Maurice de Seynes et Elki-Palki

Vladimir Tchernine

 Maurice de Seynes et  Elki-Palki

L’histoire exceptionnelle d’amitié sur le fond de la deuxième guerre mondiale.


« Il n’a pas sauté le Français, il n'a pas sauté. » Le général russe comme tous les pilotes français et russes autour de lui a accompagné du regard l’avion qui venait de s’écraser dans le bois. Dans cet avion il y avait le pilote français et le mécanicien russe. Le général se retourne vers le groupe des pilotes français et porte la main à la tête dans le salut militaire, tous les pilotes russes font de même en répétant son geste.

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Chaque pilote français avait son mécanicien attitré. Ivan Ivanovitch, dite Elki-Palki,[1] était celui de Maurice. Dans les lettres à sa mère, le pilote aristocrate appelait Ivan “ mon ange gardien ”. Sa vie et la vie de ses camarades dépendaient directement du savoir faire et de l’endurance de leurs anges gardiens qui travaillaient jour et nuit pour remettre les machines en marche. Les mécaniciens appelaient leurs Français le mien, “ T’as vu, le mien, il en a abattu deux aujourd’hui ! ”. La mère de Maurice priait pour Ivan Ivanovitch devant la photo où ils paradaient tous les deux avec leur avion en arrière plan. Vous avez tout compris, une histoire qui commence comme ça ne peut avoir qu’un final tragique. Le Destin était déjà à son poste. Implacable, il appuyait sur la gâchette du fusil d’un poilu de la Wehrmacht errant dans les bois. Ce n’était pas un bon tireur. A dix minutes de la fin de cette histoire, il avait essayé de tuer un lapin, en gaspillant pour rien les dernières munitions. Il ne lui restait qu’une balle.

1943, les contres offensives de l’Armée Rouge. Les troupes allemandes dispersées battent en retraite à travers les forêts et les marais.  L’escadrille Niémen reçoit l’ordre de prendre position deux kilomètres en avant. Pour l’avion c’est juste le temps de décoller et d’atterrir. Le personnel devait partir en camion. Il faisait beau, c’était l’été. Une heure de trajet en voiture, cinq minutes en avion. Maurice propose à Ivan un petit emplacement derrière son siège pour qu’ils arrivent plus vite à leur nouvelle base. Sauf que, voilà ! L’emplacement est si petit qu’il n’y a pas de place pour le parachute. Elki-palki- dit Ivan, ça ne fait rien c’est quelques minutes de vol.

La suite paraitra improbable aux cartésiens de dimanche, qui ne croient qu’au concours des circonstances et à la théorie des probabilités. Il est de notoriété publique qu’il est extrêmement difficile d’abattre un avion de chasse d’un coup de fusil. Il y avait bien quelques spécialistes, l’histoire de la guerre le rapporte. Mais c’étaient des tireurs d’élite et ils tiraient surtout sur les bombardiers en basse altitude.

Alors, quelle est la part de la probabilité dans cette embuscade de la vie. Comment quelqu’un  d’affamé qui tire sa dernière balle au son, atteint l’appareil là où il ne fallait pas, précisément au bac de kérosène ?

À partir de ce moment-là, Maurice de Seynes et Ivan Ivanovitch commencent leur marche vers l’éternité et si le paradis des braves existe, aujourd’hui ils y occupent des places de choix.

L’avion prend feu. Maurice ne voit plus rien, ses yeux sont abîmés, il décide de revenir à la base et faire un atterrissage forcé en ce faisant guidé par la radio. Ivan s’étouffe, il n’a pas de dégâts, mais il ne peut pas bouger non plus. Maurice rapporte sa situation au poste de control et au-dessus de l’aérodrome demande son altitude. Mais il est déjà tard pour la première tentative, il passe très haut pour atterrir. Il en fait la deuxième, la troisième…  toutes ratées. L’avion est en flammes. Le commandement franco-russe à tour de rôle et à plusieurs reprises lui enjoint de sauter. C’est un ordre ! On les comprend, au moins en sauver un et les mécaniciens il y en a de tas, tandis que des pilotes comme de Seynes valent de l’or.  “ Donnez-moi l’altitude ”- leur répond le Français. “  Saute, saute, Maurice ” – crie lui ëlki-palki derrière son dos !  “ Je demande l’altitude ! ” Rien à faire. Tout était fini, la machine s’écrase dans la forêt.

Un confrère français, le héros de l’Union Soviétique, donc quelqu’un qui n’avait rien à se faire reprocher, s’exclame “ Moi, j’aurais sauté. Il y avait un ordre ”. Et nous ? On aurait sauté ? 

