Mens rea

rose_levasseur

Il faut qu'on parle de Lounis
Est-ce que vous connaissez l'histoire de Lounis ? Non ? Lounis, beau gosse charmant, 35 ans, l'allure sportive, non ? C'est une histoire qui vaut son pesant de cacahuètes et qui va vous toucher, vous attendrir, vous émouvvvvv... oups vous affliger oui !

J'ai rencontré Lounis sur les réseaux sociaux l'été dernier. On a échangé quelques textos juste avant mon départ en vacances, et poursuivi de manière sporadique entre deux cabrioles dans l'Atlantique. Au moment de partir j'avais un grand besoin de me vider la tête... Rien de tel que de faire des cabrioles dans l'Atlantique qui, lorsque vous vous relevez, vous font vérifier en titubant et les cheveux en vrac que vous avez bien toujours votre bikini, à l'envers certes, mais toujours là entre les jambes. Et les amis bien sûr. La belle vie. Mais je m'égare, loin.


A mon retour, j'ai eu la surprise de lire un ou deux posts illustrés par une photo de la station balnéaire dans laquelle je me trouvais. J'ai mis ça sur le compte d'une coïncidence, d'autant plus que j'avais eu Lounis au téléphone.

Finalement nous sommes convenus de nous retrouver à la fraîche pour écluser quelques bières parfaitement inoffensives. Pour l'anecdote il est arrivé à ce premier rendez-vous avec "La conjuration des imbéciles" sous le bras.

Dans les jours qui ont suivi, j'ai noté sur le net des allusions quasi subliminales aux discussions que j'avais eues avec Lounis. Je vous laisse imaginer le malaise que cela a provoqué. J'avais parlé à Lounis au téléphone, je l'avais rencontré, est-ce que je n'étais pas en train de devenir un high flyer de la paranoïa ? J'ai fini par contacter Lounis alors en vacances, pour qu'il m'envoie dans les 20 secondes un selfie de lui devant la charmante petite maison bretonne dans laquelle il était sensé se trouver. J'ai reçu des photos : Lounis à la plage, Lounis au supermarché, Lounis sur la route du retour, le ticket du restoroute de Lounis, mais de selfie devant la maison, niet. Et que dire du temps de réponse... mais tout s'explique n'est-ce pas, en vacances on est pas toujours greffé à son téléphone.

On s'est revus quelques jours plus tard. Paris au mois d'août, 28 degrés à 19 heures, une sorte de langueur dans l'air, les rues désertes et les terrasses pour se rafraîchir. On a déambulé dans les rues tard dans la nuit, chanté et dansé. Il avait sur son téléphone de vieux hits des années 90 comme Coeur de loup de Philippe Lafontaine. Étrangement, il ne s'est pas manifesté les jours suivants et a répondu de manière laconique à mes textos. En fait je m'étais trop amusée au cours de cette soirée.
Les allusions sur des blogs ou dans des posts sont revenues, insistantes, évidentes, et j'ai fini par comprendre.

Les textos ? Rédigés par Rodolphe.
La voix au téléphone ? La voix de Rodolphe transformée par une appli.
La vie de Lounis ? Une biographie concoctée par Rodolphe et ingurgitée par Lounis.
Vous voulez des détails ? Lounis, un fils à papa selon ses propres termes, brouillé avec ses parents parce qu'il tenait sa mère pour responsable de sa rupture, son meilleur ami, Asperger, l'amie de son meilleur ami, avocate obsédée par l'idée de se marier etc.
C'est brillant n'est-ce pas ? Et affligeant bien sûr. A ce stade, peut-être avez-vous déjà compris que Lounis était un escort loué à seule fin d'enregistrer une sextape. Oui, toutes nos conversations ont été enregistrées.
Notez l'extrême sophistication apportée aux détails, la musique, les livres. En l'état si Rodolphe était "simplement" mû par une pulsion de voyeurisme et la volonté d'exercer un contrôle sur l'autre, ce serait déjà bien assez. Mais en distillant des détails ici ou là, il cherche non seulement à signifier sa toute-puissance mais aussi à plonger l'autre dans un état de confusion et d'incompréhension en regard de ce qui lui arrive et de ses perceptions. Du grand art. Enfant, j'ai habité une maison à flanc de colline. On y accédait depuis la terrasse par une volée de marches et un chemin serpentait dans la pinède jusqu'au faîte de la colline. Le premier été, une colonne de fourmis a débarqué sur la terrasse et nous l'avons observée avec nos yeux d'enfants et de pré-ado avec une loupe. Une colonne, une loupe et le soleil méditerranéen = un massacre. Imaginez trois enfants accroupis tout près de la colonne, l'un tient la loupe en main à quelques centimètres des fourmis. Soudain c'est la débandade, la colonne se disperse de manière désordonnée et la main qui tient la loupe poursuit avec fascination une fourmi. Au départ, elle file comme une dératée puis ralentit, s'immobilise et brusquement - qsssichhhh ! - se désagrège sur place. L'ironie est que j'avais totalement oublié cette expérience enfantine et cruelle et qu'à mon tour j'étais devenue la fourmi qu'un enfant cruel poursuivait.

Lorsque j'ai compris, je n'ai pas ressenti de tristesse, de colère ou de trahison mais une joie indescriptible. Je n'étais pas folle, je n'étais pas paranoïaque. J'ai essayé de le confronter mais il a nié, sans surprise. Plus tard j'ai trouvé un texte dans lequel il disait en substance, et je paraphrase : à la guerre comme à la guerre, tout s'achète même la sextape.

J'ai souvent repensé au coup de fil qu'on avait échangé. Il était minuit passé, on était le 14 juillet et je lui avait dit ce que représentait le 14 juillet pour moi. Avec grande gentillesse, il n'avait pu s'empêcher de répondre "ahhh ok" suivi d'un silence buté qui m'avait à l'époque interpelée.

Une dernière chose, à la seconde rencontre Lounis avait un livre sur la surveillance électronique.
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