Mémoire IV

Elle fuit. Sac au dos, elle se retourne une dernière fois sur la bicoque délabrée. Clignant de l'oeil, elle croit apercevoir une ombree à travers la fenêtre du grenier. Elle commence sa course éperdue, en direction de nulle part, mais le plus loin possible de tout ça. Sur le parquet vermoulu du grenier, la lettre git encore, laissée là où elle a échappé à la jeune femme comme si ça ne comptait plus. Le temps a perdu son rythme dans la course éffrénée. Petit à petit, elle perd le souffle, ses jambes la brulent, elle ralentit. Elle ne sait pas exactement où elle est, à peine pourtant à quelques kilomètres de la maison depuis si longtemps abandonnée. S'appuyant de sa main sur un érable, elle scrute le paysage, la route sur laquelle elle s'échappait... Rien... La maison familiale n'est plus en vue.

Elle sait qu'elle doit rentrer, quelqu'un pourrait s'inquiéter d'une absence... Mais qui ? Pas ce père qui a cessé de la comprendre lorsqu'elle s'est interessé à une famille disparue ; pas sa soeur, qui se moque de cette quète comme si le passé ne servait pas à construire l'avenir... Dans la main qu'elle déplie, les quelques mots grifonnés à la hâte par sa mère, qui s'était perdue dans ce combat.

"Elle aussi" songea-t-ellle avec amertume. "Saura-t-on jamais ?"

Dans un murmure, elle prononce les mots inscrits, psalmodiant presque "ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort!"