Masque heureux
Zoé Winter
Août 2015
Illustration : https://www.deviantart.com/naarci/art/Y-Yellow-paint-775642806
« Physiquement, tu vas très mal. Mentalement, tu es en miette. »
Si j'entendais cette phrase, cela voudrait dire que quelqu'un a remarqué mon état et que cela ira mieux. C'est ce que je pensais avant, je pensais que c'était une bonne chose. Maintenant, maintenant, je voudrais n'avoir jamais entendu cette phrase. Je voudrais être au fond d'un trou, seule. Je voudrais fermer les yeux.
« Les cachets que tu as pris ont bien failli te tuer.
C'est un miracle que tu ne sois pas dans le coma. »
Je voudrais être dans un trou et fermer les yeux. Je voudrais que cette personne arrête de me dicter mon testament. Je voudrais arrêter de trembler autant. Je voudrais arrêter de vomir aussi souvent. Je voudrais pouvoir marcher. Je voudrais pouvoir aller au soleil. J'aimerais danser. Là, tout de suite, je voudrais danser. Je voudrais rire. Je voudrais que mon rire joyeux s'élève dans le ciel. J'aimerais pouvoir me dire que le monde est merveilleux. Je voudrais me dire « Tout va bien. »
« Ce n'est pas la première fois.
La prochaine sera la bonne. »
J'aimerais penser que le monde est beau, que le soleil est brillant, que je suis vivante. Je voudrais rire. Je voudrais arrêter ce rire qui sonne malheureux. Je ris et je dis que tout va bien. J'y crois donc tout va bien. Je le dis et personne ne m'entend. Je ris et tout va bien. Tout va bien parce que je ris terriblement faux. Je ris parce qu'il n'y a pas d'espoir, je ris parce qu'il n'y a personne. Je ris et je voudrais fermer lentement les yeux en souriant, parce que tout va bien.
« Mon dieu mais qu'as-tu fait ?
Nous croyions que tu étais heureuse… »
J'aimerais danser. Tout en haut d'un immeuble, je danserai et je serai heureuse. Je sourirai et je chuterai. Je chuterai encore plus profondément que maintenant. Je chuterai dans le bonheur, parce que tout va bien, tout va bien, je le sais. Et je serai toujours heureuse. Ça ira, il n'y a pas de soucis à se faire. Tout va bien.
« S'il te plaît, réponds-moi… »
Tout va bien. Je danse, je chante, je ris. Tout va bien, le monde tourne et je tombe. Je suis heureuse. Je ne pense plus à rien sauf à cet avenir. Et ça me va. Je ne veux pas entendre les questions, je ne veux pas écouter, je veux juste fermer les yeux et dormir un peu. Un tout petit peu. Pour me reposer et pouvoir ensuite sourire et répéter que tout va bien.
« Que s'est-il passé ?
Je pensais que ça allait… »
Je souris et rien ne s'est passé. Rien. Tout tourne. Ça tourne et à force, ça me donne envie de vomir. Non. Tout va bien. Vraiment. Ne me regarde pas comme ça. Ça va. Ça va je te dis. Laisse-moi tranquille maintenant. Tout va bien. Tout va bien.
« Pourquoi ne m'as-tu pas dit que…
tu allais si mal ? »
Non. Non. Tais-toi. Tout va bien. Rien ne va. Je chute et j'ai peur. Pourquoi ne t'en rends-tu compte que maintenant ? Je ne vais pas bien. Je voudrais chuter avec mes larmes. J'ai honte. Je voudrais disparaître. J'ai peur. Je pensais que fermer les yeux et rester seule m'aiderait, mais non. Je pensais que faire semblant vous aiderait à supporter. Ça a marché. Tu ne t'es aperçue de rien et je fermais de plus en plus fort les yeux. Je voudrais continuer. J'ai honte de ces larmes. J'ai honte de ma faiblesse. Je m'en veux. J'ai besoin d'aide, mais je ne veux pas le dire à voix haute. Et j'ai peur.
« Tu sais que tu peux tout me dire.
Je suis là, avec toi, alors ça ira, n'est-ce pas ?
Tout ira bien, n'est-ce pas ?
Dis-moi que tout ira bien. »
Je me tais. Je me tais parce que tout va bien. Je me tais pour que tu ne te rendes pas compte que le monde va mal. Je me tais pour que tu me laisses fermer les yeux. Je te souris pour que tu croies à mon mensonge et que tu me regardes chuter en souriant. Je me tais parce que le monde mérite d'entendre mon rire sonner faux. Je me tais et je te souris parce que le monde est merveilleux et que tout va toujours bien.
« Ne t'inquiète pas, je vais bien.
C'était un incident. »
Quand on vous dit "ça va?", on répond "ça va." Alors qu'on en crève.
· Il y a plus de 2 ans ·Ce texte dit tout sur le chantage affectif.
Christophe Hulé