 “Normandie-Niemen”, grâce au sacrifice de plus de la moitié de ses pilotes, 42 tués, devient la première formation de chasse française avec ses 273 victoires homologuées   obtenues au cours de 5 240 missions et 869 combats. À la fin de la guerre, l’escadrille comptait 67 combattants aguerris. Au début ils n’étaient que quatorze. Quatorze pilotes français qui sont venus en 1942 combattre le fascisme aux côtés des Russes. C’était l’idée de génie du Général de Gaulle, d’envoyer des unités françaises au front de l’Est. Et si on réfléchit bien, cette idée était d’autant plus brillante qu’elle a peut-être sauvé la France du gouvernement communiste après la guerre. C’est à partir de ce moment-là, que Staline a commencé à avoir un faible pour Grand Charles. Les pilotes français se sont battus parfois mieux que les Russes, et Staline ne lésinait ni sur les citations ni sur les décorations. Ce qui avait dû aider à de Gaules en 45 quand il a demandé à Staline de calmer les camarades français. Staline a donné l’ordre à Maurice Torez  et la question était vite réglée. Alors une question se pose, est-ce que nous ne devons plus qu’une simple admiration à Maurice de Seynes, Général Risso et leurs compagnons d’armes ?    

 

Le Groupe de Chasse "Normandie-Niemen" est sans doute l'une des unités militaires les plus prestigieuses au monde.

Le journal de marche de cette formation est fabuleux, unique dans les annales des armées françaises ; la gloire déborde de chaque page. On y note, en effet, 273 victoires officielles, 37 victoires probables, 45 avions endommagés, sans compter tous les autres objectifs du champ de bataille et des arrières, et tout ce palmarès formidable au seul prix de 35 pilotes abattus par l'ennemi, soit 9 contre 1. Il est extraordinaire de préciser que parmi ces résultats figurent 206 avions de chasse officiels et 42 probables ou endommagés. En outre, le fait que 31 des morts du groupe sont disparus en combat aérien prouve l'acharnement de ces batailles de l'Est.

Les glorieux faits d'armes de cette unité sont nombreux ; parmi ceux-ci, la journée du 22 septembre 1943, où les pilotes obtiennent 9 victoires sans subir de pertes. Le 27 juin 1944, ils réalisent 7 victoires pour 2 pertes. À cette date, le Groupe est le second, avec 86 victoires, de toutes les unités de chasse opérant sur le front de Russie. Et le 16 octobre, qui marque le début de l'offensive de Prusse, intervient la journée la plus glorieuse, unique dans les fastes de toutes les aviations du monde puisque le régiment a remporté ce jour-là 29 victoires sans subir une seule perte. Enfin, à la fin de l'automne 1944, "Normandie" reçoit le titre de Régiment du Niémen pour commémorer ses hauts faits.

Ainsi, le régiment termine la guerre avec un nombre incroyable de décorations et récompenses. Sur le drapeau du Normandie-Niemen sont inscrits les noms des victoires de Briansk, Orel, Ielnia, Smolensk, Koenigsberg, Pillau. Il est orné des décorations suivantes: la Légion d'Honneur, la Croix de la Libération, la Médaille Militaire, la Croix de Guerre avec 6 palmes représentant 273 avions ennemis abattus. Parmi les décorations soviétiques, on compte l'Ordre du Drapeau Rouge, et l'Ordre d'Alexandre Nievski. Ces deux dernières décorations représentent 11 citations. Sans oublier le titre du Héros de l’Union Soviétique pour ceux qui ont abattue 16 avions  ennemies.

C'est ainsi que "Normandie-Niemen" a rempli sa mission: il a bien soutenu, démontré, accru la gloire de la France...

Le nombre d'hommes impliqués dans la légende du Normandie-Niemen est très important ; il serait donc difficile de tous les évoquer. Pourtant, qu'ils soient officiers, sous-officiers ou simples soldats, pilotes ou mécaniciens, ils ont tous contribué à faire de l'histoire du GC 3 "Normandie-Niemen". Nous allons donc évoquer les commandants du Groupe, ainsi que les pilotes les plus connus, sans oublier les autres, comme, par exemple, l'interprète Igor Eichenbaum dite "Boum-boum".  

Les Commandants : Jean Tulasne, Pierre Pouyade, Louis Delfino.

Les Pilotes : Marcel Albert, Roland de La Poype, Marcel Lefèvre, Joseph Risso, Léon Cuffaut, Robert Delin, Maurice de Seynes, Pierre Matras, Jean de Pange, René Challe

 

[1] Zut, purée.

 

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