit la troisième déchirer une dosette de sucre. Hérésie ! Le directeur n'en prenait jamais. Elle la rejoignit aussitôt pour une séance de réprimande, décidant qu'on ne pouvait vraiment confier aucune tâche d'importance à une stagiaire. La secrétaire de direction, au vu de leur petit manège, se massa les pommettes d'épuisement, certaine maintenant qu'on ne pouvait déléguer aucun travail digne de ce nom à qui que ce soit, qu'il fallait tout faire soi-même si l'on voulait que ce fût bien fait, et se leva à son tour.
  Les deux créatifs anodins sourirent sournoisement, ravis d'avoir un concurrent de moins dans la course à la promotion.
   L'illustrateur, qui griffonnait, à l’aide d’un crayon hors de prix, une jeune fille dénudée tenant une lourde épée, trouva effectivement que les trois logos, surtout le dernier, rond, rouge et bleu, ressemblait trait pour trait à celui d’une marque que l’auteur n’a pas reçu l’autorisation de citer.
   Quant au neveu du plus gros actionnaire de l'agence, il sourit de satisfaction, parvenu à faire intégralement passer son crayon 2B au travers de sa gomme. 
  Monsieur C. vola en éclats.
   Toutes ces heures à imaginer, toutes ces journées à réfléchir, à griffonner, et tous ces petits papiers jaunes munis d’une bande collante (l’auteur n’a pas reçu l’autorisation d’en nommer la marque) couverts de notes nocturnes n’avaient servis à rien. Son compteur mental cliqueta. Cette scène, il la vivait pour la centième fois.
   Bon, d'accord, peut être pas cent.
Mais bien cinquante. Ou trente.
   Comme une vieille habitude, l’Humiliation se rappela à son bon souvenir. Elle s'arma d'une batte de base-ball, descendit le long de son œsophage et se mit à lui attendrir l'estomac.
   - Revois ta copie, et tâche de trouver, enfin, une idée originale ! C'est pour ça que des clients nous payent ; pour des idées nouvelles, des idées qui fonctionnent, des idées qui rapportent de l'argent ! Alors, arrête de copier les autres, ou renseigne-toi un peu sur ce qu’ils font ! Et apportez-moi aussi une sucrette, mon petit, ça me changera ! acheva le directeur, comme la secrétaire de direction lui tendait, d'un sourire étudié, son café.
   Reprenant ses arguments et son souffle, rassemblant ses maquettes et son courage, Monsieur C. quitta la salle de réunion et marcha dépité jusqu'à son bureau, miné par un douloureux constat. À chaque fois qu’il présentait ses idées, il y avait toujours quelque chose qui clochait.
   Et même cette fois, alors que ses créations étaient excellentes, il fallait encore qu’elles ressemblent trait pour trait à ce que quelqu'un avait déjà fait avant lui. Plagiat ! Lui, plagier ? Lui qui ne copiait personne, lui qui, persuadé qu’il trouverait seul et sans aide la beauté des lignes et le génie du sens, ne regardait jamais ce qui se faisait ailleurs ? Hmmm. Et si le problème venait de là ?

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