Mélancolie...(hommage à Anaïs NIN)
vreel
Il fait froid pour la première fois après les beaux jours d'été.
Les arbres sont déjà secs, les feuilles se sont toutes envolées, la Nature entière se fane, se meurt, pour reverdir plus tard...
Il y a des gens qui sont plus vieux, qui ont vieilli avec les mois - comme les fleurs fanées - et dont la vie va être un automne continuel.
Il y en a d'autres, encore jeunes, qui pleurent avec la Nature et souriront avec elle au printemps.Il y a même des rêves qui naissent en automne parce qu'il y a beaucoup de Beauté dans la mélancolie, et l'automne est trop beau pour être triste ! Mais quand le froid frappe à la porte, un petit génie vêtu de bleu, couvert de petites gouttes d'eau glacée, et avec une casquette de feuilles jaunes et rousses, et quand le vent siffle gentiment, comme un écolier, alors nous sommes bien joyeux, tous assis autour du feu qui pétille dans la grande cheminée.
Les flammes, qui entourent le bois qui pétille, très fortes au commencement, très chaudes, et pleines de lumière, tant que la bûche existe entière.
Je vois des fées qui dansent avec des voiles de toutes les couleurs, je vois leurs longs cheveux dorés se mouvoir par l'air qui descend par la cheminée, c'est le vent qui parle. Alors les fées dans les flammes s'animent et dansent plus haut, plus haut, plus vite, encore plus vite, elles sont folles, leurs danses c'est la Folie, c'est la Jeunesse. Cela dure longtemps, longtemps !!!
Alors une bûche se brise en deux avec un bruit de bois frémissant qui gémit. La danse cesse. Les fées lâchent leurs voiles, qui s'envolent par la cheminée pour rejoindre les mages. Il y a un moment de silence, quans les fées ne dansent plus, les flammes semblent vouloir s'éteindre et perdrent leurs claires couleurs.
Peu à peu, très doucemernt, la bûche, si forte au commencement de la lutte, succombe et s'écroule dans un petit tas de cendres, les flammes se meurent et les fées s'évanouissent dans l'espace. Les cendres sont pleine de lumière encore, c'est tellement, tellement beau ! C'est peut être la mort de la Folie, après les belles flammes vermeilles, azur, dorées, les cendres, d'abord transparentes de lumière, et plus tard, de la poussière, c'est fini.
Tant de vie, tant de beauté, tant de folie, tant d'enthousiasme, et alors tout s'éteint et meurt, tant de mélancolie !
Tout à coup le vent siffle une autre fois, le froid tremblant frappe à la porte encore, et, réalisant la perte des jolies fées, le départ des flammes, la mort de la bûche, respirant l'air encore imprégnée de sapin, nous oupirons un peu tristement. Au bout de quelques minutes le vent siffle lugubrement et nous appelle, comme il a appelé la lumière vivante de notre cheminée, mais personne ne l'entend, le froid aussi redouble ses appels et personne n'ouvre la porte parce que...Nous dormons tous pendant que les étoiles veillent au-dessus de nous : nous rêvons de la soirée d'automne et la danse magique des Flammes et des Fées. La soirée d'automne c'est le berceau des rêves fantastiques, des folies, c'est l'Etude de la fantaisie.
J'ai vu dans les flammes des sourires et des larmes, la pluie et le beau temps, j'ai vu la Vie ! J'ai vu les gens que j'aime et les gens que je devrais aimer ! J'ai vu la Race Humaine ! J'ai vu des illusions, un million de choses belles, un château suspendu entre les nuages ! J'ai vu mon Pays des Rêves ! Mais je n'ai pas vu l'Amour dans les flammes, et après avoir cherché tristement, je l'ai trouvé dans les cendres, longtemps après que le feu est mort...
Anaïs NIN Octobre 1919