Mémoire d’un amnésique.

Le fait est que le cerveau est une bien étrange bestiole, car je me souviens mieux qu'avant de mes anciens souvenirs d'antan.

Tous a commencé comme commencent toutes vies. Par la douleur d'une mère et de son bébé. Celle de ma mère que je ne connaissais que de son intérieur, on me l'a racontée, par contre de la mienne je m'en souviens très bien. Cela faisait un mal de chien. Je ne connaissais pas davantage les chiens, car je n'avais encore, ni de vécu, ni de mots. Je n'étais que sensations brutes de pommes et cette mémoire-là est une mémoire animale minimaliste dont vous, personnes à mémoire, en avez perdu l'accès. Moi je me souviens de tout, normal j'y étais. Je me souviens mêmes avant l'expulsion du tambour incessant et des gargouillis de tuyauteries, ça fuyait de partout autour de moi. Mon Moi, n'existait pas non plus, je vous parle de tout cela, bien sûr, par le langage qui m'a été donné par la suite. Je passais donc de la nuit à la lumière aveuglante, par réflexe, l'ordinateur central serra fortement mes paupières pour supporter cet excès de luminosité et de stimuli.

Je sentis le sang me monter à la tête comme si c'était hier, façon de parler, car d'hier je ne me souviens plus, puis une douleur aux fesses et un truc qui braille comme un porc, mais c'est qui ce truc avec cette voix de fausset, ben c'est toi, mon gars et il va falloir t'y habituer, car tu n'as pas fini de pleurer pour un oui, pour un non, mon cochon.

Putain, je marche ! Ah, non, au temps pour moi, je tombe sur le cul ! Et dire que nouveau-né, je savais marcher, j'ai perdu le réflex à force qu'ils me laissent toujours coucher, les cons ! J'appelle mes parents les cons, car je ne les connaissais pas encore à cet âge, en fait c'était des gens plutôt sympas, juste complètement dépassés par les événements, les événements, c'étaient moi.

Je me souviens qu'avant, dans la matrice, je mangeai quand bien me veuille, je ne connaissais aucune frustration. Maintenant, enfin pas maintenant d'aujourd'hui, d'ailleurs je ne sais même pas quel jour d'aujourd'hui, on peut être. Disons quand je fus nourrisson, j'avais faim et personne ne me donnait à manger, alors je braillais. Dès fois il y avait un truc qui venait au-dessus de ma tête et qui disait des borborygmes étranges, d'une voix douce et mélodieuse, mais comme je ne comprenais rien, elle aurait pu dire « ferme ta gueule, p'tit con ! » ou n'importe quoi d'autre, c'était pareil et puis elle partait sans me donner, alors je braillais. Finalement, en réfléchissant à posteriori, je ne savais faire que ça, brailler, c'est déjà un début. J'étais nourri avec un truc bizarre, des fois il était rond, puis il devenait allongé cylindrique, il changeait de forme en permanence, mais je m'en foutais, car le réflexe de succion je ne l'avais pas perdu, ouf ! Repu, le truc disparaissait, donc il n'existait plus, il était mort et qui va me donner à bouffer, maintenant, merde ? Pas grave un autre revenait plus tard, ils devaient être une tribu, les machins à téter.

La prochaine fois je remonterai jusqu'à l'époque où j'étais Ulysse ou Pénélope, je ne sais plus, il va falloir que je m'inscrive dans un atelier de broderie.